Les enfumades de Sbih à Chlef: un génocide révélé par les archives de la France coloniale

CHLEF - Le 12 août 1845, la région de Deboussa, entre les communes de Sobha et Ain M’rane (Nord-ouest de Chlef), fut le théâtre de l’un des plus odieux crimes contre l’humanité commis en Algérie par l’armée coloniale française qui a tenté d’occulter les faits, cyniquement "démasqués" par les archives militaires de l'occupant. A la veille du 180e anniversaire de ces enfumades qui ont fait plus de 1.500 martyrs, des historiens et des chercheurs de la région du bassin du Chelif ont rappelé comment la France coloniale a tenté d’occulter ce massacre commis contre des civils sans défense de la tribu de Sbih, pour les punir d’avoir soutenu la résistance menée par Chérif Boumaâza et défendu la souveraineté sur leurs terres. Depuis son débarquement en Algérie, la France coloniale a toujours tenté de falsifier les faits historiques et de dissimuler les massacres de masse qu’elle avait commis, à l’image du massacre de Sbih, qui s’inscrit dans la série des enfumades perpétrées contre les résistances populaires dans la région du Dahra, entre Mostaganem et Chlef, a relevé l’enseignant en histoire à l’Université de Mostaganem, El-Hocine Yekhtar. Un des documents les plus accablants est une correspondance du général Saint Arnaud, datée du 15 août 1845 et adressée à son frère en France. Il y décrit, avec un cynisme glaçant, comment ses troupes ont brûlé vifs les habitants réfugiés dans Chaâbat Lebiar, à Deboussa, croyant ainsi briser la résistance algérienne. Ce témoignage, censé rester confidentiel, s’est transformé en une preuve irréfutable de la barbarie coloniale et une reconnaissance involontaire de l’héroïsme du peuple algérien. Pour Mohamed Guemoumia, membre de l’Académie de la mémoire nationale à Chlef, les enfumades de Sbih se déclinent comme "un crime contre l’humanité, attesté dans des correspondances militaires officielles qui, loin de rester secrètes, ont dévoilé le vrai visage du colonialisme aux habitants de l’époque et à l’opinion publique internationale". Malgré l’horreur, la tribu Sbih a marqué l’histoire par son refus de se soumettre au diktat de l’occupant, comme révélé dans ces correspondances, d’où l’appel de M. Guemoumia à collecter davantage de témoignages et de documents afin de lever le voile sur ce pan de l'histoire et de le préserver dans la mémoire collective.             Correspondances coloniales dénuées d’humanité   Tout en perpétrant leurs crimes, les chefs de la soldatesque coloniale se vantaient, dans leurs correspondances tant officielles que personnelles et avec un sang-froid glaçant, des atrocités commises contre un peuple sans défense. Saint-Arnaud rapporte, dans un échange épistolaire avec son frère en France, que sa troupe avait inspecté la grotte de Chaâbet El Abiar et qu'ils avaient été "reçus à coups de feu" par les tribus où ils ont été forcés de s'y refugier. Après avoir attendu vainement que ces derniers sortent, il avait alors décidé de les "sommer" de sortir. Dans son récit funeste, il a décrit dans les moindres détails son crime, dont la préparation avait commencé le 9 août, lorsqu'il décida, sans conscience aucune, de mettre le feu à la grotte pendant deux jours entiers (les 10 et 11 août 1845), après avoir, a-t-il reconnu, "bouché hermétiquement toutes les issues" pour transformer la caverne en un "vaste cimetière", selon son expression. Pour sa part, Mohamed Belil, professeur d’histoire à l’Université Ibn Khaldoun de Tiaret, a évoqué une correspondance du maréchal Bugeaud adressée au colonel Pélissier, dans laquelle il lui ordonne d’assiéger la tribu des Ouled Riah à Mostaganem et de les brûler, comme l’avait fait Cavaignac en juin 1844 avec la tribu des Sebih à Ain M’rane. Un fait attestant que les enfumades des Sebih se sont produites à deux reprises consécutives dans la même région (1844-1845). Une autre lettre du général Cavaignac relate les détails de ce massacre perpétré par l’occupant français pour soumettre et exterminer la tribu des Beni Sebih qui avait joué un rôle actif dans le soutien de la résistance de Chérif Boumaâza. Il y reconnaît que "les soldats ont entassé de grandes quantités de bois à l’entrée de la grotte" où "nous avions poussé la tribu des Beni Sbih avec tous leurs biens et leurs animaux. Le soir, nous avons mis le feu en veillant à ce qu’aucun être vivant ne puisse en sortir", a-t-il reconnu. Aujourd’hui encore, la grotte d’El Abiar témoigne de cette effroyable tragédie. Ses parois, noircies par la fumée et l'incendie d’il y a près de 180 ans, portent la mémoire d’un peuple qui refusa de plier face à l’oppresseur. Pour rendre hommage à ces martyrs, les autorités de la wilaya, en partenariat avec la direction des Moudjahidine, ont entrepris l’édification d’un monument commémoratif à Deboussa, manière de préserver la mémoire collective et de documenter l’histoire de la région.

Août 11, 2025 - 15:47
 0
Les enfumades de Sbih à Chlef: un génocide révélé par les archives de la France coloniale
Les enfumades de Sbih à Chlef: un génocide révélé par les archives de la France coloniale

CHLEF - Le 12 août 1845, la région de Deboussa, entre les communes de Sobha et Ain M’rane (Nord-ouest de Chlef), fut le théâtre de l’un des plus odieux crimes contre l’humanité commis en Algérie par l’armée coloniale française qui a tenté d’occulter les faits, cyniquement "démasqués" par les archives militaires de l'occupant.

A la veille du 180e anniversaire de ces enfumades qui ont fait plus de 1.500 martyrs, des historiens et des chercheurs de la région du bassin du Chelif ont rappelé comment la France coloniale a tenté d’occulter ce massacre commis contre des civils sans défense de la tribu de Sbih, pour les punir d’avoir soutenu la résistance menée par Chérif Boumaâza et défendu la souveraineté sur leurs terres.

Depuis son débarquement en Algérie, la France coloniale a toujours tenté de falsifier les faits historiques et de dissimuler les massacres de masse qu’elle avait commis, à l’image du massacre de Sbih, qui s’inscrit dans la série des enfumades perpétrées contre les résistances populaires dans la région du Dahra, entre Mostaganem et Chlef, a relevé l’enseignant en histoire à l’Université de Mostaganem, El-Hocine Yekhtar.

Un des documents les plus accablants est une correspondance du général Saint Arnaud, datée du 15 août 1845 et adressée à son frère en France. Il y décrit, avec un cynisme glaçant, comment ses troupes ont brûlé vifs les habitants réfugiés dans Chaâbat Lebiar, à Deboussa, croyant ainsi briser la résistance algérienne. Ce témoignage, censé rester confidentiel, s’est transformé en une preuve irréfutable de la barbarie coloniale et une reconnaissance involontaire de l’héroïsme du peuple algérien.

Pour Mohamed Guemoumia, membre de l’Académie de la mémoire nationale à Chlef, les enfumades de Sbih se déclinent comme "un crime contre l’humanité, attesté dans des correspondances militaires officielles qui, loin de rester secrètes, ont dévoilé le vrai visage du colonialisme aux habitants de l’époque et à l’opinion publique internationale".

Malgré l’horreur, la tribu Sbih a marqué l’histoire par son refus de se soumettre au diktat de l’occupant, comme révélé dans ces correspondances, d’où l’appel de M. Guemoumia à collecter davantage de témoignages et de documents afin de lever le voile sur ce pan de l'histoire et de le préserver dans la mémoire collective.

           

Correspondances coloniales dénuées d’humanité

 

Tout en perpétrant leurs crimes, les chefs de la soldatesque coloniale se vantaient, dans leurs correspondances tant officielles que personnelles et avec un sang-froid glaçant, des atrocités commises contre un peuple sans défense.

Saint-Arnaud rapporte, dans un échange épistolaire avec son frère en France, que sa troupe avait inspecté la grotte de Chaâbet El Abiar et qu'ils avaient été "reçus à coups de feu" par les tribus où ils ont été forcés de s'y refugier. Après avoir attendu vainement que ces derniers sortent, il avait alors décidé de les "sommer" de sortir.

Dans son récit funeste, il a décrit dans les moindres détails son crime, dont la préparation avait commencé le 9 août, lorsqu'il décida, sans conscience aucune, de mettre le feu à la grotte pendant deux jours entiers (les 10 et 11 août 1845), après avoir, a-t-il reconnu, "bouché hermétiquement toutes les issues" pour transformer la caverne en un "vaste cimetière", selon son expression.

Pour sa part, Mohamed Belil, professeur d’histoire à l’Université Ibn Khaldoun de Tiaret, a évoqué une correspondance du maréchal Bugeaud adressée au colonel Pélissier, dans laquelle il lui ordonne d’assiéger la tribu des Ouled Riah à Mostaganem et de les brûler, comme l’avait fait Cavaignac en juin 1844 avec la tribu des Sebih à Ain M’rane. Un fait attestant que les enfumades des Sebih se sont produites à deux reprises consécutives dans la même région (1844-1845).

Une autre lettre du général Cavaignac relate les détails de ce massacre perpétré par l’occupant français pour soumettre et exterminer la tribu des Beni Sebih qui avait joué un rôle actif dans le soutien de la résistance de Chérif Boumaâza.

Il y reconnaît que "les soldats ont entassé de grandes quantités de bois à l’entrée de la grotte" où "nous avions poussé la tribu des Beni Sbih avec tous leurs biens et leurs animaux. Le soir, nous avons mis le feu en veillant à ce qu’aucun être vivant ne puisse en sortir", a-t-il reconnu.

Aujourd’hui encore, la grotte d’El Abiar témoigne de cette effroyable tragédie. Ses parois, noircies par la fumée et l'incendie d’il y a près de 180 ans, portent la mémoire d’un peuple qui refusa de plier face à l’oppresseur.

Pour rendre hommage à ces martyrs, les autorités de la wilaya, en partenariat avec la direction des Moudjahidine, ont entrepris l’édification d’un monument commémoratif à Deboussa, manière de préserver la mémoire collective et de documenter l’histoire de la région.