De Villiers et Retailleau : saga vendéenne entre mentorat, rupture et réconciliation stratégique
Une contribution d’Idir Abderabbou – Pendant près de trois décennies, Philippe de Villiers et Bruno Retailleau ont incarné un duo emblématique de la Vendée, unissant... L’article De Villiers et Retailleau : saga vendéenne entre mentorat, rupture et réconciliation stratégique est apparu en premier sur Algérie Patriotique.

Une contribution d’Idir Abderabbou – Pendant près de trois décennies, Philippe de Villiers et Bruno Retailleau ont incarné un duo emblématique de la Vendée, unissant leurs forces au Puy du Fou et dans la politique locale sous la bannière du Mouvement pour la France (MPF). Leur relation, marquée par un mentorat étroit, une rupture brutale en 2009-2010, et une réconciliation médiatisée en novembre 2024 lors du Vendée Globe, révèle non seulement des dynamiques personnelles et politiques, mais aussi des enjeux plus larges : l’ancrage vendéen, l’attraction de l’extrême droite et les jeux géopolitiques autour de la France et de l’Algérie. Alors que Retailleau s’impose comme une figure de la droite conservatrice, De Villiers, mentor habile, semble le positionner comme un «président martyre» dans une vision stratégique éludant l’Algérie, au risque de l’exposer à des influences internes et externes – partis radicaux, lobbies, et puissances régionales – qui exploitent une rupture franco-algérienne. Qui guide Retailleau ? Est-il un pion ou un acteur conscient dans ce jeu complexe ?
Une relation mentor-élève de trente ans : collaboration, rupture, réconciliation
La saga de Villiers et Retailleau commence en 1978, lorsque De Villiers, alors jeune créateur du Puy du Fou, repère Retailleau, un cavalier bénévole de seize ans participant à la Cinéscénie. Ce dernier, diplômé de Sciences Po et doté d’un sens managérial, devient rapidement le bras droit de son mentor. De Villiers lui confie la mise en scène de la Cinéscénie, la direction de la radio Alouette (1985-1987), et celle de l’école Sciencescom (1987-1994). En politique, Retailleau rejoint le MPF, fondé par De Villiers en 1994, et gravit les échelons : conseiller général de Mortagne-sur-Sèvre (1988-2015), député suppléant (1994-1997), et vice-président du Conseil régional des Pays de la Loire (1998-2004).
Leur collaboration culmine dans la gestion du Puy du Fou et du Conseil général de la Vendée, où De Villiers, président de 1988 à 2010, délègue de plus en plus à Retailleau, qu’il considère comme un «fils spirituel». Cependant, des tensions émergent dès 2005 lorsque Retailleau s’éloigne opportunément de la radicalisation du MPF, marquée par les discours anti-islam et anti-européens de De Villiers. La rupture éclate en 2009-2010 : De Villiers s’oppose à la nomination de Retailleau comme secrétaire d’Etat à l’économie numérique sous François Fillon, y voyant une tentative de débauchage. En décembre 2009, il exclut brutalement Retailleau du Puy du Fou, un «coup de théâtre» vécu comme une «souffrance» par ce dernier. En avril 2010, Retailleau quitte le MPF, dénonçant une divergence de «longueur d’onde», et prend la présidence du Conseil général en novembre 2010, mettant De Villiers en minorité.
Les années suivantes sont marquées par des critiques acerbes. De Villiers accuse Retailleau de «trahir» la Vendée, en quittant la région pour des ambitions nationales, le qualifiant de «professionnel de la politique» sans vision. Retailleau, stoïque, refuse d’y répondre. Pourtant, le 10 novembre 2024, les deux hommes se réconcilient publiquement aux Sables-d’Olonne lors du départ du Vendée Globe, une étreinte symbolique immortalisée par les médias. De Villiers parle de «liens plus forts que les querelles», tandis que Retailleau évoque un «jardin personnel». Cette réconciliation, loin d’être purement sentimentale, traduit une manœuvre tactique pour renforcer l’ancrage vendéen de Retailleau, ministre de l’Intérieur et président des Républicains (LR) depuis mai 2025, face à un électorat conservateur.
La Vendée, l’extrême-droite et les concurrents de Retailleau
La Vendée, terre d’élection de De Villiers et Retailleau, est un bastion conservateur où le Puy du Fou et le Vendée Globe incarnent une identité chrétienne et patriotique. Retailleau, né à Cholet et issu d’une famille d’élus locaux, s’y est forgé une légitimité, succédant à De Villiers à la tête du Conseil général (2010-2015) et présidant la région Pays de la Loire (2015-2017). Son discours sécuritaire et identitaire – «rétablir l’ordre» comme priorité –s’inscrit dans la lignée de De Villiers dont les prises de position anti-immigration et anti-islam ont flirté avec l’extrême droite.
Retailleau, bien que membre de LR, est perçu par certains comme intellectuellement proche de l’extrême droite, un héritage de ses années MPF. Ses votes contre les traités de Maastricht et de Lisbonne et son opposition au regroupement familial renforcent davantage cette image. Cependant, il se distingue de concurrents comme Marine Le Pen (Rassemblement national, RN), Eric Zemmour (Reconquête), et Jordan Bardella (RN), en cultivant une droite «républicaine» plus modérée, soutenue par des figures comme Gérard Larcher. Contrairement à Le Pen, dont l’inéligibilité potentielle fragilise le RN, ou à Zemmour, dont le discours radical divise, Retailleau mise sur une «droite complète» pour 2027, cherchant à fédérer sans basculer dans l’extrémisme.
De Villiers et le mythe du «président martyre»
En réconciliant avec Retailleau, De Villiers, stratège médiatique, semble façonner l’image de son ancien protégé comme un «président martyre» : un leader chargé de la «sale besogne» de rétablir l’ordre dans une France en crise. De Villiers, qui intervient hebdomadairement sur CNews pour défendre une France «chrétienne», positionne Retailleau comme l’héritier d’une droite souverainiste, mais dans un rôle sacrificiel. En 2017, il dénonçait son «ivresse de la capitale» mais, en 2024, il l’absout, renforçant son aura vendéenne tout en l’exposant à l’extrême droite.
Cette vision stratégique élude délibérément l’Algérie, un acteur-clé dans les relations migratoires et sécuritaires françaises. Retailleau, qui a durci le ton contre Alger en demandant la renégociation (octobre 2024) puis l’abrogation (novembre 2024) de l’accord migratoire de 1968, s’aligne sur une rhétorique anti-immigration qui fait écho à De Villiers, mais sans proposer une diplomatie constructive. Cette cécité, héritée du mentor, rapproche Retailleau de concurrents extrémistes comme Zemmour qui dénoncent l’«islamisation» sans nuance, au détriment d’une approche équilibrée face à un partenaire historique.
Une cécité exploitée : lobbies, partis et jeux géopolitiques
La focalisation de Retailleau sur l’ordre intérieur, amplifiée par De Villiers, est exploitée par des acteurs internes et externes intéressés par une rupture franco-algérienne. A l’intérieur, le RN et Reconquête capitalisent sur la droitisation de LR, poussant Retailleau vers des positions radicales pour concurrencer Le Pen et Bardella. Des lobbies, comme ceux liés à des intérêts économiques marocains, pourraient tirer parti d’un affaiblissement des liens avec Alger, bien que l’hypothèse d’un «lobby marocain» structuré reste infondée.
A l’extérieur, des puissances régionales comme le Maroc, soutenu aujourd’hui par la France sur le Sahara Occidental, et en vue d’un retour aux affaires africaines, bénéficient indirectement des tensions franco-algériennes, exacerbées par des figures comme Rachida Dati, Othman Nasrou ou encore Richard Attias. L’Algérie, en rappelant son ambassadeur en 2024, réagit à ces provocations, tandis que des acteurs comme la Turquie ou le Qatar, via des réseaux islamistes, pourraient chercher à influencer les débats sur l’immigration et l’islam en France, poussant davantage le ministre de l’Intérieur – à la lumière du rapport sur les frères musulmans – vers les arguments habillement présentés par ses conseillers pro-marocains. Ces dynamiques soulèvent des questions cruciales : qui tient la «boussole» de Retailleau ? Est-il un «numéro deux» manquant de vision, comme le suggérait De Villiers en 2015, ou un pion dans un jeu géopolitique plus large, où l’Algérie devient un bouc émissaire ?
Retailleau : pion ou stratège ?
La réconciliation de Villiers et Retailleau, scellée au Vendée Globe, marque la fin d’une brouille mais ouvre un nouveau chapitre de questionnements. Leur relation mentor-élève, forgée dans la Vendée et brisée par des ambitions divergentes, reflète les tensions d’une droite française en quête d’identité. En propulsant Retailleau comme un «président martyre», De Villiers l’expose à l’extrême droite et à des jeux géopolitiques où l’Algérie, partenaire stratégique, est négligée. Face aux partis radicaux, lobbies et puissances régionales, Retailleau doit prouver qu’il n’est pas un pion. L’opinion publique française mérite des réponses : Retailleau est-il maître de sa boussole ou suit-il une voie tracée par d’autres ? Un débat transparent s’impose pour éclairer l’avenir de la droite et des relations franco-algériennes.
I. A.
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