Scénariste de BD : Le maillon faible de la chaîne culturelle

Au Festival international de la bande dessinée d’Alger (FIBDA), une question centrale a animé, vendredi les débats : pourquoi le métier de scénariste de BD peine-t-il encore à trouver sa place en Algérie ? Autour d’une table ronde réunissant des figures du neuvième art, les intervenants ont dressé un constat lucide sur les obstacles structurels, […] The post Scénariste de BD : Le maillon faible de la chaîne culturelle appeared first on Le Jeune Indépendant.

Oct 5, 2025 - 02:47
 0
Scénariste de BD : Le maillon faible de la chaîne culturelle

Au Festival international de la bande dessinée d’Alger (FIBDA), une question centrale a animé, vendredi les débats : pourquoi le métier de scénariste de BD peine-t-il encore à trouver sa place en Algérie ? Autour d’une table ronde réunissant des figures du neuvième art, les intervenants ont dressé un constat lucide sur les obstacles structurels, économiques et culturels qui freinent l’essor de cette profession pourtant indispensable à la vitalité de la bande dessinée nationale.

Pour évoquer la genèse de la BD algérienne, Ahmed Aroun a tenu à rendre hommage à l’un de ses pionniers, feu Abderrahmane Madoui. « C’est lui qui a décidé de créer, en 1967, ce qui deviendra la première revue consacrée à la bande dessinée en Algérie M’quidech. Le premier numéro est sorti en 1968. Amazit Boukhalfa avait été contacté pour en être le scénariste. C’est ainsi qu’est née la bande dessinée algérienne », a-t-il précisé.

Pour Mahfoud Aider, la question du scénario a toujours constitué le talon d’Achille de la BD algérienne. La réponse est simple, dit-il. « Nous n’avons pas eu de scénaristes réellement intéressés par l’écriture de BD. Il y a toujours eu cette idée selon laquelle le scénariste de bande dessinée est un “dessinateur de Mickey”. Écrire un scénario de film, oui, mais pour une BD, non », a-t-il martelé.

Selon lui, « Il y avait des réticences chez les auteurs, qui voyaient la BD comme un art mineur. Cette absence de scénaristes a énormément pénalisé les dessinateurs de ma génération, car créer un personnage, le faire vivre et évoluer, nécessite une histoire solide, une écriture, une pensée narrative ». Et même sur le plan matériel, rien ne poussait à la vocation, selon lui, « les planches étaient payées à 40 dinars, bien en dessous de ce que rapportait la publicité ».

Le journaliste et écrivain Slimane Zeghidour a, pour sa part, rappelé la fragilité des premières expériences éditoriales. « Prenons l’exemple de M’quidech, six années d’existence seulement, puis plus rien. C’est trop peu pour qu’un lectorat se forme, pour qu’un réflexe de lecture s’installe, pour qu’un lien durable se crée entre scénaristes, dessinateurs et public. Nous n’avions pas, en plus, de précédent sur lequel nous appuyer », a-t-il déploré

Zeghidour élargit ensuite la réflexion en affirmant que « ce problème ne concerne pas uniquement la BD. C’est le cas de tous les arts en Algérie. Nous avons été le premier pays arabe à obtenir la Palme d’or à Cannes, mais où en est notre cinéma aujourd’hui ? Pour qu’un art s’épanouisse, il faut ce que j’appelle un triangle culturel.

C’est une logique universelle : un public, des créateurs et des éditeurs ou producteurs qui assurent la liaison entre les deux ». Et de poursuivre : « Ce triangle crée une dynamique : les producteurs prennent des risques, innovent ; les artistes s’adaptent et se renouvellent ; le public, lui, devient exigeant, cultivé, grâce à la critique, la vraie, celle qui éclaire et accompagne les œuvres. C’est ce triangle-là qui fonde une culture nationale vivante. Sans lui, nous restons dans la production épisodique, sans continuité ni ancrage ».

Le manque de scénaristes touche tout le champ culturel

De son côté, Boukhalfa Amazit a replacé la question du scénario dans un contexte plus large, mêlant histoire et économie culturelle. « On a souvent cité Hitchcock à ce sujet, rappelle-t-il : lorsqu’on lui demandait le secret d’un film réussi, il répondait qu’il fallait trois choses : un bon scénario, un bon scénario et… un bon scénario. C’est valable pour tous les arts, y compris la bande dessinée », a-t-il souligné.

Mais, selon lui, il ne faut pas oublier le contexte historique : « Dans les années 1970, près de 75 % des Algériens étaient analphabètes. Comment, dans un pays où trois quarts de la population ne savaient pas lire, espérer former un lectorat sensible à la BD ? Malgré cela, certains ont tenté. Je me souviens de la création de la SNED en 1956, on avait un organisme national d’édition et de diffusion, mais pas encore de contenu à publier ! Il a fallu qu’un touriste, Roger Vilatimo, écrive les premiers romans d’espionnage algériens ».

La culture, à cette époque, dépendait entièrement de l’État. « C’est lui qui recevait les manuscrits, décidait de leur publication ou non, souvent selon des critères politiques plus qu’artistiques. On privilégiait les textes en arabe pour afficher une orientation nationale, au détriment de la diversité des expressions », a-t-il précisé.

Amazit évoque aussi le théâtre, qui a suivi le même chemin. Selon lui, « il a fallu attendre la nationalisation des salles et la création de théâtres nationaux pour qu’une véritable production apparaisse. Entre 1963 et 1968, on a compté treize pièces et plus de cent soixante-cinq spectacles produits par le Théâtre national algérien (TNA). C’était un exploit pour l’époque ».

Mais la situation d’aujourd’hui l’inquiète, « il y a en Algérie plus de pizzerias que de salles de cinéma ou de lieux culturels. Cela en dit long sur notre économie de disette culturelle. Ce n’est pas que les Algériens manquent de talent, c’est que le pays n’a pas encore convaincu ses créateurs qu’écrire un scénario de film, de BD ou monter une pièce peut rapporter autant, sinon plus, qu’ouvrir une pizzeria ».

Et de préciser : « Soyons réalistes : une pizzeria rapporte tous les jours, car les gens mangent quotidiennement. La bande dessinée, elle, suppose une industrie, un investissement à long terme, une vision économique de la culture. Tant que l’État sera le seul à financer, on restera dans une situation d’assistanat culturel ».

 

 

The post Scénariste de BD : Le maillon faible de la chaîne culturelle appeared first on Le Jeune Indépendant.