Sabrina Abda au Jeune Indépendant : «Le livre n’est pas une fin en soi, le combat mémoriel continue»

Le Jeune Indépendant : Des années de recherches aux Archives nationales et un livre plus tard, vous vous interrogez en guise de conclusion : ‘’après tout cela, dites-vous, « que peut-on envisager ? ». Faut-il comprendre par-là que, le livre publié, le travail n’est pas pour autant terminé ?   Sabrina Abda : Le livre n’est qu’une étape dans le combat que […] The post Sabrina Abda au Jeune Indépendant : «Le livre n’est pas une fin en soi, le combat mémoriel continue» appeared first on Le Jeune Indépendant.

Sep 4, 2025 - 19:21
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Sabrina Abda au Jeune Indépendant :  «Le livre n’est pas une fin en soi, le combat mémoriel continue»

Le Jeune Indépendant : Des années de recherches aux Archives nationales et un livre plus tard, vous vous interrogez en guise de conclusion : ‘’après tout cela, dites-vous, « que peut-on envisager ? ». Faut-il comprendre par-là que, le livre publié, le travail n’est pas pour autant terminé ?

 

Sabrina Abda : Le livre n’est qu’une étape dans le combat que nous nous sommes décidés, mon cousin Salim et moi, de mener. Cela fait des années que nous nous y attelons sans le moindre découragement. Il y va de la mémoire de notre grand-père, de nos deux oncles et de toutes les victimes assassinées et brulées à Guelma et ailleurs durant ces journées sanglantes de mai 1945. Nos parents en ont souffert toute leur vie au point d’en subir, eux aussi, les séquelles. Si nous nous sommes assignés la mission de mener ce combat, c’est pour honorer la mémoire de la famille Abda et la mémoire de la répression sanglante et massive des journées de mai 1945. Il s’agit d’un crime d’Etat que nous allons continuer de dénoncer.

Notre travail de mémoire qui s’ajoute à un travail d’histoire mené depuis de longues années par des historiens ne va pas s’arrêter avec ce livre. Il est de notre devoir de mettre le cap sur cette mission. Cultiver cette mémoire douloureuse, l’entretenir par des actions multiformes, c’est notre ambition. Nous y tenons, nous sommes décidés à la traduire en actes par des activités diverses : conférences-débat en Algérie et en France, encouragement d’initiatives destinées à conforter l’inscription de mai 1945 dans l’espace public, entretien des lieux de mémoire déjà existants, dialogue avec les associations et les collectivités locales en Algérie à l’effet  imaginer d’autres initiatives (musées de proximité, tourisme mémoriel, etc). 

 

Quand vous pointez le ‘’crime d’Etat’’, vous écrivez « Tous savaient, et ils se sont tus ». 

 

La milice mise sur pied par le sous-préfet André Achiary bien avant mai 1945 – les historiens ont documenté cet épisode – n’a jamais été au banc des accusés du prétoire et de l’Histoire. Elle est critiquée dans une moindre mesure. Elle n’a pas été jugée. Du gouvernement au gouverneur général en passant par les patrons de l’armée, de la gendarmerie et des services de sécurité, les responsables qui étaient au pouvoir et dans les responsabilités n’ont jamais été réellement intrigués. Des enquêtes ont été engagées mais elles n’ont jamais abouti. Des archives que j’ai consultées — dont un télégramme du gouverneur général — le montrent sans ambages : le gouvernement a parlé d’exécutions illégales. Cela concernait mes deux oncles et leurs camarades. L’Exécutif a reconnu les faits sans juger les coupables. C’est profondément injuste. Alors oui, la justice n’a pas été rendue. L’Etat savait. Les enquêtes lancées ont traîné en longueur. 

 

La consultation des fonds des Archives nationales a-t-elle été à la mesure de vos attentes ? 

J’ai écumé une partie des archives relatives aux évènements. Il en existe des milliers, parfois bien cachées. Il me faudrait toute une vie pour les examiner attentivement. J’en ai extrait un bon nombre qui raconte une histoire, celle que je livre aux lecteurs dans ce livre. Entre documents ‘’secret’’, télégrammes, rapports, coupures de presse, j’ai passé au crible quelques 700 documents. Je n’ai pas lu tous les documents du fonds dédié aux évènements de mai 1945. Même si certaines sources demeurent inaccessibles, je comprends maintenant l’histoire qu’on m’a cachée dans les cours et dans les manuels d’histoire qui m’ont accompagnée durant ma vie scolaire. Il s’agit, je le répète, d’un crime d’Etat. Un crime qui a amputé ma famille et endeuillé des milliers et des milliers de familles. 

 

Entre autres documents publiés en annexes, vous donnez à voir des visuels issus de l’album de la famille Abda. Parmi ces clichés, une photo de famille. 

En effet ! Cette photo résume à elle seule le martyr collectif vécu par les nôtres : la famille Abda pose au grand complet. Datée de 1936 neuf ans avant la tragédie de 1945, elle 0met à l’honneur mon grand-père, ma grand-mère et l’ensemble de la fratrie, mes tantes et mes oncles paternels. Unique, cette photo est le seul visuel qui immortalise – pour la postérité – les membres de la famille de Amor Abda tous réunis. J’ai tenu à la partager avec les lecteurs   parce qu’elle résume notre histoire, celle d’une famille frappée par un drame dont elle n’a jamais fait le deuil. J’aime cette photo. C’est le temps d’avant, l’époque où ils étaient tous en vie. 

 

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