Précieuses ridicules
Par Ali Akika – Les préjugés sont à ranger dans des greniers pour qu’ils moisissent loin du présent des vivants. Quant aux précieuses ridicules, il faut espérer qu’on les rencontre uniquement dans les musées. L’article Précieuses ridicules est apparu en premier sur Algérie Patriotique.

Par Ali Akika – S’il y a un pays inondé le jour d’une lumière incomparable, avec ses nuits étoilées et douces, c’est l’Algérie. Elle le doit à ces étoiles qui clignotent dans son ciel. Et ce n’est pas sans raison que Kateb Yacine, un ciseleur de mots, a nommé son roman Nedjma, à la fois cousine secrètement aimée et l’Algérie, le pays de ses ancêtres dont certains des enfants, de nos jours, sont éparpillés dans le froid de l’exil.
Mais contrairement aux Précieuses ridicules de Molière(*), Nedjma, la femme belle, désirée et disputée, demeure pour les enfants des ancêtres, une forteresse, une boussole. Et ce n’est pas non plus le hasard si tant d’artistes peintres étrangers ont visité l’Algérie pour tremper leurs pinceaux dans les lumières de jour comme de nuit, indispensables à l’éclat de leur art. Oui, l’art comme la nature a besoin de lumière pour créer de la volupté. Hélas, trois fois hélas, il est des gens perméables aux idées noires et dont les joutes ridicules à l’image des frivolités en vogue à l’époque de Molière, leur servent de paravent à l’ennui. Ces gens-là se permettent tout avec les parias ; hier c’étaient des «Gaulois» des quartiers pauvres qualifiés d’Apaches et, de nos jours, c’est au tour des immigrés d’être désignés de «barbares».
Heureusement, ils n’ont plus le pouvoir de regrouper cette catégorie de gens dans des réserves d’Indiens ou bien dans les camps de regroupement tristement célèbre durant la Guerre d’Algérie. La Guerre d’Algérie est finie, pour reprendre le titre d’un film sur la Guerre d’Espagne. Pourtant, existent encore des gens vivant dans le pays où le République mit fin à un pouvoir de droit divin et ouvrit les portes de la citoyenneté. Hélas, de nos jours, cette République a pris des rides, non pas du temps qui passe, mais de vents mauvais soufflant sur de mauvais souvenirs ; dans de telles conditions, difficile pour ces gens-là, n’est-ce pas, d’en tirer des leçons. C’est pourquoi leurs cœurs palpitent de rage d’avoir quitté un pays quand un volcan se réveilla en emportant tout sur son passage, les nuits étoilées remplacèrent la nuit coloniale.
Le pays de Nedjma retrouvé suscita la sympathie et la solidarité dans le monde. Mais les femmes, les hommes et leurs enfants ayant échoué ou étant nés dans la rive nord de la Méditerranée devinrent des cibles de basses opérations de police. A ces cœurs rancuniers qui ont un penchant pour Brasillach, ces cibles font partie d’une histoire à effacer. Nul besoin de dire que la littérature de Kateb Yacine ne laboure pas dans le même territoire de l’écrivain Brasillach, fusillé au lendemain de la chute d’Hitler. Comblons des lacunes en les informant, les affidés de Brasillach, que les poètes de Numidie, ancêtre de l’actuel Algérie, ont hérité du pouvoir des mots. Dans le cas de Kateb Yacine, la chance lui a souri et lui fit rencontrer par la pensée un magicien doté d’un redoutable pouvoir, celui de rire de la méchanceté.
Ce magicien avait un Ane d’or qu’il faisait braire pour couvrir les bruits de haine d’ignobles individus qui maltraitaient des anonymes et paisibles braves gens. Et ce poète, lointain ancêtre de Kateb Yacine, de son nom Apulée de Madaure, utilisait donc les arcanes de son Ane d’or pour parler des métamorphoses de son époque qui sont aussi les nôtres aujourd’hui. Apulée, homme de l’Antiquité, avait, des millénaires plus tard, une sorte de sosie littéraire en la personne de Balzac, magistral observateur de sa société du XIXe siècle. Tous deux, le Numidien de l’Antiquité et le Français d’un pays qui s’embourgeoise, ont laissé des trésors d’une architecture de la comédie humaine.
Balzac «spécialisa» son regard sur une couche sociale cultivant la futilité et dans ce milieu frivole émergea des Rastignac, cherchant à acquérir désespérément un statut social pour sortir de la solitude de l’anonymat. Pour mettre en garde ceux qui prennent un malin plaisir de mener la vie dure aux parias des temps modernes, qu’ils sachent qu’ils vont perdre leur latin avec les enfants d’un pays où naquit un sage parmi les sages de la philosophie. Son nom, Saint Augustin, et ses œuvres recouvrent toutes les étagères des bibliothèques du monde. Il écrivait en langue latine, le butin de guerre de la Numidie, cet enfant de Souk-Ahras devint l’immense doctrinaire de l’Eglise chrétienne.
Lui succéda dans le panthéon de la culture religieuse du pays, l’Emir Abdelkader, doté de multiples talents, poète et stratège militaire qui vainquit ici et là les généraux formés par et dans la grande armée de Napoléon. Ces soldats vaincus dans l’immensité des plaines enneigées de Russie, se sont distingués dans les plaines et haut plateaux d’Algérie par leur «audace» à empoisonner les puits et à enfumer dans leurs grottes des populations pourchassées. Un immense univers mental séparait l’Emir Abdelkader des rescapés de la campagne de Russie, rentrés chez eux dans un piteux état. L’Emir, lui, a laissé l’image d’un chef de guerre qui interdisait à ses troupes de ne point achever les blessées et recommandait de bien traiter les prisonniers. Et, en exil en Syrie-Liban, il protégea les chrétiens menacés durant une période de troubles religieux.
Voilà donc le pays de ces hommes, dont les œuvres et la vie constituent la muraille qui servit de protection aux ancêtres de Nedjma, un peuple qui a résisté pour ne pas sortir de l’histoire mais d’en être et demeurer l’unique acteur. Et si l’on veut préserver le futur des peuples des deux rives de Sa Majesté la Méditerranée, il est temps d’assécher le marigot où s’épanouit la haine. Les poètes des deux rives ne sont pas orphelins de belles langues pour mettre des mots sur les poisons qui polluent la vie des peuples.
L’horloge du temps a sonné, l’histoire a rendu son verdict, l’ignorance et les préjugés sont à ranger dans des greniers pour qu’ils moisissent loin du présent des vivants. Quant aux précieuses ridicules, de nos jours, il faut espérer qu’on les rencontre uniquement en visitant les musées.
A. A.
(*) Une satire d’un milieu social mondain, frivole et friand de méchanceté.
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