Aïd El-Adha : Un jour de fête, mille gestes de transmission
La célébration de la fête de l’Aïd El-Adha est bien plus qu’un rituel religieux. Elle marque un moment sacré, où les familles se réunissent pour perpétuer des gestes ancestraux autour du sacrifice rituel, dans une atmosphère de partage, de solidarité et de chaleur humaine. Des préparatifs minutieux à la cuisine bouillonnante, en passant par les […] The post Aïd El-Adha : Un jour de fête, mille gestes de transmission appeared first on Le Jeune Indépendant.

La célébration de la fête de l’Aïd El-Adha est bien plus qu’un rituel religieux. Elle marque un moment sacré, où les familles se réunissent pour perpétuer des gestes ancestraux autour du sacrifice rituel, dans une atmosphère de partage, de solidarité et de chaleur humaine. Des préparatifs minutieux à la cuisine bouillonnante, en passant par les souvenirs des anciens, chaque détail de cette fête tisse un lien entre le passé et le présent.
La journée commence dès l’aube par la prière collective de l’Aïd (salat El-Aïd), accomplie dans les mosquées. A la sortie, les fidèles, vêtus de leurs plus beaux habits, se croisent dans une atmosphère chaleureuse où s’échangent vœux de paix, de santé et de bénédiction. Certains sont accompagnés de leurs enfants tout aussi élégants, lesquels participent joyeusement à ce moment solennel.
De retour à la maison, les familles se préparent pour le moment central de la fête, le sacrifice rituel. Cette tâche est généralement confiée à « el-dhebbah ». Celui qui a l’intention de sacrifier ce jour-là doit respecter certaines règles sunnites, et ce 9 jours avant l’Aïd. Il est ainsi recommandé de ne pas se couper les ongles, les cheveux et la barbe. Le jour du sacrifice, il est souhaitable d’être à jeun mais ce n’est pas une obligation.
Kader, un septuagénaire rencontré par le Jeune Indépendant, se réjouit de recevoir ses quatre garçons avec leurs femmes et leurs enfants. Pour lui, le rituel commence bien avant le jour J. Il explique que « c’est un cheminement spirituel. Je jeûne quelques jours, je ne me rase pas la barbe ni je coupe mes ongles ou mes cheveux, c’est un symbole de purification. Le sacrifice ne doit pas être une simple routine, c’est un acte de foi, un rappel du geste du prophète Ibrahim (que le salut soit sur lui) ».
Cette année, Kader est particulièrement fier car l’aîné de ses petits-enfants, Nazim, âgé de 19 ans, va accomplir aujourd’hui son premier sacrifice. « Il est en retard, quand j’avais son âge, je m’occupais seul de plusieurs moutons. Mais je suis fier de mon petit Nazim qui, demain, suit les pas de son grand-père », confie-t-il. « J’ai aiguisé moi-même les couteaux et passé deux jours à lui expliquer comment faire pour ne pas faire souffrir l’animal », ajoute-t-il.
Chaque année, Kader apprécie ces retrouvailles familiales. « Ils sont venus de loin, juste pour être ensemble ce jour-là. Les moutons ont été achetés quelques jours auparavant. Après la prière, chacun a son rôle, les hommes réalisent le rituel, les femmes préparent les plats, et les enfants courent partout, impatients de goûter aux grillades. C’est une fête sacrée mais aussi un moment de convivialité.
Au menu, solidarité et entraide
Dans les quartiers populaires, l’Aïd se vit également de façon collective. Wahid, 41 ans, boucher de métier et natif de Bab El-Oued, raconte : « Depuis une dizaine d’années, je suis sollicité pour le sacrifice du mouton par plusieurs familles. Un rituel que nous avons l’habitude d’accomplir dans la cour, en bas de chez nous ». Il précise : « Pour que nous ne manquions de rien, on installe tout le matériel tôt le matin. Pendant le sacrifice, même les enfants donnent un coup de main et font le lien entre la cour et la maison, cela les amuse. »
Concernant la solidarité entre voisins, Wahid raconte que « cet événement est un moment d’entraide. Même ceux qui ne peuvent pas acheter de mouton trouvent toujours un voisin prêt à partager ».
Tandis que les hommes s’activent dans la cour, dans les cuisines, les femmes s’affairent. On prépare le café pour celui qui s’est occupé du mouton, on chauffe l’eau pour nettoyer les abats… C’est une organisation bien rodée. « Chacune connaît son rôle. Il y a toujours une tante qui surveille les enfants pendant qu’une autre trie les morceaux dès leur arrivée », confie Hadjer, une jeune mariée de 24 ans, pour qui c’est le premier Aïd El-Adha passé avec la famille de son mari. « Cette journée est exceptionnelle, tous les regards sont braqués sur moi, je n’ai pas droit à l’erreur », révèle-t-elle avec un sourire.
« Chez nous, après le sacrifice, chacun a sa tâche. Les hommes s’occupent du mouton, les femmes ont beaucoup à faire, entre le ménage, nettoyer les abats et préparer à manger. Pendant ce temps, les adolescents manipulent la peau en la badigeonnant de sel. Depuis quelques années, on ne la jette plus. On la dépose dans un point de collecte organisé par une association du quartier », explique Hadjer. « L’an dernier, on a appris que ces peaux peuvent être recyclées, transformées ou revendues pour financer des projets solidaires. Ça nous a ouvert les yeux. Aujourd’hui, on en parle à d’autres familles. C’est une façon simple de participer à la protection de l’environnement tout en respectant la tradition ».
Une tradition ancrée dans les mœurs
Dans le même immeuble, les portes des voisins restent grandes ouvertes toute la journée. Les enfants s’amusent en assumant leurs tâches avec enthousiasme. Les odeurs d’épices envahissent les cages d’escaliers, le nettoyage de la tête et des pattes du mouton se fait sur les balcons, qui se transforment, à cette occasion, en cuisine à ciel ouvert. Les échanges entre voisins s’intensifient : « On s’offre des assiettes de viande grillée ou du pain maison, comme un rituel tacite de générosité », indique Muima Rabia, la doyenne de l’immeuble. « Cette tradition culinaire est ancrée dans nos mœurs depuis des années. C’était déjà le cas avec mes voisins, et cela continue avec leurs enfants », ajoute la nonagénaire avec nostalgie.
Muima Rabia est très respectée pour son savoir, notamment concernant les anciennes recettes algéroises. « C’est parfois un peu le chaos, mais tout le monde est heureux. On rit, on raconte des souvenirs des années passées », évoque-t-elle avec nostalgie. « Quand j’étais jeune, je cuisinais pour toute la famille. Aujourd’hui, je reste assise à regarder mes filles et leurs enfants faire. C’est beau de voir que les traditions continuent. On découpe, on trie, on lave, et les plus jeunes prennent des notes pour apprendre. C’est un moment de transmission. », explique-t-elle.
A cette occasion, les tables algériennes s’ornent de plats savoureux, dont le maître aliment est la viande de mouton. Le déjeuner de l’Aïd est presque sacré, dédié aux grillades d’abats, foie, cœur, rognons ou poumons, parfois marinés ou simplement saisis au charbon.
Le soir venu, l’ambiance reste animée. Les cuisines reprennent vie, embaumées par les parfums des plats mijotés. Dans de nombreuses familles, c’est le moment de préparer la bakbouka, plat emblématique à base de panse farcie, riche en saveurs et en histoire. La farce, mélange de riz, d’abats, d’herbes fraîches et d’épices, mijote doucement tandis que les femmes surveillent la cuisson avec soin.
Dans d’autres foyers, c’est le bouzelouf, qui est à l’honneur. Cuit longuement en sauce rouge ou rôtie au four, il est partagé avec soin autour de la table familiale. Par ailleurs, le lendemain, trida, rechta ou chakhchoukha prennent le relais dans les grandes marmites, accompagnées d’un gigot ou d’une épaule de mouton bien tendre.
Chez les voisins, les grillades continuent de crépiter : côtelettes, foie mariné, brochettes d’abats circulent d’une maison à l’autre, souvent offertes en toute simplicité. Ici, partager un plat chaud vaut mille discours : c’est un geste de fraternité, un lien social renforcé par la fête.
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