Mouloud Feraoun, assassiné par l’OAS trois jours avant les accords d’Evian:  « La guerre se termine, vive la liberté »

‘’Vive la liberté !’’. Il a hâte d’y être, le ton exclamatif en témoigne. En instituteur très pointilleux sur « le bon usage » de la langue française, en romancier désireux de partager ses émotions avec le lecteur, Mouloud Feraoun tient à émailler sa phrase du plus émotif des points de ponctuation. L’année 1962 est à sa cinquième […] The post Mouloud Feraoun, assassiné par l’OAS trois jours avant les accords d’Evian:  « La guerre se termine, vive la liberté » appeared first on Le Jeune Indépendant.

Juil 4, 2025 - 16:33
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Mouloud Feraoun, assassiné par l’OAS trois jours avant les accords d’Evian:   « La guerre se termine, vive la liberté »

‘’Vive la liberté !’’. Il a hâte d’y être, le ton exclamatif en témoigne. En instituteur très pointilleux sur « le bon usage » de la langue française, en romancier désireux de partager ses émotions avec le lecteur, Mouloud Feraoun tient à émailler sa phrase du plus émotif des points de ponctuation. L’année 1962 est à sa cinquième semaines et « Le Fils du pauvre » se projette déjà vers le Jour J.

Le dénouement tant espéré de la guerre, il l’appelle de ses vœux et avec impatience. Vivement la liberté, vivement l’entrée de l’Algérie en guerre dans une nouvelle ère. Cela fait deux ans que, sous l’effet d’une chronologie émaillée de menaces quasi-quotidiennes et de bilans macabres, sa plume dénonce l’OAS et sa ‘’politique de la terre brûlée’’. A raison d’une note par jour, le brillant élève de l’Ecole normale supérieure de Bouzaréah tient un journal destiné, le moment venu, à être publié.

Selon un rituel qu’il semble affectionner depuis son retour au pouvoir en mai 1958, le général de Gaulle a rendez-vous, ce lundi 5 février 1962, avec le tube cathodique. Enième allocution télévisée et nouvelle adresse aux Français. Que dira le Général ? A l’instar de Mouloud Feraoun, les Algériens – sans TV à l’époque — restent à l’écoute de la radio et attendent les journaux à paraître le lendemain.

Au menu de l’intervention du chef de l’Etat, son bilan de mi-mandat et la présentation de ce qui reste à accomplir jusqu’à 1965, date de la fin du septennat. Immanquablement, le sujet algérien sera évoqué, des négociateurs des deux camps s’apprêtant à rallier les Rousses (Jura) pour une première rencontre officielle du 11 au 18 février. L’auteur de l’illustre trilogie publiée chez le Seuil – « Le Fils du pauvre » (1950), « La Terre et le Sang » (1953) et « Les Chemins qui montent » (1957) – prend son stylo pour raconter son ‘’ressenti’’ du jour.

Contrairement aux notes des jours précédents, le propos daté du 5 février 1962 est court. Trois paragraphes, pas un de plus. Au-delà du constat – évocation du moment et charge acérée contre une OAS plus que jamais va-t-en-guerre –, le natif de Tizi Hibel s’installe par anticipation dans le futur immédiat. Un printemps algérien qui se profile à l’horizon immédiat.

Paix à ceux qui vont survivre

‘’De Gaulle, écrit-il, va parler pour annoncer la fin très proche de la guerre d’Algérie. Combien va-t-elle exiger de victimes cette fin très proche ? Maintenant l’OAS ne prévient plus personne, paraît-il, elle abat en voiture, à moto, à la grenade, à la rafale, à l’arme blanche. Elle attaque les caisses des banques, des postes, des sociétés, mise en scène de « Série noire » avec la complicité des uns, et la lâcheté de tous (…) La guerre d’Algérie se termine. Paix à ceux qui sont morts.

Paix à ceux qui vont survivre. Cesse la terreur. Vive la liberté !’’.  En tenant à faire accompagner « vive la liberté » d’un point d’exclamation, l’écrivain ne fait pas que terminer sa note au moyen d’un simple signe typographique. Il convoque le plus parlant des signes de ponctuation, histoire de montrer à quel point la liberté et l’indépendance le tiennent à cœur.

Visiblement, l’inspecteur du service des Centres sociaux éducatifs – structures voulues par l’ethnologue Germaine Tillon – se prépare à goûter à la liberté. Destin tragique, il ne la vivra pas. Quand il écrit cette phrase dans l’avant-dernière page de son manuscrit, notent Benjamin Stora et le journaliste-écrivain Renaud de Rochebrune dans « La guerre d’Algérie vue par les Algériens » (Denoël, 2016), Feraoun ne sait pas que cinq semaines plus tard, il ne fera plus partie de ceux « qui vont survivre ».

Les six victimes de lassassinat de Chateau Royal e1751643110232

Les victimes de Château royal

Le 15 mars 1962, il est assassiné par l’OAS. Liste en main, un commando de tueurs fait irruption vers 10h30 à l’intérieur du Château-Royal (Ben-Aknoun), là où, cohabitant avec une école dédiée aux jeunes filles, le service des Centre sociaux a établi son siège. « Fouroulou » a été lâchement exécuté en même temps que cinq de ses amis et collègues, tous inspecteurs des Centres sociaux : Jean-Philippe Ould Aoudia, Ali Hamoutène, Max Marchand (le chef du service des CS), Marcel Basset et Robert Eymard. « Le fils du Pauvre » et ses amis ont été assassinés trois jours avant la signature des accords d’Evian, quatre jours avant l’entrée en vigueur du cessez-le-feu et 112 jours avant le jour de l’indépendance.

Le fils du pauvre

Jean Amrouche, qui succombera à une longue maladie un mois et deux jours après l’odieux et lâche forfait du Château-Royal, est le premier à réagir. Epuisé par la maladie malgré son jeune âge (56 ans), le fils Fatma Ait Mansour Amrouche et le frère de Taos a du mal à contenir sa douleur face à la perte de son cadet. ‘’Je ne connaissais de lui que ses livres, surtout le Fils du pauvre, qui deviendra un classique de la littérature algérienne d’expression française. Nous n’avions certainement pas le même panthéon ni les mêmes règles de jugement concernant les choses et l’Être. Mais il était un homme de mon pays, forgé comme tous les Kabyles à la sévère loi du nisf (…)

L’OAS, qui vit de haine, en tuant Mouloud Feraoun, a visé l’espoir au cœur. Mais l’espoir est indestructible. Maintenant, le témoignage de Feraoun, sacrifié à l’Algérie nouvelle, va prendre son sens plein et sa très haute portée : des Français et des Algériens qui travaillaient ensemble à la même œuvre de lumière et d’amitié humaine sont morts ensemble, sous les coups du même ennemi fasciste, et pour le même crime selon ce dernier : vouloir l’homme libre, fier de décliner son vrai nom, heureux d’avoir sa patrie et confiant dans un avenir où le fils du pauvre, quel que soit, peut avoir sa chance d’accomplir une grande destinée’’.

C’est l’écrivain Emmanuel Roblès (Oran 1914-Paris 1995) qui a suggéré à Mouloud Feraoun l’idée de consigner ses observations dans un journal. Venu de Kabylie, « Le Fils du pauvre » dirigeait une école au Clos Salembier (El Madania). Emmanuel Roblès habitait un quartier voisin. ‘’C’était un merveilleux conteur et nous pouvions passer la nuit à l’écouter. Dès le début de l’insurrection, il nous rapportait tant de faits, tant d’anecdotes que je lui avais vivement conseillé de les noter.

Il me paraissait, en effet, regrettable qu’une telle moisson se perdit. Je finis par convaincre Feraoun qui s’imposa cette discipline surtout dans le dessein d’utiliser plus tard ces souvenirs pour une œuvre élaborée’’. La première note du « Journal » est datée du 1er novembre 1955. Quand Feraoun remet le manuscrit au Seuil, celle du 5 février 1962 et son « Vive la liberté » est la dernière de la série. Emmanuel Roblès trouvera quatre autres notes – les toutes dernières — dans les papiers de Feraoun. Elles sont datées du 28 février, du 2 mars, du 9 mars et du 14 mars. C’est lui qui les remettra au Seuil, accompagnées d’une préface. Le « Journal » sort à l’automne.

‘’Qu’il m’est difficile de parler de lui à présent qu’il n’est plus ! Et d’ailleurs, quel portrait vaudrait mieux que celui qui surgit de ces pages ?’’, écrit Roblès. ‘’Oui, le voici tel qu’il était, patient généreux, obstiné, tout imprégné des vertus de ces montagnards de Kabylie épris d’honneur et de justice. Le voici avec sa sympathie humaine, sa confiance dans les êtres et aussi avec ses colères e ses déchirements qu’il me livrait à chaque rencontre, dans chaque lettre, et qui répondaient si précisément aux miens’’. Principe de précaution, explique Roblès, Mouloud Feraoun rédigeait son journal ‘’sur des cahiers d’écolier qu’il mêlait aux cahiers de ses élèves’’.

‘’Cette ruse, il en savait lui-même la naïveté. Il avait bien des raisons de se méfier, comme tous les libéraux qui, à l’époque, vivaient sous la menace de perquisitions. Il lui arriva de me confier certains de ces cahiers qu’il jugeait les plus compromettants. Je les cachais dans mon jardin, avec mes propres documents, car je militais alors dans le comité d’Espoir-Algérie et l’on avait aussi un œil fixé sur moi. Puis vinrent pour Feraoun comme pour nous tous les premières lettres de menace’’.

A partir de 1956, « Le Fils du pauvre » était de plus en plus désireux d’agir sur le front des idées et de témoigner. Cette volonté, précise Emmanuel Roblès, ‘’lui inspira également l’idée de publier son Journal, mais au Seuil on hésitait, dans la crainte qu’une telle publication, à l’heure même où les passions s’exaspéraient plus que jamais, n’entraînât des représailles contre l’auteur.

Comme je partageais ces craintes, Feraoun m’écrivit pour insister : « S’il ne paraît pas en ce moment, on m’accusera plus tard de lâcheté et alors il vaudra mieux qu’il ne paraisse jamais. ». Lorsqu’il m’envoya cette lettre, la mort déjà se tenait tout près de lui, vigilante, comme dans ces contes orientaux où elle attend on ne sait quel mystérieux signal. Il en avait une telle prescience que, le 14 mars, avant de terminer la soirée avec son fils Ali, il entraîna sa femme au fond du jardin pour lui faire ses plus pressantes recommandations en cas de malheur.

 

Réaction de Germain Tillon :

Assassiné par les ‘’singes sanglants qui font la loi à Alger’’

‘’Mouloud Feraoun était un écrivain de grande race, un homme fier et modeste à la fois, mais quand je pense à lui, le premier mot qui me vient aux lèvres c’est le mot : bonté…C’était un vieil ami qui ne passait jamais à Paris sans venir me voir. J’aimais sa conversation passionnante, pleine d’humour, d’images, toujours au plus près du réel, – mais à l’intérieur de chaque événement décrit il y avait toujours comme une petite lampe qui brillait tout doucement : son amour de la vie, des êtres, son refus de croire à la totale méchanceté des hommes et du destin (…) Et la bêtise, le féroce bêtise l’a tué. Non pas tué : assassiné. Froidement, délibérément (…) Cet honnête homme, cet homme bon, cet homme qui n’avait jamais fait de tort à quiconque, qui avait dévoué sa vie au bien public, qui était l’un des plus grands écrivains de l’Algérie, a été assassiné… Non pas par hasard, non pas par erreur, mais appelé par son nom, tué par préférence, et cet homme qui croyait à l’humanité a gémi et agonisé quatre heures, – non pas par la faute d’un microbe, d’un frein qui casse, d’un des mille accidents qui guettent nos vies, mais parce que cela entrait dans les calculs imbéciles des singes sanglants qui font la loi à Alger’’ (in Le Monde).  

 

 

 

 

 

 

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