Amar Takdjout, secrétaire général de l’UGTA : «Redéfinir notre militantisme à l’aune des enjeux actuels»
Depuis sa création en 1956, en pleine guerre de Libération, l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) s’est imposée comme un acteur incontournable du paysage syndical et social en Algérie. Aujourd’hui, face à une conjoncture marquée par la transition économique, les mutations du monde du travail et les défis environnementaux, l’UGTA doit réinventer son rôle tout […] The post Amar Takdjout, secrétaire général de l’UGTA : «Redéfinir notre militantisme à l’aune des enjeux actuels» appeared first on Le Jeune Indépendant.

Depuis sa création en 1956, en pleine guerre de Libération, l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) s’est imposée comme un acteur incontournable du paysage syndical et social en Algérie. Aujourd’hui, face à une conjoncture marquée par la transition économique, les mutations du monde du travail et les défis environnementaux, l’UGTA doit réinventer son rôle tout en restant fidèle à ses valeurs fondamentales. Dans cet entretien, son secrétaire général, Amar Takdjout, revient sur l’héritage historique du syndicat, les enjeux actuels du dialogue social et les réformes nécessaires pour garantir les droits des travailleurs.
En quoi l’héritage de l’UGTA à sa création en 1956 est-il encore visible dans le syndicalisme algérien aujourd’hui ?
Dire que l’héritage de l’UGTA est visible aujourd’hui n’est pas toujours évident, car il s’agit d’un legs historique majeur. L’UGTA de 1956, née en pleine révolution, s’inscrivait dans une dynamique d’engagement et de lutte. Son contexte de création était très particulier : elle avait pour objectif de mobiliser les travailleurs, de les impliquer dans l’effort de libération nationale, de les soutenir financièrement et de renforcer leur engagement militant. C’était donc une organisation fondée sur la résistance et la solidarité dans un contexte de lutte pour l’indépendance.
Après l’indépendance, l’UGTA a évolué dans un cadre nationaliste fort. Elle portait toujours l’héritage de la Révolution, tout en jouant un rôle central dans l’édification du pays. Il fallait alors construire une base économique et industrielle solide, garantir le travail pour tous et créer les conditions d’une économie indépendante, rompant avec la dépendance coloniale. Ce fut une période de militantisme engagé, où il s’agissait à la fois de préserver l’héritage révolutionnaire et de relever le défi de la reconstruction nationale. Face aux critiques qui doutaient de la capacité de l’Algérie à bâtir une économie viable, l’UGTA a mené un combat de sensibilisation et d’éducation pour encourager et porter la société à se prendre en charge et à être indépendante.
Ensuite, le pays a traversé une période difficile, marquée par la décennie noire. L’UGTA a alors joué un rôle national essentiel en défendant les acquis de la Révolution et les fondements de la République. Cette dernière était l’émanation directe du combat pour l’indépendance, incarnant des symboles forts, comme l’hymne national, le drapeau, ainsi que les avancées sociales en matière de protection sociale, de retraite, d’infrastructures et d’emploi. L’UGTA a ainsi continué à défendre les travailleurs et la République dans un contexte d’instabilité politique et sécuritaire.
Aujourd’hui, nous devons prendre du recul et analyser notre héritage à travers trois grandes étapes. Avons-nous su préserver les valeurs de la révolution ? Avons-nous respecté et consolidé l’indépendance du pays ? Avons-nous assuré la protection de la République ?
L’UGTA devrait donc répondre aux nouveaux défis du monde du travail tout en restant fidèle à ses valeurs fondamentales ?
Tout à fait. Mais cela dépend des générations. Certains tiennent un petit peu le fil conducteur de 1956 et restent attachés à la continuité historique de l’UGTA, tandis que d’autres, ne l’ayant pas connu, n’en perçoivent pas pleinement l’importance. C’est pourquoi il est essentiel de raviver la mémoire collective, de rappeler que rien n’a été obtenu facilement. Ensuite, nous devons nous inspirer de l’engagement de nos aînés et redéfinir notre militantisme à l’aune des enjeux actuels.
Le monde a changé : la numérisation, les nouvelles technologies, la transition climatique, ainsi que l’émergence de nouveaux défis sanitaires, comme les maladies professionnelles et la santé mentale au travail, imposent une adaptation du syndicalisme. Aujourd’hui, la lutte doit être menée avec intelligence, en développant une pédagogie syndicale, sociale et économique. Le syndicalisme moderne ne peut plus se limiter à l’affrontement, il doit privilégier le dialogue, le débat et la production de solutions. C’est cette vision qu’il faut porter pour adapter l’UGTA aux réalités contemporaines, tout en restant fidèle à son héritage historique.
Quelle est aujourd’hui la principale mission de l’UGTA face aux défis socio-économiques du pays ?
Tout d’abord, il est essentiel de replacer le contexte actuel et de souligner l’importance de remporter la bataille économique. Cette victoire ne peut être obtenue que collectivement, en instaurant un véritable partenariat au sein des entreprises. Il est crucial que les relations professionnelles évoluent : les employeurs et les employés ne doivent plus se percevoir comme de simples « patrons » et « travailleurs », mais comme des partenaires économiques et sociaux.
Ce changement de perspective relève à la fois d’un travail psychologique et sociologique. Il faut rappeler que nous vivons dans un monde globalisé, où les réalités économiques et sociales nous rattrapent rapidement. Cela implique une transformation des mentalités afin de modifier le regard porté sur l’entreprise et le patronat. Un employeur doit voir ses employés comme des partenaires et inversement. Cette nouvelle approche repose sur l’idée que l’intellectuel et le manuel, combinés au capital financier, permettent de créer une synergie plus forte, favorisant ainsi la prospérité du pays. Ce changement n’est ni facile ni immédiat, mais il est nécessaire.
Par ailleurs, un autre objectif important est de corriger les imperfections existantes dans le monde du travail. Il ne s’agit pas tant de problèmes, mais plutôt d’incompréhensions et de décalages entre les différentes parties prenantes. Ces imperfections doivent être ajustées afin de repositionner le monde du travail sur une trajectoire axée sur la réflexion et la production d’idées. C’est dans cette dynamique que réside l’avenir d’une organisation et, plus largement, celui du pays. Un pays bien organisé, structuré et qui réfléchit est un pays dont l’avenir est assuré.
Pensez-vous que la probable augmentation du SNMG dont vous avez parlé suffit à compenser la perte du pouvoir d’achat des travailleurs face à l’inflation ?
Si l’on veut donner du sens à une augmentation ou à un relèvement du SNMG, qui représente aussi une amélioration du pouvoir d’achat des salariés, il est essentiel de créer des conditions favorables. Cela implique la mise en place de mécanismes et d’outils de régulation du marché, une maîtrise efficace des prix, une meilleure orientation de la fiscalité et des impôts, entre autres mesures.
Tout cela doit être pris en compte pour éviter qu’à chaque augmentation, les travailleurs ne subissent rapidement un contrecoup. En effet, à chaque revalorisation salariale, on oublie souvent qu’une hausse a eu lieu précédemment, ce qui est problématique. L’effort fourni est rapidement effacé par l’inflation et les fluctuations économiques.
L’amélioration des salaires est nécessaire, mais elle ne suffit pas à elle seule à résoudre les problèmes économiques des travailleurs. L’économie évolue rapidement, le marché fluctue en permanence, et les augmentations de salaire doivent être accompagnées de mesures structurelles pour éviter un rattrapage constant face à l’inflation.
Il est donc crucial de mettre en place des mécanismes pérennes pour garantir que le pouvoir d’achat des travailleurs ne soit pas constamment érodé. Idéalement, une augmentation salariale devrait avoir des effets durables, et non pas être absorbée en quelques mois par la hausse des prix. C’est une piste de réflexion essentielle, car les salaires, les prix et le marché forment un ensemble indissociable qu’il faut repenser et organiser de manière cohérente.
Comment l’UGTA se positionne-t-elle sur la question de la réforme des pensions des travailleurs retraités ?
L’amélioration du pouvoir d’achat concerne aussi bien les retraités que les salariés. Après tout, un retraité a travaillé toute sa vie et contribué à un salaire différé, en quelque sorte une épargne accumulée qui lui est reversée sous forme de pension. Pourtant, comme les salariés, les retraités subissent les fluctuations du marché et la hausse des prix.
En 2023 et 2024, les pensions ont connu une hausse cumulée de 55%, mais cela n’a pas fondamentalement changé la situation des retraités, car sans une maîtrise des prix, toute augmentation reste insuffisante. Il est donc primordial de réfléchir à des solutions pérennes.
Quelles sont les revendications prioritaires de l’UGTA auprès des autorités, notamment concernant l’exercice du droit syndical et les droits des travailleurs ?
Nous ne revendiquons pas simplement le dialogue social, nous l’avons adopté, cela signifie que nous devons être capables de porter cette culture et cette expérience du dialogue social au sein de nos structures. Il est essentiel d’apprendre à dialoguer, écouter, réfléchir et proposer des pistes d’amélioration et de correction.
La question syndicale est vaste et primordiale. Quelles doivent être nos priorités ? Avant tout, le maintien des emplois. Ensuite, il s’agit d’accompagner les entreprises pour favoriser leur développement et instaurer ce qu’on appelle un accord social interne qui va de pair avec le dialogue social. Il faut réapprendre aux acteurs du monde du travail à discuter, à échanger et établir des compromis. L’accord social joue un rôle-clé dans la prévention des crises internes qui peuvent affecter l’entreprise.
C’est un travail à mener à tous les niveaux, y compris au plus haut, mais il est essentiel qu’il se traduise concrètement au sein des entreprises. Après tout, c’est là que se crée la richesse et que surgissent les véritables problématiques. Il est donc crucial d’apprendre aux acteurs économiques et sociaux, à la base, à porter pleinement cette dynamique de dialogue social.
Quel message souhaitez-vous adresser aux travailleurs algériens en cette occasion ?
Le syndicalisme est un combat permanent. Les problèmes économiques et sociaux ne s’arrêtent jamais : un jour tout va bien, et le lendemain les difficultés surgissent. Le travailleur algérien d’aujourd’hui est donc confronté à de nombreux défis. Pour cela, je dirai que l’engagement et le militantisme syndical permettent d’additionner aussi bien les réussites que les échecs. Un syndicat, c’est aussi une accumulation d’expériences, qu’elles soient positives ou négatives. C’est ainsi que l’on peut envisager une véritable sortie de crise.
Il faut faire preuve d’imagination pour anticiper et créer les conditions favorables à ces transformations. Est-ce possible ? Peut-être que ce ne sera pas notre génération qui en récoltera les fruits, mais l’important est de tracer une ligne directrice claire et adaptable, qui pourra être reprise par les générations futures, plus jeunes et plus efficaces.
Le syndicalisme a évolué au fil du temps, et il continuera de le faire. Il doit allier expérience et humilité pour rester un acteur social essentiel et pertinent dans un monde en constante mutation.
The post Amar Takdjout, secrétaire général de l’UGTA : «Redéfinir notre militantisme à l’aune des enjeux actuels» appeared first on Le Jeune Indépendant.