Souveraineté importée

Par A. Boumezrag – Le Sahel est une terre vaste livrée à un jeu de puissances où les rois sont absents mais les parrains se bousculent. Un buffet géostratégique où chacun vient planter son drapeau. L’article Souveraineté importée est apparu en premier sur Algérie Patriotique.

Juin 10, 2025 - 10:03
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Souveraineté importée

Par A. Boumezrag – Il y a des régions du monde où la souveraineté est une réalité. Et puis, il y a le Sahel : une terre aux frontières longues comme des malédictions coloniales, livrée à un jeu de puissances où les rois sont absents mais les parrains se bousculent. Une sorte de buffet géostratégique où chacun vient planter son drapeau… sans jamais demander l’avis des convives.

Bienvenue au cœur de la «souveraineté importée», où les Etats décident peu, subissent beaucoup et revendiquent encore moins. Le Sahel, cette bande sahélienne entre sable, sang et cynisme, est devenu un carrefour de protecteurs zélés et d’intérêts croisés, une sorte de terrain vague stratégique où tout le monde parle de sécurité, sauf ceux qui vivent l’insécurité.

Là où la France parlait jadis de «mission civilisatrice», elle parle désormais de «lutte contre le terrorisme». Même ton, autre époque. Elle s’en va, dit-on, mais reste là, discrètement, entre deux bases militaires et quelques officines de renseignement.

La Russie, elle, a flairé la brèche. Avec Wagner en costard ou en treillis, elle joue les sauveurs désintéressés… en échange de mines d’or, de concessions et de loyautés autoritaires.

La Chine préfère l’asphalte à la Kalachnikov : elle ne parle pas, elle bétonne. Ports, routes, infrastructures – et dettes, bien sûr. La souveraineté coûte cher, et Pékin propose un crédit à long terme, intérêts inclus, indépendance exclue.

La Turquie et les Emirats, eux, avancent sur la scène avec un mélange de commerce, religion et influence. Le soft power version mosquée, drones et business halal.

Le plus ironique dans cette affaire ? Tous disent venir au nom de la stabilité. Mais celle-ci ressemble de plus en plus à une illusion. Une instabilité rentable, un désordre stratégique qui permet à chacun de garder un pied dans la région, sans en assumer les échecs.

Les populations, elles, voient des bases militaires pousser plus vite que des écoles. Des caméras de surveillance plutôt que des dispensaires. Des discours sécuritaires, mais pas de sécurité. La souveraineté ? Un mot à brandir lors des sommets, jamais à pratiquer sur le terrain. Car au fond, le problème n’est pas que le Sahel ait des parrains. Le problème, c’est qu’il les appelle à la rescousse à chaque crise, comme si gouverner consistait à déléguer le désastre.

L’Etat recule ? Appelons Wagner. Les terroristes avancent ? Où sont les Américains ? Le FMI bloque un prêt ? Un petit appel à Pékin ou Ankara. Un gouvernement en panne d’autorité ? Les conseillers étrangers arrivent en jet. C’est ainsi qu’on transforme des nations en vassaux modernes, des armées nationales en légions supplétives, des indépendances en slogans fanés.

Il y a dans le Sahel un paradoxe cruel : plus les parrains affluent, moins l’Etat existe. Plus l’aide pleut, plus la dépendance s’installe. Ce n’est pas un hasard si les putschs s’y multiplient : ils sont l’ultime cri d’un système qui s’effondre, un théâtre où le militaire joue au souverain… faute d’un pouvoir civil souverain.

Il ne suffit pas d’avoir des drapeaux et des hymnes. Il faut aussi avoir le courage de dire non. Non à la tutelle. Non à la dépendance. Non aux promesses vides. Parce qu’à force d’avoir trop de parrains, on finit orphelin de soi-même. Le Sahel est cette région du monde où l’indépendance est célébrée chaque année mais jamais pratiquée.

Dans les palais présidentiels sahéliens, la souveraineté est encore gravée en lettres d’or sur les frontons. Mais dans les faits, elle se négocie au téléphone, se sous-traite au plus offrant ou s’efface devant le moindre chantage diplomatique. On gouverne selon les humeurs de Washington, les sourcils froncés de Bruxelles, les propositions de Pékin, les drones d’Abu Dhabi ou les sourires glacés de Moscou.

C’est ainsi que le Sahel n’est plus une zone géographique, mais un échiquier. Et comme dans tout échiquier, ce ne sont jamais les pions qui décident de la partie.

Les dirigeants sahéliens, oscillant entre urgence sécuritaire et survie politique, courent d’un parrain à l’autre comme des clients fidèles dans un souk d’influence. Ici, un accord militaire. Là, une base secrète. Ailleurs, un contrat minier à l’opacité suspecte.

Ces alliances, bien que vendues comme «stratégiques», se révèlent souvent toxiques. Car elles ne sont jamais équilibrées : les Etats sahéliens apportent leur sol, leur sous-sol, parfois leurs hommes ; les parrains, eux, apportent des intérêts, des conditions et rarement des scrupules.

Pendant ce temps, le citoyen sahélien observe. Il voit les logos étrangers fleurir plus vite que les hôpitaux, les discours patriotiques étouffer la réalité des humiliations quotidiennes. Il voit ses ressources partir, ses terres exploitées, sa voix ignorée. Pis encore : dans cette valse des parrains, aucun ne parle réellement de démocratie, de justice sociale, de développement humain. Tous vendent la sécurité, mais aucun n’achète la paix durable.

La jeunesse ? Livrée à elle-même, entre tentation du départ, fatalisme ou rébellion armée. Car que reste-t-il d’un pays où même l’espérance est importée ? Ce vide de souveraineté n’est pas seulement une tragédie intérieure. Il est aussi un risque pour la région, pour l’Afrique, pour le monde. Car un Etat qui n’a plus d’autorité réelle devient un terrain de jeu pour toutes les déstabilisations : trafics, terrorisme, mercenariat, manipulations informationnelles. Et chaque effondrement local a un coût global – en vagues migratoires, en insécurité transfrontalière, en chaos politique. A trop parrainer sans renforcer, on transforme des Etats faibles en Etats faillis.

Ce qui manque le plus dans ce tableau, ce n’est pas l’aide extérieure, mais une volonté intérieure. La volonté de dire que le Sahel n’est pas une zone de transit géopolitique, mais une région d’humanité. Que les Etats sahéliens n’ont pas besoin de parrains, mais de partenaires – et surtout de principes. La souveraineté, ce n’est pas une posture. C’est une responsabilité.

A. B.

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