«Annexion de Béchar» par le Maroc ou la jouissance coloniale version Lyautey

Par Khaled Boulaziz – Qu’un journal prétendument sérieux publie, en 2025, un article intitulé «L’annexion de Béchar vue par Lyautey», il... L’article «Annexion de Béchar» par le Maroc ou la jouissance coloniale version Lyautey est apparu en premier sur Algérie Patriotique.

Mai 20, 2025 - 07:54
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«Annexion de Béchar» par le Maroc ou la jouissance coloniale version Lyautey

Par Khaled Boulaziz – Qu’un journal prétendument sérieux publie, en 2025, un article intitulé «L’annexion de Béchar vue par Lyautey», il fallait oser. Et ils l’ont fait. La ligne rouge n’a pas seulement été franchie ; elle a été foulée aux pieds, en grande pompe coloniale. Non sur Lyautey, dont les crimes sont anciens et archi-connus, mais sur ceux qui continuent de le regarder avec fascination. Voilà qu’on nous invite à relire notre histoire à travers les lunettes d’un colon. A lui tendre le micro. A écouter, à méditer, à compatir. Comme si ce militaire colonialiste devait désormais dicter les leçons de liberté. Voilà la maladie.

Mais cette maladie n’est pas que politique. Elle est plus profonde, plus sale, plus enfouie. Car Lyautey n’est pas seulement un nom d’officier. C’est une perversion érigée en système. Un fantasme militaire devenu doctrine coloniale. Il fut à la fois administrateur, esthète et prédateur. Le colonialisme chez lui n’était pas seulement conquête : c’était jouissance.

Oui, jouissance. Il promenait son uniforme comme d’autres exhibent une luxure réprimée. Son obsession de l’ordre, des protocoles, des chefferies indigènes à mettre en scène, avait quelque chose de théâtral, presque travesti. Lyautey, c’était le maréchal de la mise en scène : il mettait les peuples en vitrine, les décorait comme des figurines de musée, les commandait comme on manipule des corps silencieux.

Faut-il rappeler ici ce que les archives murmurent et que les courtisans de l’histoire taisent ? Lyautey, homosexuel affirmé dans les cercles d’élite, transposait son goût de la domination dans un dispositif total : l’Afrique comme scène, les indigènes comme décor, les corps comme matière malléable de son fantasme d’ordre. Sa sexualité n’est pas une faute : c’est son usage colonial qui est un scandale.

Il ne s’agissait pas seulement de dominer les terres : il s’agissait de les styliser, de les mettre en coupe réglée, comme un dandy corrige un vêtement trop froissé. Son Maroc était une marionnette raffinée. Son Afrique, une extension de son goût personnel pour l’obéissance et la parade. Un ordre fétichisé. Une Afrique fardée, domestiquée, bariolée – offerte au regard blanc comme une possession dans une chambre d’une maison close.

Et aujourd’hui, voilà qu’on ressuscite ce personnage trouble, cette statue équivoque, pour lui demander son avis sur Béchar. Comme si l’histoire de Béchar, de ses martyrs, de ses douleurs, de ses silences, devait encore être consultée auprès du vieil esthète en bottes. Comme si l’Afrique n’était réelle que dans le regard d’un Européen noyé de regrets.

Mais qui sont ces nouveaux scribes, ces chroniqueurs du néant, qui vont exhumer les papiers de Lyautey pour y chercher la vérité ? Ce ne sont pas des historiens. Ce sont les nouveaux prêtres d’un ordre spectral. Ils ne reconstruisent pas : ils maquillent. Ils ne rapportent pas : ils recyclent la parole du maître, avec l’obséquiosité d’un serviteur.

Ce qu’ils refusent d’admettre, c’est que Lyautey ne fut jamais une conscience, mais une machine à plier. Qu’il ne fut pas un penseur du Maghreb, mais un styliste du désastre. Un homme de l’ordre, oui – mais de l’ordre des cimetières. Et qu’ériger aujourd’hui ce nom comme repère historique, c’est admettre que l’on n’a pas encore coupé le cordon avec la mémoire coloniale. C’est penser qu’il nous faut toujours une figure blanche, même trouble, pour éclairer notre nuit.

Mais notre nuit n’est pas obscure. Elle est pleine de voix. Pleine de noms que l’histoire officielle n’a pas retenus. Pleine de résistants sans lettres, de tribus sans cartes, de femmes sans statues. Et ces voix ne demandent pas l’approbation d’un Lyautey pour exister.

Lyautey ne sera jamais notre repère. Il restera ce qu’il fut : un homme qui a aimé l’ordre plus que la justice, le décor plus que le peuple, et sa propre image plus que les vies qu’il commandait.

Et pourtant, son fantôme rôde encore. Il revient dans les salons marocains trop bien décorés, dans les bibliothèques d’Etat où ses lettres sont citées comme des évangiles, dans les écoles où l’on enseigne sa stratégie plutôt que les cris qu’elle a étouffés. Il hante les textes aseptisés, les émissions dites «culturelles», les colonnes de journaux qui se prosternent encore devant les orfèvres du désastre.

Il ne suffit pas de réclamer des cartes ou des territoires : il faut désarmer les cerveaux. Décoloniser la mémoire. Désinfecter la langue. Déraciner le mimétisme. Et dire enfin, sans courbette ni révérence, que le Maroc, aujourd’hui encore, parle trop souvent avec des mots qui ne sont pas les siens. Que l’élite y reste fascinée par le regard de l’ancien maître, à tel point qu’elle ne peut penser un événement sans convoquer l’ombre d’un Lyautey.

C’est cette maladie qu’il faut nommer. Cette maladie des esprits instruits par les manuels du bourreau. Cette fascination honteuse pour l’archive coloniale, cette vénération servile pour l’administration du viol, cette incapacité à produire un récit sans tampon français. Voilà l’urgence : déchirer la filiation fantôme entre le colonisateur et la pensée d’aujourd’hui.

Il faut tuer Lyautey, non dans sa tombe, mais dans les consciences. L’expulser des bibliothèques où il fait figure d’autorité. L’effacer comme source, le disséquer comme symptôme. Il ne peut plus être l’ombre tutélaire des débats historiques, ni le confident de nos géographies. Il faut dire : assez. Assez d’exister à travers les yeux de l’autre. Assez de chercher nos repères dans le regard du bourreau.

La vraie indépendance commence ici : dans le refus obstiné d’écouter ceux qui nous ont réduits au silence. Elle commence par une rupture : ne plus jamais se référer à Lyautey, ni pour comprendre le passé ni pour organiser l’avenir.

K. B.

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