Son nom reste gravé dans les esprits: Azedine Berkouk, le pionnier d’Aokas qui a brisé le silence
La nouvelle est tombée un matin d’avril 2017 comme une gifle, brutale et irréversible. Azedine Berkouk, l’enfant d’Aït Aïssa, le premier chanteur d’Aokas à avoir osé mettre un produit musical sur le marché, venait de s’éteindre à l’âge de 60 ans. Par Hafit Zaouche Dans les ruelles de la commune côtière, un voile de tristesse […]

La nouvelle est tombée un matin d’avril 2017 comme une gifle, brutale et irréversible. Azedine Berkouk, l’enfant d’Aït Aïssa, le premier chanteur d’Aokas à avoir osé mettre un produit musical sur le marché, venait de s’éteindre à l’âge de 60 ans.
Par Hafit Zaouche
Dans les ruelles de la commune côtière, un voile de tristesse recouvrit les cœurs : la voix qui avait bercé tant de veillées, qui avait fait pleurer et danser des générations, ne résonnerait plus que dans les souvenirs et les vinyles usés par le temps.
Au début des années 1980, il fallait du courage, presque de l’audace, pour franchir la barrière du studio et graver sa voix dans un disque. Azedine fut ce pionnier. En 1984, son premier album surgit comme un éclair sur la région du Sahel, à l’est de Béjaïa. Les Issahliyen, les habitants de la côte-Est de la wilaya de Béjaïa, privés depuis toujours d’œuvres locales accessibles, se ruèrent sur l’opus. En quelques jours, il fut épuisé. Les titres «Ccah ul-iw ma yendem» et «Tejra n lkermus» devinrent des hymnes populaires, portés par une voix à la fois rocailleuse et tendre, qui chantait l’amour et les blessures de la vie avec une intensité rare.
Deux ans plus tard, en 1986, Azedine enregistra son second et dernier album. Plus sombre, plus intime, il dévoilait un artiste habité par le chagrin et la nostalgie. Des chansons comme «Dacu n tem it-deg-i nella» ou «Nemsefraq ur nemsefham» ont arraché des larmes aux âmes sensibles, donnant à son œuvre une profondeur qui dépassait largement les frontières de sa commune. Sa voix portait la douleur universelle de l’amour perdu, et chacun y reconnaissait une part de sa propre histoire.
Mais un poète peut-il mourir ? À Aokas, la réponse est non. Ses amis, ses fans, ses pairs n’ont cessé de faire vivre sa mémoire. Moins d’un an après sa disparition, l’Association des artistes et écrivains de Béjaïa aménagea sa tombe au cimetière de Sidi Ali Ougueni. Puis, en mai 2018, Aokas connut une nuit inoubliable : une foule immense, dense, se rassembla pour un concert-hommage. Ses chansons furent reprises en chœur, ses amis d’enfance chantèrent ses textes avec émotion, et d’autres artistes comme Wissem, Ahcène Bedrani ou Karim Khelfaoui enflammèrent la scène, rappelant à tous que la flamme allumée par Azedine continuait de briller.
Les témoignages affluent encore aujourd’hui. Poètes, chanteurs, simples habitants parlent d’un homme humble, discret, mais habité par un feu sacré. Pour beaucoup, il fut «la meilleure voix du Sahel de sa génération». Un étudiant lui dédia même son mémoire de fin d’études, le qualifiant de «bâtisseur d’espoir». Dans les villages, dans les souvenirs, on raconte encore ses prestations lors des fêtes, quand son sourire timide et sa mandole faisaient taire le brouhaha pour laisser place à l’enchantement.
Azedine Berkouk n’était pas seulement un chanteur. Il était le souffle d’une région, le miroir d’une jeunesse en quête de repères, le poète des amours impossibles et des douleurs muettes. Sa mort a laissé un vide, mais aussi un héritage : celui d’avoir ouvert la voie, d’avoir montré qu’un artiste d’Aokas pouvait oser, produire, exister. Aujourd’hui, ses chansons résonnent comme une promesse. Celle que tant qu’il y aura des hommes et des femmes pour fredonner «Ccah ul-iw ma yendem», Azedine ne mourra jamais vraiment. Car un poète ne disparaît pas : il se transforme en écho, en lumière fragile, en mémoire vivante. À Aokas, son nom reste gravé dans la mer, les montagnes, et surtout dans les cœurs.
H. Z.