Interview – Jean-Loup Izambert : «Trump n’est qu’un domestique de l’oligarchie» 

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Juin 21, 2025 - 20:22
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Interview – Jean-Loup Izambert : «Trump n’est qu’un domestique de l’oligarchie» 

«Plus de 60% des postes de direction des organisations internationales du système onusien sont détenus par des Occidentaux qui se marchandent les directions entre eux, ainsi que je le montre dans mon enquête», fait constater le journaliste et écrivain français Jean-Loup Izambert. Interview.

Algeriepatriotique : L’entité sioniste mène, depuis le 12 juin, une série de bombardements sur plusieurs régions de la République islamique d’Iran. Le régime de Tel-Aviv affirme vouloir poursuivre son offensive, jusqu’où ira-t-il, selon vous ?

Jean-Loup Izambert : Le régime de Tel-Aviv est une théocratie fasciste ainsi que l’a lui-même défini le maire de Tel-Aviv. Celui-ci poursuivra ses agressions contre la République islamique d’Iran avec le soutien des Etats-Unis et, de manière plus générale, contre les pays arabes, tant qu’il ne rencontrera pas de résistance déterminée à ses crimes d’agression et d’expansion. Cette entité ne cesse de répandre la guerre au Proche-Orient depuis les années 1920-1930 quand les dirigeants sionistes traitaient avec les Britanniques par banque Rothschild interposée pour installer «un foyer national juif» en Palestine, puis avec les nazis quelques années plus tard, pour venir s’installer sur la terre des Palestiniens en semant la terreur. Exception faite de l’Algérie, où est la solidarité des régimes arabes avec le peuple palestinien ? Quand 10 millions d’Israéliens tiennent tête à plus ou moins 450 millions d’Arabes en se permettant de massacrer un de leurs peuples, ce n’est pas le nombre qui joue en leur faveur.

Plus de deux cents avions israéliens impliqués et des sites nucléaires ciblés, des drones israéliens lancés à partir de l’Iran même. Comment expliquez-vous cet état de fait ?

Il me semble difficile de croire que les services de renseignement iraniens n’aient pas eu connaissance de ces activités. Comme vous le savez, la collecte de renseignement est une chose, la décision politique à partir du travail du renseignement de terrain en est une autre. Aujourd’hui, il apparaît clairement à l’opinion publique mondiale, malgré la désinformation des médias de l’oligarchie, que l’entité sioniste a violé, une fois de plus, les conventions internationales et provoqué un conflit ouvert. Ses dirigeants sont coutumiers de crimes de guerre depuis 1948 et se livrent à une nouvelle agression contre le peuple iranien, tout en poursuivant le massacre du peuple palestinien. Depuis l’organisation de cet Etat juif au lendemain de la Second Guerre mondiale, le Proche-Orient n’a plus connu la paix.

Depuis quelques années déjà, l’entité sioniste mène des opérations de sabotage et commet des assassinats ciblés en Iran. Est-ce un signe de vulnérabilité des services secrets iraniens ? L’Iran pourrait-il connaître le même sort que l’Irak et la Syrie ?

Je ne pense pas que les services de renseignement iraniens soient aussi vulnérables. Pour ce qui est de la République islamique d’Iran, son peuple est attaché à la défense de son pays et mobilisé ainsi que le Hezbollah en a déjà fait la démonstration à plusieurs reprises. Le Hezbollah a la puissance de frapper tout agresseur quand il veut et où il veut, lorsque la République islamique d’Iran est attaquée. De même, les Gardiens de la Révolution sont le bras armé du peuple et aux premiers rangs de la ligne de défense de la Révolution et de la souveraineté iraniennes. Ce n’était pas le cas de l’Irak ni, dans une moindre mesure de la Syrie, dont la défense reposait essentiellement sur des armées plus ou moins efficaces.

Le régime de Tel-Aviv a-t-il les moyens de mener cette guerre seul, selon vous ?

Les dirigeants d’Israël ont surtout les moyens que les dirigeants impérialistes, Etats-Unis, en tête, lui accordent financièrement et militairement. La situation économique et financière de l’entité sioniste ne cesse de se détériorer du fait de ses guerres multiples et la situation s’est encore aggravée avec la clique Netanyahou. Plus ou moins 20% de la population active du pays est sortie du marché du travail pour aller à la guerre et 75% des revenus de l’Etat, impôts directs et indirects, sont consacrés aux dépenses militaires.

Jacques Bendelac, docteur en économie, enseignant-chercheur, spécialiste de l’économie israélienne, enseignant au Collège universitaire de Netanya, en Israël, et à l’Institut universitaire Elie-Wiesel de Paris, souligne cette aggravation dans le magazine Areion 24 News, spécialisé dans les relations internationales. «La croissance du PIB par habitant a été négative pour la seconde année consécutive, les principaux moteurs de croissance israélienne (exportations et investissements) se sont effondrés, les prix au détail montent en flèche et le déficit public atteint des proportions démesurées», précise-t-il. De même, «les investissements dans la construction d’habitations ont chuté de 52% au quatrième trimestre 2023 (par rapport au trimestre précédent), alors que les récoltes agricoles furent quasiment interrompues.»

Déjà, le quatrième trimestre 2023 fut «une catastrophe absolue pour l’économie du pays : l’augmentation considérable des dépenses militaires a fait bondir la dépense publique de 84% en rythme annuel, alors que la consommation des ménages chutait de 26,3%, les investissements faisaient un bond en arrière de 69,6% et les exportations de biens et services reculaient de 21,6%.» La bonne nouvelle est que la situation continue de s’aggraver. Les moyens de mener une guerre sur plusieurs fronts se réduisent de mois en mois et la situation économique et sociale interne de l’entité sioniste se fragilise.

Y a-t-il une possibilité que les deux armées, Iranienne et israélienne, s’affrontent sur le sol ?

Je ne suis pas un spécialiste des questions militaires, mais je pense, pour diverses raisons, que cette option ne serait pas vraiment bonne pour le «foyer national juif» et ses soutiens. La guerre peut avoir plusieurs visages et, à ce stade de massacres perpétués depuis des décennies aux portes d’une ONU impuissante, celle-ci peut frapper de manière inédite le cœur des capitales qui soutiennent ces agressions.

Selon des sites spécialisés, la Russie et la Chine ont envoyé des équipements destinés à renforcer la défense de l’espace aérien iranien. Le Moyen-Orient est-il en passe de devenir un champ d’expérimentation militaire dans lequel les uns (Chine et Russie) testent leurs technologies face à celles des autres (Otan) ?

Je ne pense pas que la Russie et la Chine aient besoin, à l’inverse de l’Otan, de tester leurs armes lors de conflits. Ces deux pays, la Fédération de Russie notamment, disposent d’une avance technologique militaire importante et d’armes redoutables qu’elles n’ont encore jamais utilisées, à ma connaissance. Il en va différemment des forces armées de l’Otan qui testent de nouvelles armes contre les populations civiles – Fédération de Yougoslavie, Irak, Libye, Syrie – sans avoir vraiment conscience qu’elle peut devenir aveugle et sourde en quelques secondes.

Le président américain n’a pas exclu une implication militaire des Etats-Unis en Iran, mais en retarde l’échéance. Pourquoi Trump hésite-il, d’après vous ?

Trump est déjà impliqué depuis des années, comme ses prédécesseurs, dans la déstabilisation du Proche-Orient et de la République islamique d’Iran. Les politiciens de la Maison-Blanche attisent les guerres partout à travers le monde là où l’oligarchie étasunienne le leur demande, pour sauver le capitalisme, son système d’exploitation des peuples, et assurer l’enrichissement de leur caste par le pillage des richesses des peuples. Ce sera, du reste, l’objet de mon prochain livre. Trump n’est qu’un domestique de l’oligarchie économique et financière à qui il doit le financement de sa campagne électorale. Il hésite simplement à engager un peu plus ouvertement les Etats-Unis car les répercussions pour le pays pourraient alors être d’une toute autre nature que celles d’une guerre régionale.

Les mises en garde de la Chine et de la Russie, alliés stratégiques de l’Iran, contre toute intervention américaine réussiront-elles à changer la donne ?

Contrairement à la diplomatie occidentale qui se manifeste par des coups de gueule médiatiques, des sanctions unilatérales de toutes sortes, la diplomatie russe est discrète. La Fédération de Russie fait preuve d’une grande patience dans l’agression étasunienne en Ukraine comme sur les questions du Proche-Orient. Moscou ne parle pas à la légère et défendra le peuple iranien agressé comme il défend le peuple ukrainien russophile victime d’un génocide de la dictature de Kiev. La Fédération de Russie comme la République populaire de Chine n’ont jamais été en guerre contre un autre Etat. Par contre, elles font face à des agressions multiples et répétées des Occidentaux. Il est à souhaiter que les mises en garde de Moscou et Pékin changent la donne diplomatiquement afin d’éviter de passer à l’étape suivante qui ne sera pas forcément d’ordre militaire.

Cette attaque intervient alors qu’un nouveau cycle de négociations entre les Etats-Unis et l’Iran devait avoir lieu le 15 juin dernier. Washington affirme qu’elle n’a aucunement participé à cette attaque. Quel est le véritable rôle des Etats-Unis dans cette agression ?

C’est le jeu hypocrite des dirigeants de Washington qui sont complètement impliqués dans cette guerre d’agression, comme ils le sont contre d’autres peuples de la sphère arabo-musulmane. Comment ne le seraient-ils pas alors que depuis leur Déclaration d’indépendance, le 4 juillet 1776, jusqu’en 2024, les Etats-Unis ont été en guerre 243 ans, soit plus de 97% de leurs 248 années d’existence ? Cette question appelle plusieurs remarques. Premièrement, au nom de quoi la République islamique d’Iran devrait-elle demander la permission de se développer, y compris dans le secteur nucléaire, à des Etats occidentaux qui ne cessent de répandre la guerre dans le monde et dans la région du Proche-Orient, en violant systématiquement toutes les conventions internationales ? Secondement, cette attaque décidée par Washington, dont l’entité sioniste n’est que l’exécutant, avait, parmi ses objectifs, de faire échouer des négociations que la République islamique d’Iran avait acceptées courtoisement afin de montrer que, contrairement aux Etats-Unis, elle respecte les accords et conventions internationaux

Face à la campagne de désinformation haineuse dont la République islamique d’Iran est victime en Occident, Téhéran a déclaré officiellement son attachement inchangé aux obligations du traité de non-prolifération des armes nucléaires, le TNP, ouvert en 1968. Téhéran a, ainsi, montré sa disposition à reprendre les contacts avec les Etats-Unis pour élaborer des solutions qui lèveraient tous soupçons et préjugés infondés concernant le programme nucléaire de Téhéran, à condition que les attaques israéliennes cessent. Vous noterez que Téhéran fait preuve, pour le moment, d’une très grande retenue, tout particulièrement vis-à-vis de l’entité sioniste qui possède l’arme nucléaire. Le véritable rôle des Etats-Unis est le même que celui poursuivi par les politiciens domestiques de l’oligarchie dans tous les conflits qu’ils ouvrent contre les peuples : accaparer leurs richesses.

Un exemple : au moment même où l’armée israélienne commençait le massacre du peuple palestinien en octobre 2023, douze licences étaient accordées à des entreprises occidentales, dont la multinationale pétrolière et gazière britannique BP, l’étasunienne Chevron et le géant italien de l’énergie Eni, pour explorer et découvrir de nouveaux gisements de gaz fossile au large des côtes palestiniennes. Ces richesses appartiennent à la Palestine, permettraient son développement et n’ont pas été exploitées du fait de l’incompétence et de la courte vue des dirigeants du Hamas et de l’Autorité palestinienne, qui n’ont pas su porter à la face du monde l’inacceptable et terrible blocus de l’entité sioniste. Comme a pu le dire Donald Trump en 2011, «la guerre en Libye, quelle importance si ce n’est pas pour le pétrole ?»

N’oublions pas non plus que c’est Trump qui a également commandé, le 3 janvier 2020, l’assassinat du général iranien Qassem Soleimani, à l’aéroport international de Bagdad, tout comme il vient encore de faire renforcer le blocus du Cuba socialiste. Soleimani était l’un de ceux dont les services de renseignement avaient mis à jour les relations entre l’administration de Washington et ses groupes terroristes au Proche-Orient.

Tout le Moyen-Orient est soumis à l’axe américano-sioniste excepté l’Iran. Ce dernier pourra-t-il plier face à l’offensive israélo-occidentale ? Peut-il compter sur l’aide de la Chine et de la Russie, ses principaux alliés stratégiques ?

Je vais répondre à votre question par un rêve : j’ai imaginé que les puissances qui forment les BRICS+, dont la République populaire de Chine et la Fédération de Russie, constituaient un convoi multinational de la paix et de la solidarité avec leurs pays membres pour briser le blocus yankee et aider le peuple iranien, pays membre des BRICS+, à reconstruire en mieux ce que l’agresseur israélien avait détruit. Si le rêve n’est pas réalité, au-delà du jeu diplomatique, les choses sont très simples : les dirigeants de l’entité sioniste auraient tort de penser qu’ils vont pouvoir dormir tranquilles sans avoir à payer le prix des larmes et du sang des quelques 2 000 victimes iraniennes de leurs agressions militaires répétées. Et cela, quelle que soit la position de la Russie et de la Chine et d’autres pays du format BRICS+.

Les monarchies du Golfe, coincées entre leur normalisation avec l’entité sioniste et la crainte d’un embrasement, semblent tétanisées. Le projet du remodelage du Moyen-Orient que l’axe américano-sioniste pensait devenir une réalité concrète, bute sur un adversaire de taille. L’Iran est-il en voie de faire échouer ce projet ?

Les Etats-Unis ne font qu’occuper le vide laissé par l’impuissance des pays arabes. Ceux-ci sont incapables de s’entendre pour former une chaîne de résistance déterminée contre les agresseurs occidentaux, y compris quand l’un des leurs, le peuple palestinien, est victime d’un terrible crime de guerre. Je ne parle pas de l’Algérie ou, hier, de la Libye du colonel Kadhafi et de la Tunisie, qui ont été les trois seuls pays à apporter un soutien indéfectible aux Palestiniens. Les autres sont partagés entre l’envoi d’ambulances, une lâche soumission et même la collaboration avec les agresseurs comme les monarchies du Golfe ou le Maroc. Sous le règne de «Phosphate 1er», ce royaume collaborateur de l’entité sioniste a un indice de développement humain, en 2025, inférieur à la moyenne des pays arabes et est l’un des pays les plus inégalitaires au monde.

La République islamique d’Iran place le mouvement anti-impérialiste devant ses responsabilités. Celui-ci se renforce politiquement et économiquement. La présence de l’Iran, de l’Indonésie, du Pakistan aux côtés d’autres pays du monde arabe au sein des BRICS+ en 2025, va permettre de renforcer le dialogue entre ces pays et de favoriser leurs échanges sur tous les plans. Mais l’émergence d’une nouvelle doctrine de la dissuasion face à l’impérialisme nécessite de régler certaines questions. Ainsi, par exemple, des pays membres des BRIC+ ne peuvent à la fois prétendre s’opposer à l’impérialisme occidental et accueillir sur leur sol, comme des monarchies du Golfe, les bases militaires des Etats-Unis pour mener des actions contre les peuples.

De même, les pays membres des BRICS+ doivent d’abord favoriser leurs échanges économiques entre eux. Un pays comme le Vietnam, qui achète des avions civils et du matériel de guerre plus cher et moins performant à hauteur de plusieurs milliards de dollars à ses anciens agresseurs que sont les Etats-Unis et la France, ne peut prétendre «contribuer au maintien la paix et au développement dans la région et dans le monde», et avoir sa place dans les BRICS+.

En réalité, le remodelage du Proche-Orient que pensaient réaliser les dirigeants de Washington est en train de se dilater pour plusieurs raisons. D’une part, leurs appuis sont des régimes criminels, comme la dictature de Damas à la durée de vie incertaine, ou des pays qu’ils ont déstabilisés, comme la Libye, et qui sont en difficulté, tandis que leurs prétendus «alliés» des monarchies deviennent de plus en plus incertains. D’autre part, la République islamique d’Iran est devenue la grande puissance régionale, une place forte de la résistance anti-impérialiste malgré les blocus et agressions de l’axe américano-sioniste.

Avec un voisin proxy stratégique et sa normalisation avec l’entité sioniste, l’Algérie est cernée à cause de son refus d’accepter l’ordre régional imposé et de courber l’échine devant l’impérialisme occidental et sioniste. Selon vous, l’Algérie pourrait-elle subir le même scénario que l’Iran ?

Je ne le pense pas, même si les Etats-Unis, la France, l’Espagne et le Maroc s’emploient à lui nuire de différentes manières. La force de l’Algérie, c’est l’expérience de sa guerre de Libération nationale contre l’occupant français, l’alliance du peuple avec son Armée nationale populaire et l’efficacité de son service de renseignement. Sur le plan économique, l’Algérie poursuit son développement au plan national et international avec des projets comme celui du gazoduc transsaharien avec le Nigeria et le Niger, la coopération militaire avec l’Inde ou de futures coopérations avec le Ghana. Dans les années 1990, les dirigeants de Washington et de Paris ont soutenu logistiquement les pires forces rétrogrades contre l’Algérie comme le FIS et le GIA, en espérant la déstabiliser pour y installer un régime à leur solde. Les dirigeants français – Mitterrand, Sarkozy, Hollande – ont joué un rôle important dans ces opérations contre l’Algérie, mais également contre la Tunisie, la Libye et la Syrie, en protégeant et soutenant des chefs terroristes des Frères musulmans recherchés par Interpol pour «association à une organisation extrémiste de terroristes».

La venue à l’Elysée du chef terroriste Mohamed Al-Joulani, issu d’Al-Qaïda, à l’invitation de Macron, fait suite à celle d’autres criminels comme Rached Ghannouchi, des Frères musulmans tunisiens, Farik Tayfour et quelques autres des Frères musulmans syriens, reçus par Hollande. La liste de ce que j’appelle «les amitiés franco-terroristes» est trop longue pour être évoquée ici, mais j’en donne un aperçu dans mon enquête «L’Etat français complice de groupes criminels». C’est aussi pourquoi, à mon avis, l’Algérie qui possède de nombreuses ressources doit sortir du complexe de «fournisseur dépendant» en prenant hardiment le contrôle des secteurs clés de son économie pour la démocratiser et la moderniser encore et en révisant ses accords économiques afin de privilégier les entreprises de pays qui la respectent.

Dans votre livre Les destructeurs, il est question d’une Amérique en déclin qui s’accroche à son hégémonie quitte à provoquer une Troisième Guerre mondiale. Avec toute cette tension provoquée par l’entité sioniste, bras armé de l’impérialisme au Moyen-Orient, le monde multipolaire émergent dont vous parlez réussira-t-il à stopper cette folie guerrière ?

Comme je l’ai expliqué, le monde multipolaire doit renforcer ses principes de coopération pour assurer son développement. Cela veut dire que les BRICS+ ne sont pas seulement un centre d’affaires. Les pays membres des BRICS+, s’ils veulent favoriser la paix et développer des coopérations mutuellement avantageuses, doivent aussi être mutuellement solidaires. Imaginons que tous les pays des BRICS+ suspendent leurs relations avec Israël tant que son armée n’aura pas cessé immédiatement ses agressions contre le Liban, la Syrie, la Palestine et la République islamique d’Iran. Les choses ne seraient-elles pas bien différentes ? Mais il faut pour cela des dirigeants qui aient une ferme volonté politique de faire triompher la paix, volonté que ceux des BRICS+ ne manifestent pour le moment que dans des déclarations.

Vous avez consacré deux livres à l’Organisation des Nations unies, ONU, violations humaines et Faut-il brûler l’ONU ?, qui sont d’une brûlante actualité et dans lesquels vous dressez un constat accablant et sans appel. Quel en est le fil conducteur ?

J’ai réalisé ces enquêtes, notamment celle publiée sous le titre «Faut-il brûler l’ONU ?» au moment de l’agression occidentale contre l’Irak et à la suite des guerres contre la Fédération de Yougoslavie, les agressions contre Cuba, le Venezuela, l’Afghanistan et Haïti, et les tentatives de renversement des pays du Maghreb par Washington dans ce que les médias de l’oligarchie ont appelé «les printemps arabes». Toutes ces guerres, pilotées en sous-main plus ou moins directement par Washington, posaient une question : que fait l’ONU pour s’y opposer et maintenir la paix ? Il fallait enquêter sur le fonctionnement du système onusien qui compte une quarantaine d’organisations à vocation internationale, partir voir l’envers du décor des beaux drapeaux flottant au vent, des conférences de presse très policées du secrétaire général et des interventions très médiatisées des «soldats de la paix» débarquant dans les pays à «sauver».

Franchi les portes des immeubles somptueux de l’organisation internationale, le bilan de l’ONU à travers le monde n’est pas sans poser de questions sur son efficacité, son rôle et sa raison d’être. Au moment de mon enquête, en 2003-2005, une personne meurt de faim toutes les trois secondes – 24 000 par jour, selon les statistiques de l’ONU –, des épidémies anciennes et nouvelles se propagent, trois milliards d’habitants sur les six de l’époque «vivent» avec moins de deux dollars par jour, le revenu par tête est plus bas dans quatre-vingts pays qu’il y a dix ans, près d’un milliard de personnes sont sans travail, un milliard d’habitants de la terre ne savent ni lire ni écrire leur nom, 800 millions n’ont pas accès aux soins, quatre millions de femmes et de fillettes sont achetées et vendues annuellement pour l’esclavage et la prostitution et jamais autant d’enfants n’ont eu à «choisir» entre la guerre, la prostitution et la mort. Depuis, tous ces chiffres ont encore augmenté.

Est-il encore temps pour réformer ce «machin» inutile, mais dont on continue de croire qu’il est encore indispensable, bien qu’il ne serve que les intérêts de quelques puissances ?

Plus de 60% des postes de direction des organisations internationales du système onusien sont détenus par des Occidentaux qui se marchandent les directions entre eux, ainsi que je le montre dans mon enquête. Réformer l’ONU ? C’est une comédie qui dure depuis des décennies et n’aboutit jamais, pour la simple raison que les Occidentaux qui tiennent les postes de direction les plus importants ne tiennent surtout pas à ce que ce système change. Par exemple, seuls les Etats-Unis, Israël et l’Ukraine s’opposent à la levée du blocus des Etats-Unis contre Cuba, dont tous les autres pays demandent la levée depuis 31 résolutions, mais celui-ci continue toujours. L’ONU est une sorte de club de discussion, dont les membres discutent et votent entre eux ce qui est bon pour le monde ou pas. Mais, comme les résolutions n’ont pas le caractère d’une obligation une fois adoptées, tout continue comme avant.

Dans ces conditions, seul le rapport de force sur le terrain, pacifique ou armé, peut faire évoluer les choses. Depuis son existence, l’ONU n’a mis fin à aucun conflit et a laissé les guerres et la corruption se développer. Face à l’impuissance de l’ONU, des pays se sont organisés régionalement pour débattre et régler les problèmes concernant leurs zones géographiques. De même, de plus en plus de pays souhaitent maintenant rejoindre les BRICS+. J’ai montré quelques aspects de l’efficacité des BRICS+ à la fin de mon enquête, publiée sous le titre «Les destructeurs», dans lequel je traite de la lente fin de l’hégémonie étasunienne.

Reconnaissons toutefois que l’ONU a une activité économique soutenue dans les marchés de l’immobilier – achats et locations de sièges pour ses organisations, locations d’appartements et de propriétés pour les représentants des Etats et ses fonctionnaires – et de la bureautique – papier, matériel de bureau, etc. Je serai tenté de dire pourquoi brûler l’ONU alors qu’elle est déjà moribonde ?

Interview réalisée par Kahina Bencheikh El-Hocine

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