Massacres du 8 mai 1945 : Kherrata peine à oublier
Quatre-vingts (80) ans après les massacres du 8 mai 1945, la ville de Kherrata peine à oublier les tueries subies et les exécutions de masse infligées, alors, aux populations locales, non seulement dans l’espace urbain, mais aussi aux alentours, allant de Merouaha jusqu’aux villes côtières de Melbou et Souk El-Ténine. Par un jour de marché […]

Quatre-vingts (80) ans après les massacres du 8 mai 1945, la ville de Kherrata peine à oublier les tueries subies et les exécutions de masse infligées, alors, aux populations locales, non seulement dans l’espace urbain, mais aussi aux alentours, allant de Merouaha jusqu’aux villes côtières de Melbou et Souk El-Ténine.
Par un jour de marché ensoleillé, la région a basculé soudainement dans l’horreur et l’innommable après que des détachements militaires de l’armée française aient encerclé et investi les lieux en utilisant des méthodes terroristes pour réprimer et torturer des civils pour avoir pris part, en début de matinée, à une marche pacifique durant laquelle ils ont dénoncé les massacres survenus la veille (8 mai 1945) dans la ville voisine de Sétif et réclamé l’indépendance de l’Algérie.
Des centaines d’hommes ont été mitraillés, ou, pire, jetés vivants dans les ravins et les gorges de « Chaabet El Akhira », situés à la périphérie nord de « la cité », parfois dans des conditions macabres d’une rare cruauté.
A hauteur du lieu-dit « pont Hanouz », baptisé ainsi du nom de la première victime, des soldats faisaient monter, sur le haut du parapet, des civils anonymes, les mains attachées avec du fil barbelé qu’ils catapultaient dans le vide.
« Alors, on jette ? », lance un soldat à son supérieur qui supervisait le drame comme dans une comédie de caniveau et qui se délectait ouvertement du bruit et de l’écho que rendaient les corps déchiquetés sur les parois rocheuses, comme l’avait témoigné à l’APS le moudjahid Lahcen Bekhouche avant de tirer sa révérence en 2019 à l’âge de 94 ans.
L’homme, âgé à l’époque (8 mai 1945) à peine de 20 ans, a tout vu. Il a été voué également à l’échafaud avant qu’un officier, visiblement touché par son jeune âge et sa frêle frimousse, n’en vienne à le délivrer. Il s’en est sorti avec une condamnation à mort prononcée par le tribunal de Constantine qui, une fois de plus par miracle, n’a pas procédé à l’exécution de la sentence.
Sa plaie et les souvenirs effroyables qu’il a vécus sont restés pour autant vifs et vivaces. « Intérieurement j’ai été brisé », avait-il dit, relatant la tragédie endurée au pont Hanouz.
Le moudjahid Said Allik, 93 ans aujourd’hui, également l’un des rares survivants des massacres, est encore ému et blessé par les massacres de Kherrata comme s’ils dataient d’hier, malgré son état grabataire.
« J’en tremble encore. Comment oublier ? », opiner a-t-il, dans un témoignage à l’APS, pris machinalement d’un discret tressaillement en se mettant à évoquer l’exécution froide devant ses yeux, de son père, sa mère, son frère ainé et sa petite sœur, âgée alors d’à peine 4 ans. Il avait 12 ans lorsque de retour des événements de Kherrata, il s’est heurté à l’abominable vision, coïncidant avec l’arrivée d’un contingent de soldats qui a investi la masure familiale, tuant aveuglément ses occupants et brulant ses biens.
« Même les animaux domestiques n’ont pas échappé à la furie du colonialisme », se rappelle-t-il, expliquant qu’il avait eu la vie sauve après s’être caché derrière une colline voisine où il s’est réfugié seul pendant une semaine et à partir de laquelle, il a suivi toute la sauvagerie de l’armée coloniale qui a mobilisé des troupes et un arsenal militaire pour réprimer.
Les massacres et les exactions ont perduré ainsi jusqu’au 21 mai, date à laquelle les forces coloniales ont forcé plusieurs milliers de personnes acheminées, malgré elles, de tous les villages de la région orientale de la wilaya, à suivre une démonstration militaire organisée sur les plages de Melbou et Souk El-Ténine (60 km de Kherrata).