La statue Notre Dame de la Paix de Constantine: Un symbole oublié dans une ville millénaire

On a beau visiter Constantine à plusieurs reprises, il y a toujours quelque chose d’inconnu, de secret, de tu. C’est le cas de la statue de Notre Dame de la Paix, un monument discret, presque effacé de la mémoire collective, bien qu’il domine encore la plaine du Hamma, à proximité immédiate du Monument aux morts. […]

Août 2, 2025 - 23:23
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La statue Notre Dame de la Paix de Constantine: Un symbole oublié dans une ville millénaire

On a beau visiter Constantine à plusieurs reprises, il y a toujours quelque chose d’inconnu, de secret, de tu. C’est le cas de la statue de Notre Dame de la Paix, un monument discret, presque effacé de la mémoire collective, bien qu’il domine encore la plaine du Hamma, à proximité immédiate du Monument aux morts. Peu de Constantinois en parlent ouvertement. Il aura fallu un événement douloureux, un acte de vandalisme à Sétif, pour que ce monument refasse surface dans les discussions.

Par Hafit Zaouche

En décembre 2017, un islamiste s’en est violemment pris à la célèbre statue d’Aïn El Fouara à Sétif, la mutilant à coups de marteau. Le pays tout entier en a été choqué. Ces images, d’une violence insoutenable, ont réveillé des blessures profondes : celles de la décennie noire, durant laquelle des femmes furent assassinées parce qu’elles n’étaient pas voilées, des artistes réduits au silence, des symboles culturels détruits. L’ombre de l’extrémisme plane toujours, discrète mais menaçante, comme une bête endormie que le moindre geste peut réveiller.
C’est à la suite de cette tragédie qu’un ami constantinois, poussé par l’émotion, a évoqué l’existence d’un autre monument, oublié : celui de Notre Dame de la Paix. Inaugurée le dimanche 22 mai 1960, cette statue chrétienne, dressée à Constantine au sommet d’une colline dominant le Hamma, fait aujourd’hui partie d’une zone militaire. Elle n’est plus accessible au public, comme si l’on avait volontairement mis entre parenthèses une part du passé pluriel de la ville. Pourtant, la simple existence de cette statue en dit long sur Constantine. Ville de croisements, ville-pont au sens propre comme au figuré, elle a toujours été un carrefour de civilisations. Elle n’est pas seulement l’une des plus anciennes villes d’Algérie, elle est l’une des plus anciennes villes du monde encore habitées, avec des racines plongeant dans les profondeurs de la Préhistoire.
C’est sous le nom de Cirta que la ville prend forme, capitale du royaume numide sous Syphax, puis sous Massinissa durant la deuxième guerre punique. Avec ce dernier, la ville s’agrandit, se développe, devient prospère et commerçante. C’est alors une cité céréalière qui exporte vers Rome, un centre politique et militaire de premier ordre.
Constantine, accrochée à son rocher, défie les siècles. Ses ponts suspendus au-dessus des gorges du Rhumel, ses palais ottomans, ses medersas, ses places, tout en elle respire l’histoire. Une histoire faite de strates, de métissages, de mémoires parfois concurrentes mais toujours entremêlées. La statue de Notre Dame de la Paix s’inscrit dans cette chronologie complexe, héritage d’une époque coloniale certes, mais aussi témoignage d’un moment où les croyances et les symboles coexistaient. Pourquoi, alors, ce silence ? Pourquoi cette gêne, ce tabou autour de ce monument ? Est-ce par peur de heurter, dans un contexte encore fragilisé par les discours de haine ? Est-ce par volonté d’effacer certains pans de l’histoire ? Ou bien par simple oubli ?
Il est temps, peut-être, de réapprendre à regarder ces symboles avec un regard apaisé, historique, curieux. Non pas dans l’optique d’en faire des icônes intouchables, mais de les replacer dans le grand récit de ce pays, qui ne saurait être amputé de ses nuances. Constantine, ville millénaire, mérite de faire la paix avec toutes ses mémoires, même celles qu’on préfère taire.
La statue de Notre Dame de la Paix, nichée dans les hauteurs de Constantine, veille encore en silence. Peut-être attend-elle simplement qu’on se souvienne d’elle autrement : non plus comme une relique étrangère, mais comme un fragment d’histoire algérienne. H. Z.