«La footballeuse» de Nadjib Stambouli (Nouba éditions): Une héroïne au pied levé dans l’arène du patriarcat

Avec La footballeuse, Nadjib Stambouli signe un roman aussi puissant qu’indispensable. Derrière ce titre, publié chez Nouba éditions, à première vue simple, se cache une œuvre sociale et politique, un cri de liberté, un hommage vibrant à ces femmes algériennes qui osent affronter les interdits, les jugements et la violence symbolique – parfois physique – […]

Juil 14, 2025 - 20:53
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«La footballeuse» de Nadjib Stambouli (Nouba éditions): Une héroïne au pied levé  dans l’arène du patriarcat

Avec La footballeuse, Nadjib Stambouli signe un roman aussi puissant qu’indispensable. Derrière ce titre, publié chez Nouba éditions, à première vue simple, se cache une œuvre sociale et politique, un cri de liberté, un hommage vibrant à ces femmes algériennes qui osent affronter les interdits, les jugements et la violence symbolique – parfois physique – pour exister autrement. Et surtout, pour exister pleinement.

Par Hafit Zaouche

L’héroïne, Tinhinane Hamri, surnommée Tina, est née dans le village imaginaire de Ksar El Baz, quelque part dans les Hauts-Plateaux. À travers son parcours, c’est toute une société qui est interrogée, secouée, dénoncée. Car être une footballeuse en Algérie, ce n’est pas qu’une passion sportive, c’est un combat permanent contre les regards accusateurs, les carcans culturels, les violences sourdes. Ce que le livre révèle avec force, c’est que dans un pays encore figé par les vestiges du patriarcat, les femmes doivent littéralement se battre pour courir, sauter, jouer… vivre.
Le personnage de Tina, magnifiquement construit, incarne cette jeunesse féminine audacieuse, piétinée mais debout. Dès l’enfance, elle découvre l’interdit : celui de courir comme un garçon, celui de rêver de ballon rond. Son entourage – frères, voisins, professeurs – ne voit dans son engagement sportif qu’un affront à la bienséance. Pire, une humiliation. Il faut entendre les termes lancés à la volée : «montrer ses cuisses», «perdue», «dayouth», «moutabarija». Toute l’idéologie du contrôle du corps féminin s’y cristallise.
Mais Tina avance. Grâce à un père discret et admirable, Ammar Hamri, qui l’encourage, la protège, et défie à sa manière les verdicts du «Cheikh el Qabila», figure allégorique du patriarche omniscient qui règne sur les mentalités. C’est là une des grandes forces du roman : montrer que même dans les sociétés les plus oppressives, il existe des fissures, des hommes libres, des soutiens inattendus.
Du village à Alger, puis d’Alger à Marseille, l’itinéraire de Tina est celui d’une femme qui transforme chaque insulte en énergie, chaque mur en escalier. Elle intègre d’abord le prestigieux Football Club d’Alger (FCA), malgré les tentatives d’intimidation, les regards pesants, les menaces de mort. Là encore, l’auteur convoque la mémoire collective : celle de la décennie noire où les femmes furent les premières cibles d’une haine diffuse, de rues devenues tribunaux. Puis, son talent la propulse à Marseille, où elle devient la première footballeuse algérienne recrutée à l’étranger. Mais même en France, d’autres formes d’obstacles l’attendent : racisme, exclusion, défiance. Elle vacille, mais elle tient.
L’écriture de Nadjib Stambouli est vive, sans compromis. Elle mêle récit personnel et dénonciation collective, peinture sociale et émotion brute. On sent chez lui une colère sourde, celle de voir tant de jeunes femmes brisées par une société encore trop cadenassée par les apparences. Il y a dans La footballeuse une sincérité rare, un souffle féministe sans slogans, juste, poignant, algérien. Mais surtout, il y a de l’espoir. Le sourire final de Tina, ses victoires, son maillot vert de l’équipe nationale, sont des lueurs dans l’obscurité. Lueurs fragiles, mais tenaces. Ce roman nous rappelle que chaque pionnière fait basculer l’histoire d’un millimètre. Et qu’un jour, peut-être, ces millimètres feront des kilomètres. La footballeuse n’est pas seulement un roman sur le football ou sur la condition féminine. C’est un roman sur le courage. Celui de dire non. Celui de dire oui. Celui de se lever, même seule, contre la meute.
H. Z.