La statue de Aïn El Fouara de nouveau vandalisée: L’art en péril, la société en alerte

Sétif s’est réveillée une fois de plus sous le choc. La statue emblématique d’Aïn El Fouara, située au cœur de la ville, a été brutalement vandalisée. C’est le visage même de cette œuvre sculptée par Francis de Saint-Vidal en 1898 qui a été défiguré à coups de marteau. L’auteur, un homme, a été aussitôt interpellé […]

Juil 30, 2025 - 22:25
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La statue de Aïn El Fouara de nouveau vandalisée: L’art en péril, la société en alerte

Sétif s’est réveillée une fois de plus sous le choc. La statue emblématique d’Aïn El Fouara, située au cœur de la ville, a été brutalement vandalisée. C’est le visage même de cette œuvre sculptée par Francis de Saint-Vidal en 1898 qui a été défiguré à coups de marteau. L’auteur, un homme, a été aussitôt interpellé par la police, mais les dégâts sont faits : la statue, qui incarne depuis plus d’un siècle l’un des plus précieux symboles du patrimoine sétifien, a une nouvelle fois été mutilée.

Par Hafit Zaouche

Ce n’est malheureusement pas une première. Depuis les années 80, Aïn El Fouara fait l’objet d’une série d’attaques récurrentes, toujours motivées par un fondamentalisme religieux qui refuse l’idée même d’une représentation féminine nue dans l’espace public. En 1997, une bombe a failli la détruire. En 2017, une précédente agression au marteau, menée par un extrémiste surnommé «Abou El Marteau», avait déjà arraché le buste de la statue. À chaque fois, les habitants de Sétif, profondément attachés à cette figure de pierre, expriment leur indignation, leur douleur, leur incompréhension.
À travers la ville et sur les réseaux sociaux, la réaction a été immédiate. Artistes, intellectuels, féministes, militants des droits de l’homme et simples citoyens dénoncent un acte barbare, révélateur d’un mal profond : l’essor de l’obscurantisme, la haine de la femme, le rejet de la beauté et de la culture. Car ce n’est pas seulement une œuvre d’art qui est visée, mais tout ce qu’elle représente : la liberté du corps, l’élégance du geste, la permanence d’un héritage artistique que beaucoup souhaitent voir effacé. «C’est la femme qu’on frappe à travers cette statue», s’indigne Djamila. «Ce sont des frustrations sexuelles, religieuses, sociales, qui s’abattent sur une figure de pierre incapable de se défendre». Ouarda ajoute avec ironie amère : «On vend des strings dans les souks, on parfume les femmes à outrance, mais on détruit une statue de marbre. Quelle schizophrénie !»
Ce vandalisme n’est pas isolé. Il s’inscrit dans un climat de radicalisation rampante, où les représentations artistiques, la mixité, l’expression corporelle sont de plus en plus criminalisées. Said, militant des droits humains, évoque une violence structurelle : «On prépare ces gestes à travers l’école, certains médias, des prêches et une culture patriarcale ancrée». Et il avertit : «Aujourd’hui, on attaque des statues. Demain, ce seront des femmes dans la rue».
Aïn El Fouara, au-delà de la pierre et de l’eau, est devenue le théâtre d’un affrontement idéologique. Entre ceux qui veulent éradiquer toute trace de modernité, de beauté et de liberté, et ceux qui refusent de céder, de baisser les yeux, de se taire.
Face à ce saccage, les réactions ne suffisent plus. L’État doit agir. Protéger les œuvres d’art comme on protège les lieux de mémoire. Enseigner l’art et l’histoire comme antidotes à la bêtise. Sanctionner fermement ces dérives avant qu’elles ne gangrènent tout l’espace public.
La statue d’Aïn El Fouara renaîtra. C’est certain. Mais jusqu’à quand devra-t-elle survivre dans un pays où le beau est une cible et la femme une offense ? Les blessures infligées à la pierre sont réparables. Celles infligées à l’esprit collectif le sont beaucoup moins. À nous tous, citoyens, artistes, éducateurs, d’en faire un combat. Un combat pour la lumière, contre les
ténèbres.
H. Z.