Jean-Michel Aphatie sacrifié sur l’autel du déni : en France, l’histoire coloniale, c’est silence radio…
Il aura suffi que Jean-Michel Aphatie exprime une vérité historique pour déclencher une tempête médiatique. Oser rappeler que l’armée française a perpétré en Algérie des massacres comparables à celui d’Oradour-sur-Glane ? Hérésie ! Immédiatement, on exige son retrait, on attend de lui des excuses, un mea culpa pour avoir ébranlé la quiétude des amnésiques. Car […]

Il aura suffi que Jean-Michel Aphatie exprime une vérité historique pour déclencher une tempête médiatique. Oser rappeler que l’armée française a perpétré en Algérie des massacres comparables à celui d’Oradour-sur-Glane ? Hérésie ! Immédiatement, on exige son retrait, on attend de lui des excuses, un mea culpa pour avoir ébranlé la quiétude des amnésiques. Car en France, la liberté d’expression est un principe sacro-saint… mais à géométrie variable. On peut insulter, caricaturer, provoquer, tant que cela vise les cibles « légitimes ». Mais dès qu’un journaliste ose mettre en parallèle les crimes de la colonisation française avec ceux du nazisme, il devient persona non grata. Une conception pour le moins singulière du débat démocratique dans un pays qui se targue d’en être le modèle. Pourtant, Aphatie n’a rien fait d’autre que rappeler un pan de l’histoire soigneusement occulté. Qui peut nier que l’armée française a eu recours à la terreur en Algérie ? Que les enfumades de Dahra en 1845, où des centaines de civils furent asphyxiés dans des grottes par les troupes du général Pélissier, n’ont rien à envier aux pires atrocités du XXe siècle ? Que les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata en 1945, où des milliers d’Algériens furent exécutés pour avoir osé revendiquer leur indépendance, s’inscrivent dans une logique de violence systématique et méthodique ? Mais non. En France, on préfère commémorer Oradour-sur-Glane en se drapant dans une posture de victime, tout en détournant le regard des dizaines d’Oradour perpétrés par l’armée coloniale en Algérie. Le crime de Jean-Michel Aphatie ? Avoir tendu un miroir à une nation qui refuse d’y voir son propre reflet. Le plus consternant dans cette affaire, ce n’est même pas l’indignation prévisible de l’extrême droite ou des gardiens du roman colonial. Non, c’est l’attitude des médias français, ces prétendus contre-pouvoirs qui se révèlent être les meilleurs garants de l’ordre établi. Plutôt que de saisir l’occasion pour ouvrir un véritable débat, RTL a choisi la censure sous un vernis de respectabilité : un « retrait » qui ressemble à une mise à l’écart. Le message est limpide : en France, la colonisation demeure un sujet tabou. Ironie du sort, ces mêmes médias qui dénoncent à longueur de journée la « cancel culture » et les atteintes à la liberté d’expression ailleurs ne supportent pas qu’un des leurs dévie du récit national bien policé. Ils donnent des leçons au monde entier, mais refusent d’examiner leurs propres contradictions. Jean-Michel Aphatie paie aujourd’hui le prix de son audace : avoir rappelé que la mémoire coloniale demeure une plaie béante en France. Son éviction est un symptôme d’un malaise plus profond : une société incapable d’assumer son passé se condamne à l’incohérence. Tant que la France refusera d’affronter ses crimes coloniaux, elle continuera à brandir une liberté d’expression à deux vitesses. Une liberté pour humilier et provoquer, jamais pour questionner. Mais l’histoire a toujours le dernier mot. Et le sort réservé à Aphatie ne fait que confirmer une évidence : en France, certaines vérités restent insupportables à entendre.
Meriem B.