Régime spectacle à Paris : bourreau le matin, victime à midi, sauveur le soir

Une contribution du Dr A. Boumezrag – A Paris, le pouvoir aime les projecteurs. Il frappe la nuit, pleure le matin et promet le salut à midi, juste avant la conférence de presse. Entre deux caméras, il s’invente un rôle : tantôt tragique, tantôt héroïque, mais toujours photogénique. Acte I : bourreau ... Lire la suite

Oct 9, 2025 - 02:54
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Régime spectacle à Paris : bourreau le matin, victime à midi, sauveur le soir

Une contribution du Dr A. Boumezrag – A Paris, le pouvoir aime les projecteurs. Il frappe la nuit, pleure le matin et promet le salut à midi, juste avant la conférence de presse. Entre deux caméras, il s’invente un rôle : tantôt tragique, tantôt héroïque, mais toujours photogénique.

Acte I : bourreau le matin

Le soleil se lève sur la capitale, les rues sont encore endormies, mais le pouvoir, lui, est déjà au travail. A coups de décrets, de matraques ou de circulaires, il se dégourdit les muscles. C’est son échauffement quotidien. On frappe un peu sur le pauvre, on sermonne le chômeur, on tance l’étudiant, on réforme à sec, histoire de se sentir vivant.

C’est sa gymnastique émotionnelle : étouffer pour exister. Le régime spectacle sait que la peur, c’est le carburant du charisme. Alors il administre de petites doses quotidiennes de discipline, un peu comme un médecin prescrit des vitamines : «C’est pour votre bien.»

Les caméras ne sont pas encore allumées, le costume n’est pas repassé, mais déjà le peuple joue son rôle préféré : celui du figurant docile, qui subit en silence, les yeux tournés vers le ciel – ou vers BFM.

Acte II : victime à midi

Midi, heure du pathos national. Le même pouvoir qui distribuait les coups du matin monte maintenant sur scène pour pleurer. Il se découvre victime d’un monde cruel : les complots, les fake news, les réseaux sociaux, les syndicats, les casseurs, la météo, parfois même l’histoire.

Tout le monde en veut à la France officielle : l’Europe la contraint, l’Afrique la boude, l’Amérique l’ignore. Et Paris, l’éternelle, se regarde dans le miroir de ses blessures : «On ne nous comprend pas.»

La larme est calculée, la posture étudiée. Le pouvoir s’offre une séance d’auto-apitoiement, un SPA émotionnel en direct sur TF1. Le peuple, attendri, oublie les bleus du matin : «Pauvre gouvernement, si incompris, si seul, si noble.»

La scène est touchante, presque religieuse. On croirait entendre une complainte mystique : «Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils votent.»

Acte III : sauveur le soir

Le crépuscule tombe, les projecteurs s’allument. Le pouvoir réapparaît, transformé, régénéré. Il a troqué les menottes pour la cape du super-héros. Ce soir, il sauve la planète, la démocratie, la République et, accessoirement, son image.

Discours lyrique, drapeaux bien placés, ministres en arrière-plan, mentons relevés. «Nous avons souffert, mais nous triompherons.» La formule est connue, mais elle marche toujours. Le public applaudit, les éditorialistes s’émeuvent, et la nation respire : l’ordre règne, la mise en scène a tenu.

Et demain matin ? On recommencera. Bourreau, victime, sauveur : le triptyque magique d’une journée bien huilée.

A mille kilomètres, un autre pouvoir regarde ce théâtre parisien et prend des notes. Lui aussi connaît la méthode : pleurer l’ingratitude du peuple, accuser le passé, promettre la renaissance. Ce sont les mêmes répliques, traduites dans une autre langue, jouées sur une autre scène.

Les deux régimes s’observent, se comprennent sans se parler. L’un vend des valeurs universelles, l’autre des souvenirs héroïques. Chacun s’invente une légitimité affective pour tenir son peuple par le cœur, et parfois par la gorge.

La mise en scène globale

Le «régime spectacle» n’a plus de frontière. C’est une franchise mondiale : Paris, Alger, Washington, Moscou… Les scénarios changent, les acteurs vieillissent, mais la dramaturgie reste la même.

Bourreau, victime, sauveur : trois rôles pour un seul acteur, trois visages pour un même ego.

La politique n’est plus un art de gouverner, mais un art de scénariser. On n’écoute plus les peuples, on leur fait du storytelling. Les sondages remplacent la conscience, les communicants tiennent la plume, et le peuple, toujours émotif, continue d’applaudir les illusions qu’on lui vend à crédit.

Et si, un jour, le public se lassait ? Si le peuple quittait la salle avant la fin du spectacle ?

Le pouvoir, privé de spectateurs, n’aurait plus de raison de jouer. Ce serait la seule véritable révolution : le silence du public.

Le régime spectacle, qu’il soit à Paris ou ailleurs, n’est jamais vraiment un monstre : c’est un miroir. Il reflète nos attentes, nos peurs, nos naïvetés. Nous aimons être séduits, bercés, trahis, puis consolés. Nous sommes complices du scénario.

Le jour où nous cesserons d’applaudir, le rideau tombera – et peut-être, enfin, commencera la politique.

A. B.