Interview – Saïd Bouamama : «Le mythe de l’invincibilité d’Israël est enterré»
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Le sociologue, militant associatif et auteur de plusieurs ouvrages, Saïd Bouamama, nous livre son analyse sur les réels enjeux de cette guerre sioniste contre l’Iran. Pour le fondateur du Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP), les attaques américaines signifient l’échec de l’agression israélienne. Interview.
Algeriepatriotique : L’entité sioniste mène, depuis jeudi 12 juin, une série de bombardements sur plusieurs régions de la République islamique d’Iran. Le régime de Tel-Aviv a-t-il les moyens de mener seul cette guerre, selon vous ?
Saïd Bouamama : La guerre d’agression menée par l’entité sioniste doit être nettement caractérisée pour en saisir les réels enjeux. Une première question posée par la caractérisation de la guerre est celle du ou des promoteurs de cette guerre. Le discours du président états-unien prétendant que son allié sioniste a agi seul, sans le consulter et en l’informant simplement de sa décision, est tout simplement indéfendable. Il est d’abord démenti par les faits et en particulier par les mesures de protection et de préparation pour ses bases de la région avant l’attaque sioniste. Il est ensuite absurde au regard de la structure de l’armée sioniste et de la composition de son armement. L’Etat sioniste et son armée ont effectivement une puissance de destruction redoutable mais celle-ci est dépendante totalement du soutien économique, diplomatique, militaire, technologique, etc. des Etats-Unis. Bien sûr, l’entité sioniste dispose d’une autonomie relative et peut prendre certaines décisions pour influer sur la situation mais cette autonomie est inscrite dans un cadre de dépendance structurelle. Autrement dit, tel ou tel détail du script de la guerre en Iran a pu être écrit à Tel-Aviv mais dans un scénario global élaboré, lui, à Washington.
Une seconde question posée par la caractérisation de la guerre est celle de ses buts. Le but officiel initial, à savoir l’existence d’un pseudo-danger imminent de production de l’arme nucléaire par l’Iran est, lui aussi, démenti par les faits. Tous les rapports récents, à la fois des différents services de renseignement états-uniens et de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), convergent vers l’absence de possibilité immédiate d’accéder à l’arme nucléaire à court terme. Il faut donc déplacer le regard pour pouvoir entrevoir les véritables buts de la guerre, à la fois de l’entité sioniste et des Etats-Unis.
La guerre d’agression par procuration contre l’Iran s’inscrit dans un contexte global et de longue durée qu’on ne peut pas éluder. Ce contexte est celui d’une stratégie assumée d’opposition et de coup d’arrêt à la logique multipolaire en développement depuis plusieurs décennies. Cette stratégie suppose la neutralisation ou la destruction de tous les pôles de pouvoir alternatif et de tous les Etats disposant encore d’une indépendance décisionnelle. Après la chute orchestrée de la Syrie, l’Iran est de fait le dernier Etat indépendant des Etats-Unis dans la région. Téhéran est également depuis longtemps un des piliers de la dynamique multipolaire mondiale et un allié stratégique de la Russie et de la Chine. Enfin, ce pays est également la dernière opposition étatique de consistance au projet sioniste. L’ensemble de ces facteurs conduisent à un but structurel de guerre : au mieux, l’affaiblissement de l’Etat iranien et, au pire, imposer un changement de régime politique. C’est à ce niveau que peut jouer l’«autonomie relative» de l’entité sioniste afin d’orienter rapidement le but de guerre vers le «pire».
Ce contexte global permet de donner une première réponse à votre question. Non, l’entité sioniste n’a pas les moyens de mener cette guerre et de la gagner sans un investissement massif des Etats-Unis. Au plus, le temps passe et au moins cette entité peut gagner sa guerre d’agression. Quant aux Etats-Unis, ils ne peuvent mettre en œuvre tout ce qu’ils voudraient. Ils sont confrontés à leur opinion publique, aux réactions mondiales, au coût et aux conséquences de la guerre, etc. Le monde n’est plus celui de la guerre contre l’Irak en 2003, l’Iran est loin d’être isolé, comme en témoignent les livraisons d’armes de la Chine et de la Russie.
Y a-t-il une possibilité que les deux armées, iranienne et israélienne, s’affrontent sur le sol ?
La guerre au sol est encore moins plausible dans ce contexte global. Elle n’est d’ailleurs pas envisagée par Tel-Aviv. L’objectif des frappes meurtrières actuelles de l’entité sioniste est de susciter un vent de panique dans la population iranienne, d’installer une situation de chaos et de contraindre les puissances occidentales à un réalignement total sur son agenda [alignement ébréché par les horreurs du génocide, la défaite morale de l’Etat sioniste, la mobilisation de l’opinion publique populaire mondiale, etc.] dans l’espoir de réunir les conditions d’un scénario à la syrienne.
Du côté des Etats-Unis, l’intervention au sol suppose des conditions qui ne sont pas réunies pour l’instant [large consensus politique pour le déclenchement d’une telle guerre, opinion publique prête aux «sacrifice» matériels et humains, etc.]. De surcroît, les Etats-Unis sont, bien entendu, conscients à la fois de la disproportion du rapport des forces militaires en leur faveur et des capacités de résistance de l’Iran. Ils savent qu’une telle guerre au sol sera longue, lourde de conséquence, promise à un enlisement et propice à la fois à un élargissement régional, d’une part, et à s’élargir en guerre asymétrique dans de nombreux points de la région, d’autre part.
Un affrontement au sol n’est pas envisageable, non plus, si l’on prend en compte l’état des sociétés iranienne et israélienne. La première se caractérise par une conscience nationale forte malgré, comme dans toute nation, des contradictions réelles. Au sein de celle-ci, la conscience d’une «communauté de destin» avec le peuple palestinien est largement partagée. Enfin, cette société a développé une capacité de résilience importante du fait des nombreuses agressions antérieures [de l’Irak d’abord de 1980 à 1988, d’Israël et des Etats-Unis depuis]. Ce sont les épreuves qui forgent les consciences. De même que le coût de la libération nationale algérienne a ancré un sentiment puissant d’unité nationale face aux dangers, de même le coût payé par le peuple iranien pour sa souveraineté conduit à un résultat similaire.
Du côté de la société israélienne, la réalité est toute autre. Certes, une partie dominante de cette société continue à soutenir totalement son gouvernement génocidaire. Il y a même une radicalisation guerrière classique en situation coloniale. L’ensauvagement d’une partie non négligeable de la population est d’ailleurs le résultat de l’immense défaite morale du projet sioniste qui n’a jamais été autant décrédibilisé et délégitimé depuis 1948. Il est à l’image de la radicalisation fasciste de l’OAS des dernières années de la Guerre de libération nationale en Algérie. L’ensemble des mythes fondateurs du sionisme s’écroule devant la réalité génocidaire. Les indicateurs d’une crise morale profonde sont nombreux : réservistes refusant de repartir au combat, émigration de citoyens israéliens vers d’autres pays atteignant des seuils inédits depuis 1948, instauration d’une obligation de détenir une «permission» pour quitter le pays, etc.
Enfin, et surtout, le mythe de l’invincibilité de l’armée israélienne et de sa capacité à protéger totalement la population est définitivement enterré. Déjà, l’opération militaire du 7 octobre avait durablement déstabilisé ce mythe. L’ampleur de la réaction sioniste et son caractère génocidaire avaient d’ailleurs été une des conséquences de cette déstabilisation. Il s’agissait ni plus ni moins que de réinstaller ce mythe pour ressouder l’opinion publique. Les ripostes iraniennes à l’agression israélienne démontrent une nouvelle fois l’inanité de ce mythe. Le fameux Dôme de fer de la défense israélienne est à la fois coûteux et incapable d’assurer une protection totale. Dans un tel contexte, ni les Etats-Unis, ni l’entité sioniste ne sont prêts à prendre le risque [du moins pour l’instant] d’une guerre au sol.
Selon des sites spécialisés, la Russie et la Chine ont envoyé des équipements destinés à renforcer la défense de l’espace aérien iranien. Le Moyen-Orient est-il en passe de devenir un champ d’expérimentation militaire dans lequel les uns (Chine et Russie) testent leurs technologies face à celles des autres (Otan) ?
Bien entendu. Toute guerre est un moment d’évaluation de la performance des technologies militaires. Ce sont les performances en situation réelle qui déterminent ensuite, en partie importante, les choix d’achats d’équipements militaires des différents Etats. Au-delà de l’aspect commercial, les guerres sont également un moment révélateur de l’état de l’armement des différentes puissances. Bien sûr, cette «révélation» est partielle et la partie la plus sophistiquée du dispositif d’armement reste sous le sceau du secret.
Au-delà de cet aspect, le simple fait que des armes chinoises et russes aient été livrées aux Iraniens porte d’abord une dimension politique. Il souligne que l’Iran est loin d’être isolé. Bien entendu, la résistance à l’agression dépend d’abord du gouvernement iranien et de son peuple mais la palette des choix de résistance ne se réduit pas à un Etat isolé n’ayant aucune marge de manœuvre. Le gouvernement états-unien en a d’ailleurs conscience. Cet aspect a joué dans sa stratégie de dégagement de l’Ukraine dans une logique de se débarrasser d’un front jugé secondaire pour se concentrer sur un front estimé principal. Ce «désengagement» de l’Ukraine avait un double objectif : tenter de disjoindre la Chine et la Russie, d’une part, mettre Moscou sur la défensive dans son soutien à l’Iran, d’autre part. L’attaque ukrainienne de début juin contre quatre bases aériennes russes le confirme. Elle ne pouvait se réaliser sans l’appui états-unien. Elle porte un message de menace et d’intimidation visant à mettre Moscou sur la défensive. Les livraisons récentes d’armes russes indiquent que l’intimidation n’a pas fonctionné.
Au-delà de l’aspect militaire, les discours russe et chinois sont convergents. Ils indiquent la conscience que l’Iran n’est qu’un des segments d’un affrontement plus global dans lequel ils sont eux-mêmes des cibles à déstabiliser. Ce n’est donc pas par amour, ni amitié abstraits avec l’Iran qu’est dénoncée l’agression sioniste mais par conscience des intérêts communs. Chacune de ces puissances sait qu’une partie de son avenir se joue aujourd’hui à Téhéran.
Que signifient les récentes attaques états-uniennes contre les sites nucléaires iraniens ?
Ces attaques s’inscrivent dans la même stratégie d’intimidation vis-à-vis des autorités iraniennes dont le but n’est rien d’autre que d’obtenir une capitulation de Téhéran. Elles ont été conséquentes avec des bombes anti-bunker de plus de 13 000 kg afin de susciter la peur d’une guerre généralisée. Elles soulignent également l’échec de l’agression israélienne. Même le masque d’une guerre par procuration est aujourd’hui déchiré. Il fallait sauver le soldat Netanyahou pour crédibiliser la menace d’un «ouragan destructeur» sur l’Iran pour reprendre une expression de Trump lui-même.
Les premières réactions iraniennes indiquent l’échec de la stratégie d’intimidation pour obtenir une capitulation. Les dégâts sont énormes mais ne produisent aucune capitulation. L’arrogance coloniale des puissants a une nouvelle fois conduit ceux-ci à sous-estimer la force que constitue un peuple décidé à résister. Le général iranien Alireza Tangsisri l’a démontré, ce dimanche, en brandissant la menace de l’utilisation de l’arme économique en cas de récidive. Non seulement, il précise que l’attaque états-unienne de ce week-end ne restera pas sans réponse militaire mais annonce la fermeture du détroit d’Ormuz dans le cas d’une poursuite des frappes états-uniennes. L’enjeu de ce détroit est connu : 25% des exportations mondiales de pétrole et 33% de celles du gaz dépendant de ce détroit. Les prix du brut ont immédiatement bondi de 6%. Nous sommes à l’exact opposé de la capitulation attendue.
Les monarchies du Golfe, coincées entre leur normalisation avec l’entité sioniste et la crainte d’un embrasement, semblent tétanisées…
Le spectacle de ces monarchies est pathétique. La logique de sacrifier sa souveraineté en échange d’une protection militaire conduit au résultat logique d’une relation d’asservissement. Nous ne sommes pas en présence d’une relation d’«alliés» mais face à un lien de vassalité. Or, dans ce type de rapport politique même les intérêts objectifs des vassaux sont enterrés sur l’autel de ceux du suzerain. Dans le passé, l’acceptation de la logique des Accords d’Abraham, c’est-à-dire objectivement de complicité avec le projet sioniste, a conduit ces Etats à se mettre en porte-à-faux avec leurs propres peuples. Aujourd’hui, ils se retrouvent simples spectateurs d’une guerre dans laquelle leurs intérêts sont occultés et leur dépendance totale dévoilée. S’il est trop tôt pour prévoir précisément les effets d’une telle situation, il est, en revanche, déjà possible d’annoncer qu’ils seront importants et durables.
Le projet du remodelage du Moyen-Orient que l’axe américano-sioniste pensait devenir une réalité concrète bute sur un adversaire de taille. L’Iran est-il en voie de faire échouer ce projet ?
Il est encore trop tôt pour le dire. Nous ne sommes pas seulement en présence d’un projet mais d’une véritable planification qui a déjà été largement mise en œuvre. Il ne s’agit pas non plus d’un terrain secondaire pour les Etats-Unis mais d’un front jugé essentiel, sinon premier, dans la stratégie globale de réimposition d’une hégémonie états-unienne. Depuis le début du nouveau siècle, la stratégie états-unienne est celle remodelage c’est-à-dire en fait de l’orchestration de la chute des gouvernements non entièrement inféodés, pour le mieux, de la balkanisation de nations, pour le pire. Sur les huit Etats annoncés dans ce plan, sept ont déjà été «remodelés» pour le plus grand malheur de leurs peuples (Libye, Soudan, Somalie, Yémen, Syrie, Irak, Afghanistan). Le huitième prévu était justement l’Iran. Ce qu’il y a, en revanche, de nouveau, ce sont les capacités de résistance du peuple iranien, d’une part, et un champ des possibles en termes de soutien plus large. Ce qui est également avéré, c’est que les peuples du monde observent attentivement la situation. De la réussite ou non de l’agression sioniste et états-unienne dépend la tentation pour les Etats-Unis d’appliquer à d’autres endroits de la planète et à d’autres Etats-nations leur logique d’imposition par la force d’un rapport de vassalité, c’est-à-dire de recoloniser avec les habits d’aujourd’hui.
Interview réalisée par Kahina Bencheikh El-Hocine
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