Celia Chabane ou Tina d’Aokas: Quand les filles d’un village bravent les interdits

Dans les ruelles étroites d’un village perché entre mer et montagne, où le silence complice du patriarcat règne encore en maître, une fille tape dans un ballon, rêve en grand, et ose dire non. Elle s’appelle Tina, héroïne du roman La Footballeuse signé Nadjib Stambouli. Elle pourrait aussi bien s’appeler Celia, celle que l’on surnomme désormais la «première internationale d’Aokas». […]

Juil 15, 2025 - 23:08
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Celia Chabane ou Tina d’Aokas:   Quand les filles d’un village bravent les interdits

Dans les ruelles étroites d’un village perché entre mer et montagne, où le silence complice du patriarcat règne encore en maître, une fille tape dans un ballon, rêve en grand, et ose dire non. Elle s’appelle Tina, héroïne du roman La Footballeuse signé Nadjib Stambouli. Elle pourrait aussi bien s’appeler Celia, celle que l’on surnomme désormais la «première internationale d’Aokas».
Si le roman de Nadjib s’inspire de la fiction, il est traversé par une vérité brûlante : celle du combat quotidien que mènent des filles pour simplement vivre normalement. Dans cette normalité rêvée, il y aurait du sport, de l’émancipation, des choix, des pères qui soutiennent, des regards bienveillants… mais à Aokas comme dans tant de localités rurales en Algérie, cette normalité reste un privilège arraché de haute lutte.

Une fiction qui dit vrai
La Footballeuse est un hommage à toutes les Tina, celles qui ne courbent pas l’échine. Le personnage de Tina, cette fille d’un modeste ouvrier, heurte d’emblée une société arc-boutée sur ses archaïsmes. Ce n’est pas tant le football féminin qui dérange que ce qu’il représente : une femme qui court, qui transpire, qui gagne, qui existe au-delà des rôles qu’on lui assigne. À travers le roman, Nadjib Stambouli met à nu les mécanismes de contrôle social, incarnés par les «cheikh el qabila», ces gardiens de la morale dont la seule mission semble être d’étouffer les élans de liberté. On reconnaît dans La Footballeuse des scènes vécues, des mots tranchants, des regards pesants. Ce n’est pas qu’un roman : c’est un miroir tendu à la société.

Celia, la Tina d’aujourd’hui
Mais à Aokas, il n’y a pas que des fictions. Il y a aussi Celia Chabane, née à Tazrourt, ce village dense de la commune voisine de Tizi N’Berber. Elle a été formée sur les terrains modestes de l’école Sonatrach d’Aokas. Elle aurait pu abandonner mille fois, mais elle a choisi de continuer. Avec courage, elle rejoint le FC Béjaïa, puis décroche une place en équipe nationale U20. Une première pour la région.
Et comme Tina, Celia n’a pas seulement dribblé ses adversaires, elle a surtout dribblé les préjugés, les moqueries, les menaces voilées. Elle n’a pas seulement marqué des buts, elle a marqué les esprits.

Des pères en résistance
Le roman comme la réalité saluent une figure essentielle : celle du père courage. Ammar Hamri, le père de Tina, est ce père rare qui soutient sa fille coûte que coûte. À Aokas, il y en a eu aussi : des hommes qui, au lieu d’interdire, ont accompagné. Des pères qui ont dit non à l’opprobre, au déshonneur fantasmé, pour permettre à leurs filles d’exister autrement. Ils ont eux aussi payé le prix : insultes, marginalisation, solitude. Mais grâce à eux, une brèche s’est ouverte.

Changer les mentalités par le récit et l’exemple
Longtemps, écrire sur les footballeuses, c’était s’exposer à l’injure. Le mot «dayouth» tombait comme une sentence. Pourtant, certains ont persisté, et aujourd’hui, la publication d’un roman comme La Footballeuse, ou la reconnaissance de talents comme Celia, montrent que le changement est à l’œuvre. Lentement, douloureusement, mais il avance.
À Aokas, le football féminin n’est plus un tabou. Les terrains s’ouvrent, les familles s’apaisent, les regards changent. Mais le combat continue, car les cheikh el qabila n’ont pas tous disparu. Ils murmurent encore, s’indignent toujours. Il faudra d’autres Tina, d’autres Celia, d’autres livres, pour continuer à grignoter l’interdit.
Car au fond, ce n’est pas seulement de football qu’il s’agit. C’est d’un droit à exister.
Hafit Z.