Lenoir et les Algériens

Par Khaled Boulaziz – Il fallait bien que Noëlle Lenoir refasse surface. Non pas avec l’élégance d’une juriste, ni avec la gravité d’une fonctionnaire soucieuse du bien commun, mais avec la vulgarité d’un crachat télévisé. L’article Lenoir et les Algériens est apparu en premier sur Algérie Patriotique.

Août 12, 2025 - 05:58
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Lenoir et les Algériens

Par Khaled Boulaziz – Il fallait bien que Noëlle Lenoir refasse surface. Non pas avec l’élégance d’une juriste rompue aux subtilités du droit, ni avec la gravité d’une haute fonctionnaire soucieuse du bien commun, mais avec la vulgarité d’un crachat télévisé. Sur CNews, cette basse fosse cathodique où la haine se recycle en «opinion», elle a peint les Algériens de France comme une «meute suspecte», tapie dans les gares et les métros, prêts – selon ses fantasmes – à mordre la République. Et elle l’a dit avec la froideur clinique d’un verdict.

La liste de ses titres est pourtant un inventaire de réussites : première femme nommée au Conseil constitutionnel (1992-2001), ministre des Affaires européennes (2002-2004), présidente du Comité international de bioéthique de l’Unesco, conseillère d’Etat, avocate dans de prestigieux cabinets internationaux. Ajoutez à cela les décorations : officier de la Légion d’honneur, grand officier de l’Ordre national du Mérite, distinctions belges, polonaises, allemandes, doctorats honoris causa aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Un parcours que l’on pourrait croire destiné à forger un esprit large, tolérant, soucieux de justice.

Mais non. Les honneurs n’ont pas adouci l’obsession. Les médailles n’ont pas effacé la haine. Lenoir a conservé intacte cette rancune ethnique qui voit dans l’Algérien un corps étranger, une anomalie. Le langage a changé – plus juridique, plus policé – mais le fond reste le même que celui des préfets du couvre-feu : assigner, stigmatiser, étiqueter. L’Algérien de France est pour elle ce que le Palestinien de Gaza est pour les stratèges israéliens : une présence de trop, une existence à justifier, une menace à circonscrire. Et ce n’est pas un dérapage. C’est une ligne. Une ligne héritée et assumée.

Ce sont les mêmes qui, hier, ont applaudi Sétif et Guelma, les mains tachées du sang des «indigènes», et qui, aujourd’hui, du confort capitonné des studios, jubilent devant les images de Gaza sous les bombes. La géographie a changé, les cibles aussi, mais la jubilation est intacte : la soumission de l’autre reste un spectacle, une tradition, presque un rite de passage transmis de génération en génération.

Dans ses propos, il n’y a ni maladresse ni spontanéité. C’est une rhétorique huilée, une mécanique. Derrière, dans les conciles fermés, dans les salons où l’on ne parle qu’entre soi, se dessine l’architecture invisible du pouvoir communautaire. On y trouve une poignée d’élus, d’édiles, de médiateurs autoproclamés, qui dictent à voix basse la ligne à tenir : défendre aveuglément l’Etat d’Israël, criminaliser toute parole qui respire l’Algérie ou la Palestine, modeler l’espace public jusqu’à en effacer l’empreinte des vaincus de l’histoire.

Lenoir parle depuis cet espace feutré. Elle en est l’émissaire polie, la magistrature en tailleur, le visage présentable d’une ligne dure. Elle a côtoyé les cabinets ministériels, le Conseil constitutionnel, les négociations européennes, mais c’est sur un plateau télé qu’elle choisit de verser son venin. Preuve que, pour cette élite, la télévision n’est plus seulement un lieu de débat, mais une chambre d’exécution symbolique où l’on condamne des communautés entières sans appel.

Lorsqu’elle prononce ce «ils n’ont rien à faire ici», elle sait que le «ici» est piégé. Car ce «ici» a été bâti avec le sang, la sueur et les humiliations des Algériens depuis 1830. Ce «ici» porte les chantiers, les usines, les tranchées de 14-18, les bombardements de 39-45, la reconstruction d’après-guerre. Mais dans sa bouche, il devient une frontière invisible, un permis de séjour moral délivré ou retiré selon des critères ethniques et politiques.

Et l’on ne peut ignorer l’ombre portée du Crif. Officiellement, il ne parle pas à travers elle. Officieusement, la convergence est totale. Les réseaux, les connivences, les affinités idéologiques font que ce type de discours sert une cause plus vaste : verrouiller le récit national, expulser mentalement l’Algérien de la citoyenneté pleine et consolider l’idée qu’il y a un «nous» qui décide et un «eux» qui subit.

Ce «nous» se réunit dans des cénacles où l’on parle à mots couverts de «sécurité publique», comme on parlait jadis de «pacification». On échange des chiffres, des courbes, des incidents, et l’on en tire des phrases calibrées pour le 20 heures : phrases qui sentent la «gestion des risques», mais qui disent en creux que certaines vies valent moins que d’autres. L’Algérien est un cas à traiter, un dossier à fermer. Et le parallèle avec Gaza est glaçant : mêmes tableaux PowerPoint, mêmes justifications, mêmes regards fermés sur la réalité des corps brisés.

Ce qui choque, ce n’est pas que Lenoir ait été ministre ou membre du Conseil constitutionnel. C’est qu’après avoir occupé ces fonctions, elle se serve de son capital symbolique pour légitimer la mise à l’écart d’une partie de la population. C’est qu’elle ait choisi la parole accusatrice plutôt que la défense de la République pour tous. Ses décorations et distinctions deviennent alors ironiques : elles ne sont plus les signes d’une carrière exemplaire, mais les épaulettes d’une générale dans la guerre froide intérieure menée contre les héritiers d’Algérie.

Lenoir incarne ainsi un paradoxe toxique : la femme de pouvoir qui, au lieu d’élargir l’horizon, le rétrécit. Qui transforme son expérience institutionnelle en arme idéologique. Qui, après avoir signé des déclarations sur le «génome humain et les droits de l’Homme», se permet de hiérarchiser implicitement les droits selon l’origine. Et derrière elle, la communauté politique qui la félicite sait qu’elle a bien joué son rôle : tester les limites du discours public, préparer le terrain, habituer l’oreille à l’idée que certains ne sont pas vraiment d’«ici».

Mais il y a une erreur dans leur calcul : l’Algérien de France n’a pas oublié Sétif et Guelma. Il voit Gaza et comprend. Il sait que la haine qui le vise ici est la sœur jumelle de celle qui bombarde là-bas. Il sait aussi que ces propos ne sont pas des accidents, mais des signaux. Et il répondra. Pas seulement dans la polémique, mais dans l’histoire, là où les Lenoir d’aujourd’hui deviennent les notes de bas de page des résistances de demain.

Votre peur est notre preuve. Votre haine, notre miroir. Votre discours, Noëlle Lenoir, n’est pas celui d’une juriste éprise de droit, mais celui d’une héritière du vieux colonialisme, habillé en tailleur, récité avec l’assurance de celle qui croit parler au nom de la France. Mais la France réelle, celle qui se construit dans ses rues, ses livres et ses consciences, n’a que faire de vos conciles d’initiés. Elle finira par vous enterrer, avec vos phrases, sous la poussière des discours qui n’ont jamais pu briser la dignité de ceux qu’ils voulaient réduire au silence.

K. B.

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