Interview – Claude Mangin – «Macron et Sanchez ont des choses à cacher !»

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Juin 5, 2025 - 10:17
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Interview – Claude Mangin – «Macron et Sanchez ont des choses à cacher !»

«Emmanuel Macron et Pedro Sanchez ont des choses importantes à cacher», affirme Claude Mangin, l’épouse du prisonnier politique sahraoui Naâma Asfari, injustement emprisonné par le régime marocain. Interview.

Algeriepatriotique : Votre initiative La Marche pour la liberté, organisée en partenariat avec des ONG et associations des droits de l’Homme, a été entamée fin mars de cette année. Quel en est l’objectif ?

Claude Mangin-Asfari : L’Association des amis de la République arabe sahraouie démocratique en France a décidé, il y a dix-huit mois, d’entamer une marche pour la libération des prisonniers politiques sahraouis, pour mon droit de visite à mon mari Naâma Asfari, interdit depuis 2016, et pour l’application du droit international dans tous les domaines concernant le peuple sahraoui pour l’organisation du référendum d’autodétermination.

Il y avait aussi un objectif primordial : faire connaître la cause sahraouie et la longue histoire de lutte du peuple du Sahara Occidental depuis 1975 en France. Cette question du peuple sahraoui est une question taboue, dans la mesure où la France est le partenaire principal du Maroc, lequel est toujours sous protectorat français depuis 1912. Il était écrit que la France protège le roi et sa famille et pas du tout le peuple marocain. Nous sommes toujours dans cette configuration et elle prend de plus en plus d’importance depuis le 30 juillet 2024 suite aux déclarations des présidents Emmanuel Macron et Donald Trump, d’Israël et de l’Espagne au sujet de la marocanité du Sahara Occidental, contrairement à toutes les résolutions et le droit international.

Votre marche s’est-elle déroulée sans heurts ?

Nous nous sommes heurtés à la violence de la DGST marocaine installée en Italie et en Suisse. En France, il y a une importante communauté marocaine, représentant près de trois millions d’électeurs. Les Franco-Marocains ont été actionnés pour venir attaquer les lieux où nous nous réunissions et cela pratiquement dans la moitié des villes de France. Les préfectures, complices, ont donné aux Franco-Marocains l’autorisation de manifester, aux mêmes lieu et heure que nous. Il a fallu mobiliser la police. Cette dernière s’est contentée de faire un cordon sécuritaire pour empêcher tout contact entre les Franco-Marocains et Franco-Sahraouis. Ils ont privé de parole ces derniers, les Français solidaires et ma personne pour laisser toute la place à la violence verbale, et même physique, manifestée par les Franco-Marocains. Parmi ces derniers, il y avait des élus français. Par contre, dans cinq autres villes, les préfectures ont bien fait leur travail. Les Franco-Marocains ont bien eu le droit de manifester mais dans un autre lieu et à une heure différente.

Nous n’avons été reçus que par très peu de maires et d’élus. Comme nous le savons en France, la question sahraouie est ignorée par une partie, matière à corrompre pour certains, et d’autres sont pour la marocanité du Sahara Occidental.

Pendant la marche, la présidente de l’Occitanie, Carole Delga, du PS, est rentrée de Rabat annonçant un jumelage avec une région du Sahara Occidental. De son côté, le maire de Montpellier, Delafosse, du PS également, est rentré de Dakhla, se vantant, lui, que sa ville pourrait être la première ville française jumelée avec une ville du Sahara Occidental. Nous avons su, également, qu’une grande délégation marocaine de haut niveau allait rencontrer les membres de la municipalité de Bordeaux pour demander un jumelage de la ville avec d’autres villes du Sahara Occidental. Or, nous savons déjà que toutes ces villes sont jumelées avec de grandes villes marocaines. Qu’est-ce que cela veut dire, sachant que ce procédé est illégal ?

Tous ces amis que nous avons rencontrés en Occitanie pendant la marche se sont mis en ordre de bataille pour contrer la signature d’une convention de coopération.

Vous étiez parmi les quelque 300 personnes qui ont pris ce samedi 1er juin le ferry depuis Algésiras pour se rendre au Maroc. Que s’est-il passé une fois arrivés au Maroc ?

Samedi 31 mai, à la date prévue, soit deux mois après notre départ d’Ivry sur Seine, nous avons organisé un grand rassemblement sur la haute place d’Algésiras, avec des amis venus de toute l’Espagne. Nous avons pris le ferry de la compagnie espagnole Baleare, à 17h au port de Tarifa, à 40 km d’Algésiras et, là, nous avons vécu ce à quoi je m’y attendais, mais pour mes compagnons de voyage pas du tout car l’image du Maroc ne correspond pas à la réalité. C’est la sixième fois que j’essaie de passer et c’est la sixième fois que je me fais refouler. J’en ai pris l’habitude sauf que, cette fois-ci, j’étais accompagnée. D’habitude, cela se passe au fin fond d’un aéroport et sans le soutien de mon consulat. Je suis renvoyée sans autre forme de procès, tandis que là, nous étions 14 voyageurs engagés, français et espagnols dont 4 élus, de la mairie d’Ivry et de la région espagnole Estrémadure.

Dès notre embarquement sur le ferry, j’ai vu un Marocain qui nous filmait et nous photographiait. Il n’était pas seul. Il y avait beaucoup de policiers marocains en civil et des membres de la DGST marocaine. Nos passeports n’ont pas été tamponnés. Nous avons été empêchés de descendre à Tanger ville. On est repartis par le même ferry. Dès le départ, sur ce bateau espagnol et dans les eaux territoriales espagnoles, il n’y avait que des policiers marocains et pas un seul policier espagnol. Nous avons été parqués dans un coin du bateau et empêchés de faire quoi que ce soit. Voilà comment le Maroc est souverain en France et souverain en Espagne.

Où en est l’affaire des détenus politiques sahraouis de Gdeim Izik, dont votre mari, qui croupissent dans les geôles marocaines depuis 2010 ?

J’avais fait une grève de la fin avril à mai 2018 pour réclamer mon droit de visite – le droit à la vie familiale est un droit reconnu internationalement – qui m’avait été supprimé suite à la condamnation du Maroc, en 2016, pour des actes de torture sur la personne de mon mari et à la diffusion d’un film sur Gdeim Izik et sur l’issue judiciaire de Gdeim Izik.

Comme on s’inscrit dans l’histoire de la dernière grande manifestation pacifique du peuple sahraoui en territoires occupés du Sahara Occidental, où le roi pensait avoir persuadé la communauté internationale que le peuple sahraoui n’existait pas et qu’ils étaient tous marocains, nous avons décidé de relever un défi : ériger le campement de la liberté et de la dignité de Gdeim Izik, d’octobre à novembre 2010. Ce campement qui était en prélude au printemps arabe a été un véritable camouflet pour le Makhzen car il n’avait rien vu venir. Evidemment, cela s’est terminé comme cela se termine toujours dans une situation coloniale, c’est-à-dire le démantèlement par la force du campement, la destruction systématique de ce grand patrimoine de 8 000 khaymas et l’arrestation de 600 citoyens sahraouis, hommes et femmes. Certains Sahraouis sont restés en prison pendant six mois. Ils n’ont pas échappé, bien évidemment, à la torture et ont été libérés sans aucune forme de procès. 24 autres sont  incarcérés à ce jour, subissant tortures et sont privés de leurs droits les plus élémentaires. En dépit de toutes les décisions du Comité contre la torture et du Haut Conseil des droits de l’Homme, la dernière remontant à novembre 2023, décrétant que tous les prisonniers politiques sahraouis de Gdeim Izik, emprisonnés arbitrairement, devaient être libérés immédiatement, deux ans après, on en est toujours au même point.

Vous dénoncez le rôle des gouvernements européens, notamment français et espagnol, dans le statu quo au Sahara Occidental. Votre action a-t-elle réussi à sensibiliser les citoyens européens au sort du peuple sahraoui qui lutte pour son indépendance ?

Comme la question est taboue en France, évidemment 99% de la population ne connaissent pas le peuple sahraoui, sa lutte depuis cinquante ans et la complicité de la France avec le Maroc. Après avoir décidé de l’itinéraire qui passe par l’ouest de la France – car c’est ici que se trouve la principale communauté sahraouie dont les membres travaillent dans l’agriculture saisonnière ainsi que dans l’abattoir de Bressuire –, nous avons contacté nos amis chrétiens, les syndicats, les partis et les associations des droits de l’Homme qui se sont constitués en collectif, dans chaque ville, pour organiser l’accueil de la marche, pendant quatre à cinq jours, le temps nécessaire d’organiser toutes sortes d’activités pour qu’un maximum de citoyens puissent y participer. Et c’est ce qui s’est passé partout dans les onze villes où nous nous sommes arrêtés : plusieurs milliers de personnes ont découvert la cause sahraouie. En tout cas, les membres des collectifs eux-mêmes ont appris à se connaître, et ce en travaillant pendant plus de six mois ensemble, pour organiser l’hébergement et la nourriture. Cela a été vraiment une grande réussite.

Quant à l’Espagne, l’ancien pays colonial et toujours puissance administrante selon l’ONU, les autorités se sont enfermées dans un soutien humanitaire au camp de réfugiés installé à Tindouf, en Algérie, depuis 1975, date de l’invasion du Maroc suite à la Marche verte de la même année. Ce camp, qui ne dépend que de l’aide internationale, rassemble plus de 180 000 réfugiés. L’Espagne fait partie des gros contributeurs à ce camp. Seulement, ces derniers ne font pas de la politique ; en fait, ils ne connaissent pas l’histoire récente, en particulier celle de Gdeim Izik.

Et les arrêts de la Cour européenne de justice du 4 octobre 2024 attestent, pour leur part, de la victoire du Front Polisario, lequel possède maintenant la personnalité juridique pour attaquer toutes les entreprises françaises, espagnoles et européennes qui pillent illégalement les territoires sahraouis depuis 1975. Et en Espagne où ils ont découvert beaucoup de choses, ils étaient très heureux de nous accueillir. Cela les a réveillés et les a mis dans une nouvelle dynamique parce que se contenter du seul soutien du peuple sahraoui – qui dure depuis cinquante ans – dans les campements n’est pas une solution. La solution est l’indépendance du peuple sahraoui qui a suffisamment de richesses dans son pays pour que ce dernier soit viable. D’ailleurs, ils vont récupérer tout ce qui leur a été volé.

Vous avez alerté contre le rôle des multinationales qui exploitent les ressources naturelles du Sahara Occidental. Ces entreprises continuent-elles le pillage en dépit de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne ?

L’Etat français continue d’envoyer des entreprises illégalement avec le soutien de l’Agence française de développement qui vient de débloquer 150 millions d’euros pour soutenir ces entreprises qui pillent les richesses du Sahara Occidental. La France applique ce qu’elle a promis au Maroc d’une façon incroyable. En effet, Christophe Lecourtier, ambassadeur de France au Maroc, vient d’inaugurer à Laâyoune le bureau des déclarations de visas en territoire occupé. Jusque-là, ils étaient, pour rappel, installés à Agadir et à Rabat.

Se rendre à la prison de Kénitra, dans laquelle votre mari, Naâma Asfari, purge sa peine depuis 2010, était l’ultime étape de la Marche pour la liberté. Serait-ce la fin de cette action ?

A la conférence du lendemain, toujours à Algésiras, nous avons donné la parole à tous ceux qui étaient avec moi sur le bateau. Cela a été solennel, sérieux et émouvant. Chacun a pu exprimer sa sidération, surtout une élue française qui était sous le choc d’avoir été traitée de cette manière par les sbires marocains. Beaucoup d’émotion parce que nous n’avons pas pu voir, finalement, les prisonniers sahraouis, y compris mon mari. Cependant, cela a aidé à renforcer la détermination de ces quatorze personnes, qui ont rejoint le club des expulsés du Maroc venus pour le Sahara Occidental, à continuer la lutte pour la reconnaissance du Sahara Occidental libre et pour l’application du droit international.

Je suis contente à chaque fois que quelqu’un est expulsé parce qu’à chaque fois ils ne croient pas ce que je dis. Aujourd’hui, ils ont vu de leurs propres yeux et vécu le moment. Toutes ces personnes sont des têtes de réseaux qui vont, à leur tour, pouvoir témoigner, expliquer que le Maroc est une puissance coloniale qui ne résonne pas comme nous. Ils auraient pu se servir de cette occasion pour montrer leur bonne volonté, mais comme dit Naâma Asfari, mon mari, les Marocains, puissance coloniale, ne résonnent pas comme nous et poursuivent leur vengeance coloniale contre moi et contre tout le peuple sahraoui. Nous en avons fait une preuve éclatante une fois de plus.

Et aujourd’hui nous parlerons aux députés des Cortès, à Madrid, nous continuerons la lutte jusqu’à ce que les élus français et espagnols obligent les gouvernements français et espagnol à appliquer le droit international par leur ami le Maroc. Mais évidemment, ayant été – Macron et Sanchez – espionnés par Pegasus, comme moi d’ailleurs, ils ont sans doute des choses importantes à cacher du fait qu’ils ne peuvent rien refuser à leur ami le roi du Maroc.

Interview réalisée par Kahina Bencheikh El-Hocine

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