5 juillet 1962: L’indépendance en vinyles
C’est un enfant de l’indépendance, un jeune homme venu au monde en 1975, treize ans après la libération du pays. Il aime l’Algérie où il vit et y réside à longueur d’année. Collectionneur dans l’âme, il affectionne tout ce qui tient du vintage. A plus forte raison lorsque les objets ont vocation à cultiver la […] The post 5 juillet 1962: L’indépendance en vinyles appeared first on Le Jeune Indépendant.

C’est un enfant de l’indépendance, un jeune homme venu au monde en 1975, treize ans après la libération du pays. Il aime l’Algérie où il vit et y réside à longueur d’année. Collectionneur dans l’âme, il affectionne tout ce qui tient du vintage. A plus forte raison lorsque les objets ont vocation à cultiver la mémoire plurielle et multiforme de l’Algérie et de son histoire. Mélomane insatiable, il déguste tous les genres musicaux.
Du châabi au bedoui en passant par le kabylie, le s’taïfi, le chaoui, le aâsri et l’andalou. La musique étant un langage universel, il raffole aussi de rock, jazz, chansons orientales, variétés françaises et chansons à texte.
Mehdi Boudjedra, alias Mehdi J Blige sur les réseaux sociaux, n’a pas embarqué à bord de la scène musicale un peu par hasard ou par suivisme. Mehdi ‘’r’kab’’ – comme on dit chez les gens du chaâb –, entrainé d’abord par une histoire familiale. ‘’Mon grand-père paternel, Hocine Boudjedra, et son frère, Hacène — le père de l’écrivain Rachid Boudjedra — avaient racheté dans les années trente le Grand café d’Alger à Bab Souika dans la vieille médina de Tunis’’.
Lieu de sociabilité par excellence comme les anciens cafés d’Orient, l’établissement est devenu le point de ralliement de figures connues de la musique maghrébine et orientale : Beggar Hadda, Omar Chakleb, Saliha Tounsia, Mahieddine Bachtarzi, Khelifi Ahmed, Hedi Jouini, Ali Riahi, Mohamed Jamoussi, Abdelhamid Ababssa, Hocine Slaoui, Raoul Journo, Cheikh Al Afrit, Badia, Chadia, etc.
Lorsque le Comité de coordination et d’exécution (CCE, instance exécutive de la Révolution entre deux sessions du CNRA) décide, en février 1958, de créer la Troupe artistique du FLN deux mois avant l’annonce de la création de l’équipe de football du FLN, les artistes et comédiens – tout comme les footballeurs — font de la capitale tunisienne leur ‘’QG’’. Du coup, le Grand Café d’Alger devient une adresse très prisée des membres de la Troupe du FLN, à commencer par les chanteurs : Ahmed Wahby, Farid Ali, H’sissen, le compositeur Mustapha Sahnoun etc.
Si l’imaginaire familiale a joué dans la formation du jeune Mehdi et a nourri sa passion pour la musique, c’est, surtout, la teneur d’une émission radio qui l’a poussé à cheminer vers une nouvelle vocation : collectionneur invétéré de vinyles, de cassettes audio et de tous les supports phonographiques.
‘’Un jour, alors que j’allais faire une course en voiture, j’ai entendu sur les ondes de la Chaîne 3 des artistes de la Troupe artistique du FLN parlant de leur épopée patriotique. Entre autres propos tenus durant cette émission, leur évocation d’un enregistrement en particulier’’.
Mehdi fait allusion à un vinyle dont la jaquette est résolument évocatrice. Intitulé « Algérie », la jaquette est illustrée d’un cliché capturé par Mohamed Kouaci, le photographe de la Révolution, qui a également fait partie – aux côtés de son épouse Safia – de la Troupe artistique du FLN, lui comme professionnel de la photo, elle comme costumière pour la troupe de théâtre et les artistes. La fille, qui sourit à l’objectif, est une algérienne réfugiée par le FLN en Tunisie après la mort de ses parents dans le bombardement de leur village.
Durant l’émission de la Chaîne 3, les artistes de la Troupe du FLN avaient beaucoup insisté sur l’enregistrement dont ils avaient perdu la trace. Visiblement, il était si cher à leurs cœurs. ‘’Ils insistaient sur la nécessité de récupérer ce matériau, rappelle Mehdi Blige. Plus qu’un patrimoine musical, c’est une page importante de l’histoire de la Révolution algérienne.
Leur prise de parole ressemblait à un cri d’alarme’’. Mehdi n’est pas resté insensible à leur appel. Sans tarder, je me suis lancé dans une opération tous azimuts pour essayer de mettre la main sur cet enregistrement’’. Le petits-fils des Boudjedra y est parvenu. ‘’J’ai réussi à le retrouver. Il s’agit d’un disque issu de la collection personnelle de Ferhat Abbas’’, le président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA, Sep 1958-Août 1961). ‘’Il s’agit d’un enregistrement de la troupe artistique du FLN’’ édité par « Jugoton », la première marqué de disque de l’ancienne République fédérale de Yougoslavie.
Ce label phonographique a été fondé en 1947 à Zaghreb. Il a mis la clé sous le paillasson en 1990. ‘’C’est un cadeau du maréchal Tito pour le peuple algérien’’, explique Mehdi, allusion au lieu d’enregistrement et de production. A la faveur des tournées dans le monde arabe, l’Europe de l’Est et l’Asie – tournées similaires à celles de l’équipe de foot –, la Troupe artistique du FLN a effectué un séjour en Yougoslavie. C’est à cette occasion que le gouvernement yougoslave a décidé de faire enregistrer une des prestations de la Troupe et de le graver.
Manifestement, c’est le seul enregistrement de la Troupe. Spécialiste de la culture algérienne et maghrébine et auteure d’une thèse originale sous la direction de Benjamin Stora, l’historienne Naïma Yahi a recherché dans les archives de la Bibliothèque Nationale de France.
C’est ce qu’elle a confirmé dans une de ses nombreuses interviews avec les médias. ‘’C’est un coffret de 33 tours et de 45 tours enregistrés entre 1959 et 1960 sous la direction du dramaturge Mustapha Kateb, où l’entend notamment une chanson d’Ahmed Wahby avec un chœur d’enfants tunisiens et algériens, a-t-elle expliqué sur RFI. Il chante : « Tu peux parler aux De Gaulle, tu peux aboyer, il est écrit que le peuple algérien ne déposera pas les armes »’’.
Vers 2012, à la faveur d’un voyage dans les Balkans, Mehdi en a profité pour aller faire un tour à la Radio de Belgrade, là où a eu lieu l’enregistrement. ‘’J’ai rencontré le directeur de la Radio et on a bien discuté. Ce disque est très particulier. C’est par son biais que les Algériens ont découvert nombre de chansons patriotiques. Depuis Le Caire et Tunis, elles passaient en boucle sur les ondes de « La Voix des Arabes » et « Saout Al Djazaïr ». Pour moi, c’est le plus précieux des disques algériens’’.
Depuis l’émission d’Alger Chaîne 3 et l’appel des artistes de la Troupe du FLN, Mehdi s’est assigné une tâche à laquelle il tient énormément : mettre le cap sur cette mission mémorielle et faire de son mieux pour acheter des disques de la musique algérienne, tous genres confondus. ‘’L’émission de la Chaîne 3 et le propos des artistes ont été comme un déclic pour moi. C’est ce qui m’a poussé à me concentrer sur le patrimoine musical algérien. J’ai acheté nombre de vinyles au prix fort sur eBay et aux enchères et je les ai rapatriés en Algérie. J’en ai beaucoup’’.
Et au rang de ces ‘’beaucoup’’ les disques d’artistes algériens qui, avant l’indépendance ou dans les années qui ont suivi les mémorables journées de juillet 1962, ont enregistré des disques pour célébrer la liberté retrouvée, rendre hommage à la mémoire des glorieux chouhadas et saluer la bravoure des moudjahidines et du peuple algérien’’. En voici un échantillon. Issu de la ‘’khezna el k’bira’’ de Mehdi Blige, Le Jeune Indépendant la partage avec ses lecteurs.
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