Les deux romans de Abdelkader Gouchene: Ecrire pour ne pas oublier

Il y a parfois des trajectoires de vie qui semblent destinées à se perdre dans le tumulte des carrières longues et prenantes, mais qui, au détour d’un désert silencieux, trouvent un écho inattendu dans l’écriture. Celle de Abdelkader Gouchene, né en 1960 à Tizi Par Hafit Zaouche N Berber dans la daïra d’Aokas, wilaya de […]

Août 22, 2025 - 20:48
 0
Les deux romans de Abdelkader Gouchene: Ecrire pour ne pas oublier

Il y a parfois des trajectoires de vie qui semblent destinées à se perdre dans le tumulte des carrières longues et prenantes, mais qui, au détour d’un désert silencieux, trouvent un écho inattendu dans l’écriture.
Celle de Abdelkader Gouchene, né en 1960 à Tizi

Par Hafit Zaouche

N Berber dans la daïra d’Aokas, wilaya de Béjaïa, marié, père de cinq enfants et ancien cadre de Sonatrach, appartient à cette catégorie.
Ingénieur en instrumentation, formé en Algérie mais aussi au Japon, aux États-Unis, en Italie ou aux Pays-Bas, il a consacré plus de trente années de sa vie au Sud algérien, plongé dans l’univers exigeant de la maintenance pétrolière. Pourtant, derrière l’homme de science et de technique, sommeillait un conteur, un passeur de mémoire, un amoureux des mots.
Son premier roman, «Amour Sublime» (2018), en est la preuve éclatante. Né de récits familiaux, d’anecdotes transmises par ses parents et ses proches, ce livre donne chair aux souffrances, aux espoirs et aux luttes des Algériens durant la Seconde Guerre mondiale. On y retrouve deux histoires vraies, entre veuvage et remariage, entre fidélité et fatalité. Mais au-delà des destins singuliers, l’auteur a voulu peindre le quotidien d’un peuple emmuré dans la misère, étranglé par le colon, et surtout mettre en lumière la condition des femmes, «souffre-douleur» d’une société figée dans des lois archaïques.
Djohra, personnage féminin central, incarne cette Algérie meurtrie mais résistante, aimante jusqu’au sacrifice. Ce choix du titre reflète à la fois l’amour d’une femme pour son mari et celui d’un homme pour sa patrie.
Loin d’être un simple témoignage, «Amour Sublime» dialogue avec l’Histoire : il relie la misère sociale des années 1940 au déclenchement de la guerre de Libération, et inscrit la voix des humbles dans une mémoire trop souvent réservée aux vainqueurs et aux chroniqueurs étrangers.
Mais Abdelkader Gouchene n’en est pas resté là. Dans quelques pages à peine, il a ouvert un second horizon. «L’Appel des sirènes», son nouveau roman, transporte le lecteur de la Kabylie rurale à Alger, de Marseille à Paris, jusqu’aux confins de la Louisiane. À travers Mohand, berger contraint de quitter son hameau, l’auteur retrace l’itinéraire chaotique de ces vies brisées par la colonisation, l’exil et la dureté des liens familiaux.
Le récit ne se contente pas de raconter un destin : il aborde des tabous longtemps tus. Thanina, humiliée parce qu’elle n’enfante que des filles. Gida, mère possessive, qui exerce une pression insoutenable sur son fils unique, jusqu’à le pousser au désespoir. Et Mouloud, jeune homme fragile, victime de l’incompréhension de tous, qui choisit la mort comme ultime échappatoire.
Avec ce roman, Abdelkader Gouchene brise le silence sur des réalités sociales que l’on a préféré longtemps enfouir. Il met des mots sur la souffrance des femmes, sur la violence symbolique du patriarcat, sur les drames intimes qui minaient les villages kabyles. Son écriture, sobre et directe, puise sa force dans la fidélité au vécu, dans la volonté de dire sans fard, mais avec tendresse. Dans ses deux romans, se dessine une même urgence : sauvegarder la mémoire collective, témoigner de ce qui a été vécu, et donner une voix à ceux que l’Histoire a trop souvent réduits au silence. Abdelkader Gouchene, qui se définit lui-même comme un lecteur passionné avant tout – «le livre fut pour moi une concubine fidèle», confie-t-il – a transformé son amour de la lecture en un acte d’écriture. Entre souvenirs d’enfance, récits de village et drames familiaux, il offre aux nouvelles générations des récits profondément ancrés dans le réel, mais portés par la force de la littérature.
Ainsi, du désert saharien où il a passé l’essentiel de sa carrière, a jailli une oasis de mots. Les siens. Ceux d’un homme qui, à l’heure de la retraite, choisit de ne pas se taire. Parce que l’oubli est la pire des morts. H. Z.