La veille du 27e jour du Ramadhan à Constantine : "Chebah Sofra", un mets chargé d'histoire

CONSTANTINE- La ville de Constantine, avec ses ruelles et ses quartiers témoins des civilisations qui se sont succédé sur cette cité millénaire, est détentrice d'un patrimoine culinaire riche par ses plats traditionnels, notamment "Chebah Sofra", un mets ancestral qui, à la veille du 27e jour du Ramadhan, ravive des récits d'antan, du temps des beys et des sultans. Ce plat remonte à plus de 500 ans et continue d’orner, avec sa teinte dorée et son goût sucré, les tables des familles constantinoises lors des célébrations spécifiques à la 27e nuit du Ramadhan, souvent marquée par des fêtes de circoncision, des cérémonies de clôture de la récitation du Coran et l'observation de La Nuit du Destin (Laylat al-Qadr). Dans l'imaginaire populaire, beaucoup croient que le plat "Chebah Sofra" appartient à la cuisine ottomane et que la légende veut qu'il ait été spécialement préparé pour le Bey Salah par sa fille. Selon cette légende, la fille de Salah Bey, soucieuse de préparer un mets d'exception pour honorer son père lors d'une grande réception organisée à l'occasion de la 27e nuit du Ramadan, aurait imaginé ce plat. Inspirée par les ingrédients nobles et raffinés disponibles à cette époque, elle aurait décidé de marier la douceur du miel et la saveur des amandes avec la subtilité des épices et de l'eau de fleur d'oranger, créant ainsi un plat à la fois élégant et savoureux. Séduit par le goût raffiné et la présentation soignée du plat, Salah Bey aurait déclaré que ce mets méritait d’être servi sur la "Sofra", terme désignant en arabe la grande table garnie de plats raffinés réservée aux invités de marque et aux grandes occasions. Quant au mot "Chebah", il évoque la forme particulière des morceaux de viande ou de pâte d'amande finement sculptés, rappelant les bijoux ou les ornements précieux que portaient les femmes constantinoises lors des grandes cérémonies. Ainsi, l’appellation "Chebah Sofra" traduit l’idée d’un plat d’apparat, aussi beau qu’un bijou et digne des grandes tables. Cependant, la réalité historique révélée par Mme Halima Ali Khodja, professeure retraitée de l’Université Abdelhamid Mehri - Constantine 2 et conservatrice des bibliothèques universitaires de la wilaya, contredit cette version. Dans une déclaration à l'APS, cette chercheuse en anthropologie et en patrimoine soutient que les recherches historiques confirment que ce plat trouve son origine dans la culture constantinoise et remonterait plus précisément à l’époque de la grande vague migratoire andalouse consécutive à la chute de Grenade en 1492, soit un quart de siècle avant l’arrivée des Ottomans. Ali Khodja souligne que Constantine, de par son emplacement stratégique et son riche passé, a été témoin de nombreuses civilisations, parmi lesquelles les Numides, les Omeyyades, les Zirides, les Andalous, avant l’arrivée des Ottomans. Elle ajoute que le plat "Chebah Sofra" est resté un élément central de l’identité culinaire de la ville malgré ces influences successives.                                                        Une préparation accompagnée de récits des ancêtres   Dans le restaurant traditionnel "Siniyet El Bey", situé au cœur de Constantine, M. Bey Ben Achour, propriétaire des lieux, perpétue la tradition en préparant "Chebah Sofra" selon la méthode authentique constantinoise. "Le secret de la réussite de ce plat réside dans l’équilibre entre le sucré et le salé", explique-t-il, ajoutant que la qualité des ingrédients est primordiale, notamment l’amande, qui constitue l’un des éléments clés offrant à ce plat sa saveur particulière. Au fil des étapes de préparation, les effluves de cannelle et de fleur d'oranger emplissent l’air, évoquant les souvenirs des cuisines constantinoises d’antan où les femmes s’appliquaient à réaliser ce mets lors des grandes réjouissances familiales et des célébrations religieuses, en particulier la première nuit du Ramadhan, la mi-Ramadhan et le 27ème du mois béni. Rencontrée dans une des ruelles animées du centre-ville de Constantine, où l’effervescence du marché bat son plein durant ce mois sacré, une vieille dame confie fièrement avoir appris la recette de "Chebah Sofra" de sa mère. "J’ai appris ce plat de ma mère, c’est une tradition à laquelle nous ne pouvons renoncer. Chebah Sofra fait partie intégrante de notre identité et il est essentiel de le préserver", affirme-t-elle, avec émotion. Un peu plus loin, une jeune femme, tenant la main de sa fille, souligne l’importance de transmettre ce savoir-faire culinaire aux générations futures. "Je m’efforce d’apprendre à ma fille comment préparer ce plat car il est crucial de perpétuer ces traditions familiales. D’ailleurs, ce plat est incontournable lors du Ramadan, surtout lors de la 27e nuit bénie", confie-t-elle. Entre la douceur du miel et la saveur des amandes, mêlés à la richesse des traditions constantinoises, "Chebah Sofra" demeure un symbole fort de l’attachement des Algériens à leur patrimoine ancestral. Ainsi, à la veille du 27e jour du R

Mars 26, 2025 - 19:20
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La veille du 27e jour du Ramadhan à Constantine : "Chebah Sofra", un mets chargé d'histoire
La veille du 27e jour du Ramadhan à Constantine :

CONSTANTINE- La ville de Constantine, avec ses ruelles et ses quartiers témoins des civilisations qui se sont succédé sur cette cité millénaire, est détentrice d'un patrimoine culinaire riche par ses plats traditionnels, notamment "Chebah Sofra", un mets ancestral qui, à la veille du 27e jour du Ramadhan, ravive des récits d'antan, du temps des beys et des sultans.

Ce plat remonte à plus de 500 ans et continue d’orner, avec sa teinte dorée et son goût sucré, les tables des familles constantinoises lors des célébrations spécifiques à la 27e nuit du Ramadhan, souvent marquée par des fêtes de circoncision, des cérémonies de clôture de la récitation du Coran et l'observation de La Nuit du Destin (Laylat al-Qadr).

Dans l'imaginaire populaire, beaucoup croient que le plat "Chebah Sofra" appartient à la cuisine ottomane et que la légende veut qu'il ait été spécialement préparé pour le Bey Salah par sa fille.

Selon cette légende, la fille de Salah Bey, soucieuse de préparer un mets d'exception pour honorer son père lors d'une grande réception organisée à l'occasion de la 27e nuit du Ramadan, aurait imaginé ce plat.

Inspirée par les ingrédients nobles et raffinés disponibles à cette époque, elle aurait décidé de marier la douceur du miel et la saveur des amandes avec la subtilité des épices et de l'eau de fleur d'oranger, créant ainsi un plat à la fois élégant et savoureux.

Séduit par le goût raffiné et la présentation soignée du plat, Salah Bey aurait déclaré que ce mets méritait d’être servi sur la "Sofra", terme désignant en arabe la grande table garnie de plats raffinés réservée aux invités de marque et aux grandes occasions.

Quant au mot "Chebah", il évoque la forme particulière des morceaux de viande ou de pâte d'amande finement sculptés, rappelant les bijoux ou les ornements précieux que portaient les femmes constantinoises lors des grandes cérémonies. Ainsi, l’appellation "Chebah Sofra" traduit l’idée d’un plat d’apparat, aussi beau qu’un bijou et digne des grandes tables.

Cependant, la réalité historique révélée par Mme Halima Ali Khodja, professeure retraitée de l’Université Abdelhamid Mehri - Constantine 2 et conservatrice des bibliothèques universitaires de la wilaya, contredit cette version.

Dans une déclaration à l'APS, cette chercheuse en anthropologie et en patrimoine soutient que les recherches historiques confirment que ce plat trouve son origine dans la culture constantinoise et remonterait plus précisément à l’époque de la grande vague migratoire andalouse consécutive à la chute de Grenade en 1492, soit un quart de siècle avant l’arrivée des Ottomans.

Ali Khodja souligne que Constantine, de par son emplacement stratégique et son riche passé, a été témoin de nombreuses civilisations, parmi lesquelles les Numides, les Omeyyades, les Zirides, les Andalous, avant l’arrivée des Ottomans. Elle ajoute que le plat "Chebah Sofra" est resté un élément central de l’identité culinaire de la ville malgré ces influences successives.

       

                                               Une préparation accompagnée de récits des ancêtres

 

Dans le restaurant traditionnel "Siniyet El Bey", situé au cœur de Constantine, M. Bey Ben Achour, propriétaire des lieux, perpétue la tradition en préparant "Chebah Sofra" selon la méthode authentique constantinoise.

"Le secret de la réussite de ce plat réside dans l’équilibre entre le sucré et le salé", explique-t-il, ajoutant que la qualité des ingrédients est primordiale, notamment l’amande, qui constitue l’un des éléments clés offrant à ce plat sa saveur particulière.

Au fil des étapes de préparation, les effluves de cannelle et de fleur d'oranger emplissent l’air, évoquant les souvenirs des cuisines constantinoises d’antan où les femmes s’appliquaient à réaliser ce mets lors des grandes réjouissances familiales et des célébrations religieuses, en particulier la première nuit du Ramadhan, la mi-Ramadhan et le 27ème du mois béni.

Rencontrée dans une des ruelles animées du centre-ville de Constantine, où l’effervescence du marché bat son plein durant ce mois sacré, une vieille dame confie fièrement avoir appris la recette de "Chebah Sofra" de sa mère.

"J’ai appris ce plat de ma mère, c’est une tradition à laquelle nous ne pouvons renoncer. Chebah Sofra fait partie intégrante de notre identité et il est essentiel de le préserver", affirme-t-elle, avec émotion.

Un peu plus loin, une jeune femme, tenant la main de sa fille, souligne l’importance de transmettre ce savoir-faire culinaire aux générations futures. "Je m’efforce d’apprendre à ma fille comment préparer ce plat car il est crucial de perpétuer ces traditions familiales. D’ailleurs, ce plat est incontournable lors du Ramadan, surtout lors de la 27e nuit bénie", confie-t-elle.

Entre la douceur du miel et la saveur des amandes, mêlés à la richesse des traditions constantinoises, "Chebah Sofra" demeure un symbole fort de l’attachement des Algériens à leur patrimoine ancestral.

Ainsi, à la veille du 27e jour du Ramadhan, lorsque les familles se réunissent autour de ce mets raffiné, elles ne savourent pas seulement un plat exquis, mais évoquent aussi un long passé de fierté et de noblesse, digne d’être transmis aux générations futures.