La ville fait face aujourd’hui à une situation aussi préoccupante que symbolique : la fermeture forcée du siège de l’inspection divisionnaire des Douanes, situé au cœur du port de la ville, dans l’enceinte historique de la Petite Darse, et la menace imminente de ruine pesant sur un édifice classé parmi les témoins majeurs du patrimoine architectural du début du vingtième siècle (voir notre édition du 27 juin 2025). C’est à la fin du mois de juin 2025 que la direction générale des Douanes a été contrainte de prendre la décision, exceptionnelle par sa portée, d’évacuer dans l’urgence l’ensemble du personnel travaillant au sein du siège de l’inspection divisionnaire des Douanes de Annaba, après la constatation de désordres structurels sévères survenus dans l’ossature du bâtiment. Ces dégradations sont apparues à la suite des travaux de confortement et de consolidation menés sur le Quai Warnier (ou Quai Nord de la Petite Darse), dans le cadre d’un projet portuaire piloté par l’Entreprise Portuaire d’Annaba (EPAN) et confié à l’entreprise nationale Cosider, dans le but de renforcer la stabilité des infrastructures portuaires anciennes. Cependant, ces travaux ont eu pour effet collatéral direct de compromettre l’intégrité structurelle du siège douanier mitoyen, dont les fondations, en lien physique et géologique avec celles du quai, ont subi un affaissement partiel, entraînant fissures majeures, déformations, tassements et instabilité généralisée de l’ouvrage.
Intervention immédiate et lancement d’une expertise
Aussitôt alertées par les premiers signes de danger, les hautes autorités de la wilaya, en coordination avec les services techniques compétents, ont instruit la direction régionale des Douanes de procéder, sans délai, à l’évacuation complète des agents et à la mise en sécurité du site, désormais considéré comme potentiellement dangereux pour l’occupation humaine. Dans un souci de transparence et de rigueur technique, il a été demandé à l’EPAN, en tant que maître d’ouvrage principal des travaux portuaires en cause, de mandater le Centre de Diagnostic et d’Expertise (CDE), structure spécialisée sous tutelle du Contrôle Technique de la Construction (CTC), pour mener une expertise complète, rigoureuse et indépendante de l’état général de l’édifice. Le rapport technique émis par le CDE est alarmant : le bâtiment est désormais classé dans les catégories quatre et cinq du barème national de pathologie du bâti, soit le niveau le plus critique, qualifiant l’immeuble d’édifice en péril imminent, présentant un risque sérieux d’effondrement partiel ou total en cas d’aggravation.
Bâtiment administratif et fleuron patrimonial
Au-delà de sa seule fonction de bâtiment administratif, le siège de l’inspection divisionnaire des Douanes constitue un témoignage exceptionnel du patrimoine architectural, portuaire et urbain de la ville. Construit entre 1910 et 1912, suite à la démolition du Fort Cigogne en 1908, ce bâtiment fut l’un des premiers hôtels des Douanes érigés en Algérie. Il est l’œuvre de l’illustre architecte municipal Edmond-Édouard Gossolin Fils, également lui et son Père auteurs de plusieurs édifices publics emblématiques de l’époque coloniale, ayant profondément marqué l’esthétique urbaine de la ville. S’inscrivant pleinement dans la mouvance architecturale dite « néo-mauresque » ou « arabizante », très en vogue au tournant du vingtième siècle, ce bâtiment associe sobriété administrative et ornementation inspirée de l’architecture arabo-andalouse (arcs en plein cintre, carreaux céramiques, colonnes galbées, corniches sculptées…), témoignant d’un dialogue esthétique entre modernité technique et références locales. De par son emplacement stratégique sur la façade maritime, sa fonction historique au service de l’État et sa valeur architecturale indéniable, cet édifice représente un symbole de l’autorité douanière, du développement portuaire d’Annaba et de l’histoire administrative moderne de l’Algérie.
Démolition ou restauration ?
Face à l’ampleur du sinistre et à la sévérité du diagnostic technique, les institutions compétentes se retrouvent désormais devant une alternative lourde de conséquences : envisager la démolition de l’édifice, pour prévenir tout danger et permettre la continuité de l’activité douanière dans un bâtiment neuf, ou, comme le réclament de nombreuses voix, mobiliser de toute urgence les volontés publiques pour engager un programme de sauvegarde, de restauration et de mise en valeur de ce patrimoine architectural unique.
Pour une intervention immédiate et structurée
Considérant la valeur historique, identitaire et patrimoniale de cet édifice, il apparaît essentiel de lancer un appel officiel et pressant à toutes les autorités publiques concernées. Sont directement visées la direction de la Culture de la wilaya, le ministère de la Culture et des Arts, les services de l’urbanisme, de la construction et du patrimoine, les institutions nationales de conservation du patrimoine, ainsi que les élus locaux et nationaux, les architectes du patrimoine, les universitaires et la société civile. Cet appel vise à classer ce bâtiment en priorité patrimoniale urgente, à mobiliser des financements d’urgence pour la sécurisation du site, puis à élaborer un plan de restauration intégré, sous l’égide d’experts pluridisciplinaires, afin de préserver ce témoin précieux de l’histoire douanière, portuaire et architecturale d’Annaba.
Préserver la mémoire, agir pour l’avenir
Le siège de l’inspection divisionnaire des Douanes d’Annaba n’est pas un bâtiment comme les autres. Il est une part vivante de la mémoire collective, un repère patrimonial visible, un fragment d’histoire partagée par plusieurs générations d’habitants, de fonctionnaires, de navigateurs et de commerçants. Le laisser sombrer dans l’oubli ou la ruine serait une perte irréversible, tant sur le plan symbolique que culturel. Il est temps d’agir, de manière concertée, rapide et résolue, pour lui redonner sa place dans le tissu urbain, sa valeur dans le récit patrimonial, et sa fonction dans l’organisation publique. Il en va de l’honneur de notre mémoire urbaine, mais aussi de la responsabilité que nous avons envers les générations futures.
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