Quand la démocratie fabrique ses propres monstres : les cas des Etats-Unis et de la France

Par A. Boumezrag – On croit souvent que seuls les dictateurs fabriquent des monstres politiques. Erreur. Les démocraties ont, elles aussi, ce talent : créer des créatures qui se nourrissent de peur, d’urgence et de lois votées sous caféine. Aux Etats-Unis et en France, ces monstres sont polis, ponctuels et parfois ... Lire la suite

Sep 28, 2025 - 08:24
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Quand la démocratie fabrique ses propres monstres : les cas des Etats-Unis et de la France

Par A. Boumezrag – On croit souvent que seuls les dictateurs fabriquent des monstres politiques. Erreur. Les démocraties ont, elles aussi, ce talent : créer des créatures qui se nourrissent de peur, d’urgence et de lois votées sous caféine. Aux Etats-Unis et en France, ces monstres sont polis, ponctuels et parfois invisibles… mais terriblement efficaces pour rappeler que liberté et sécurité peuvent parfois rimer avec absurdité.

Il y a des monstres qu’on voit venir : Godzilla, King Kong, ou l’oncle Gérard après trois verres de vin. Et puis il y a ceux que l’on ne voit pas venir, mais qui finissent par vous dévorer… les monstres politiques. Et, surprise, ils ne se cantonnent pas aux dictatures lointaines. Les démocraties, ces parangons de liberté et de débat civilisé, ont, elles aussi, un talent certain pour engendrer leurs créatures. Les Etats-Unis et la France, en bons élèves de cette école de monstrologie moderne, ne dérogent pas à la règle.

Dans les démocraties, le monstre est plus subtil. Il porte des costumes-cravates, des badges et parfois des lunettes rondes. Aux Etats-Unis, après le 11 septembre 2001, la NSA s’est mise à observer tout ce qui bougeait : vos mails, vos appels, vos recherches Google, et probablement vos rêves. La surveillance massive, censée protéger la nation, s’est transformée en un monstre numérique invisible mais omniprésent. La peur sert à justifier des mesures exceptionnelles, et le monstre se glisse dans les interstices de la démocratie.

La France, quant à elle, n’est pas en reste. Les états d’urgence successifs, la multiplication des lois antiterroristes et la surveillance électronique font aujourd’hui office de monstre domestique : discret, mais capable de neutraliser tout opposant potentiel… ou juste de surveiller vos SMS.

Pourquoi les démocraties fabriquent-elles ces monstres ? Pour obtenir la sécurité d’un régime autoritaire, sans en subir les inconvénients – comme la mauvaise presse ou les sanctions internationales. On invente des ennemis : immigrés, terroristes, théories du complot ou mouvements sociaux. Ces monstres sont nourris par la peur identitaire et l’urgence morale, concentrant le pouvoir exécutif et contournant parfois les institutions de contrôle. Résultat : un monstre hybride, mi-institution, mi-instrument de peur, capable de grands dégâts, tout en se présentant comme garant de la liberté. Ironique, non ?

La géographie et la géopolitique ajoutent leur couche à cette comédie noire. Les Etats-Unis, pays-continent avec 50 Etats et une armée de bureaucrates et de services secrets dignes d’un roman de John le Carré, disposent d’un arsenal institutionnel énorme. Le monstre démocratique y prend la forme de forces locales militarisées, de surveillance électronique massive, de tribunaux spéciaux, le tout sous le doux prétexte de «sécurité nationale». Pendant ce temps, la France, plus petite géographiquement mais ambitieuse sur la scène mondiale, compense par un monstre plus centralisé : polices, services de renseignement et lois restrictives. Chaque pays adapte son monstre à son territoire, sa population et sa culture politique.

La géostratégie ne fait qu’accentuer le problème. Ces monstres ne restent pas confinés aux frontières. La surveillance, le renseignement et les opérations spéciales, parfois cybernétiques, deviennent des outils de projection de puissance. Aux Etats-Unis, la NSA et la CIA observent le monde entier sous couvert de sécurité. En France, les opérations de renseignement et les alliances stratégiques donnent au monstre un flair géopolitique certain. Le monstre devient transnational : il protège, mais il intimide aussi, parfois ses propres citoyens, souvent ses voisins.

L’ironie ultime ? Ces monstres finissent souvent par se retourner contre ceux qui les ont engendrés. Le monstre américain de la surveillance numérique sème la méfiance dans son propre pays, alimente les polémiques politiques et nourrit les théories du complot qu’il était censé combattre. En France, les dispositifs d’urgence, initialement temporaires, tendent à s’installer durablement, créant un Etat de contrôle plus efficace qu’aucun dictateur n’aurait osé imaginer. Les démocraties se fabriquent des monstres pour se protéger… et finissent par se protéger contre elles-mêmes.

La technologie complique encore le tableau. Les monstres du XXIe siècle sont désormais hybrides, mi-bureaucratiques, mi-numériques. Algorithmes de surveillance, indices de notation civique, intelligence artificielle de contrôle social… Le problème ne disparaît pas avec le temps, il se complexifie. Les Etats-Unis et la France sont sur la même pente : les monstres deviennent invisibles, insidieux, et plus difficiles à contenir.

Alors que le XXIe siècle avance, chaque démocrate devrait se rappeler une vérité simple et cynique : le monstre n’est jamais loin. Il peut porter un uniforme, un costume-cravate ou se cacher derrière un algorithme. Et il n’attend pas pour se retourner contre vous. Rire de ses monstres est un début de défense, mais seuls la vigilance, la transparence et le contrôle institutionnel permettent de survivre à ces créatures que l’on croyait inoffensives. Parce qu’au fond la démocratie a ce talent unique : elle peut fabriquer ses monstres… et parfois, ironiquement, les aimer plus que ses libertés.

Ces monstres ne mordent pas… tout de suite. Ils préfèrent s’installer confortablement, regarder vos données, vérifier vos mails et, parfois, rire de vos inquiétudes. Mais laissez-les faire, et bientôt, ils décideront pour vous, vos voisins et, pourquoi pas, votre chat. La démocratie a ce talent unique : elle peut fabriquer des monstres élégants, souriants et polis, qui finissent par aimer plus que leurs libertés celles qu’ils sont censés protéger. Leçon cynique du jour : si vous voulez survivre, riez un peu de vos monstres… mais ne les laissez jamais seuls avec le pouvoir.

A. B.