« Sétif, la fosse commune – Massacres du 8 Mai 1945 » : Kamel Beniaiche brise le mensonge colonial 

Il aura fallu des années de recherche, d’enquêtes de terrain, d’entretiens souvent douloureux avec les survivants, de fouilles d’archives officielles et privées, pour parvenir à rassembler les pièces éparses d’une vérité longtemps occultée. Depuis la parution de la première édition de « Sétif, la fosse commune », l’objectif est resté inchangé : mettre en lumière l’un des […] The post « Sétif, la fosse commune – Massacres du 8 Mai 1945 » : Kamel Beniaiche brise le mensonge colonial  first appeared on L'Est Républicain.

Mai 20, 2025 - 11:24
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« Sétif, la fosse commune – Massacres du 8 Mai 1945 » : Kamel Beniaiche brise le mensonge colonial 

Il aura fallu des années de recherche, d’enquêtes de terrain, d’entretiens souvent douloureux avec les survivants, de fouilles d’archives officielles et privées, pour parvenir à rassembler les pièces éparses d’une vérité longtemps occultée.

Depuis la parution de la première édition de « Sétif, la fosse commune », l’objectif est resté inchangé : mettre en lumière l’un des plus grands crimes coloniaux commis en Algérie, celui du 8 mai 1945, dans toute sa brutalité, sa froide organisation, et surtout, dans la mémoire qu’il a laissée dans les chairs et les esprits. La seconde édition que nous propose aujourd’hui Kamel Beniaiche, le journaliste au long parcours, n’est pas une simple réimpression. Elle est le fruit d’un travail approfondi, enrichi de nouveaux témoignages, de documents inédits, de photographies, d’analyses croisées avec des sources nouvelles jusque-là ignorées. Plusieurs zones d’ombre ont pu être éclaircies. Des noms oubliés refont surface. Des lieux de supplice, jadis anonymes, retrouvent leur histoire et leur nom. Cette nouvelle édition intègre également une relecture critique de la version coloniale des faits, confrontée aux récits des victimes et à la logique implacable de la répression. Il ne s’agit pas de raviver la haine, mais de faire œuvre de vérité, de mémoire et de justice historique. Elle consolide une enquête journalistique rigoureuse entamée en mars 2005. Composé de douze chapitres et préfacé par l’historien Gilles Manceron, l’ouvrage aborde des questions longtemps passées sous silence. Il dévoile, avec force et précision, des aspects occultés du plus terrible pogrom perpétré à huis clos, quelques jours seulement après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Des documents exhumés viennent aujourd’hui lever le voile sur l’ampleur du carnage provoqué au nom d’un prétendu « rétablissement de l’ordre ». Ce livre brise des tabous encore tenaces : liquidations arbitraires, disparitions forcées, tortures… Il donne une voix aux victimes et aux témoins, qui racontent sans haine ni esprit de revanche, mais avec une dignité bouleversante. Il retrace le destin brisé de milliers d’orphelins et l’exclusion injuste des 17 « proscrits » du collège Eugène Albertini (aujourd’hui lycée Mohamed Kerouani), et relate les supplices des prisonniers, dont certains sont restés privés de liberté de mai 1945 jusqu’à juillet 1962. « Sétif, la fosse commune – Massacres du 8 Mai 1945 » est bien plus qu’un essai : c’est une investigation passionnée qui enrichit notre mémoire collective. À l’heure où l’Algérie commémore le 80e anniversaire de ces massacres, cet ouvrage s’impose comme un événement éditorial majeur. Par la richesse de ses contenus et la rigueur de son approche, il apporte des éléments nouveaux essentiels à l’établissement de la vérité historique. Seul journaliste à travailler sur l’épineux dossier de Mai 1945, notre confrère et ami Kamel Beniaiche a aimablement accepté de nous livrer une infime partie d’une longue et exaltante enquête.

Que pourriez-vous nous dire sur cette deuxième édition, publiée à l’occasion du 80e anniversaire des massacres de Mai 1945 ?

Cette édition revue, corrigée et augmentée est à la fois un témoin, une archive vivante et un cri rendu à ceux que l’Histoire coloniale a voulu réduire au silence. Ce travail n’est pas terminé, mais cette nouvelle étape marque un pas de plus vers la vérité historique. Ce livre est donc le résultat d’un engagement personnel, d’une fidélité à ceux qui n’ont jamais pu raconter leur supplice, et d’un devoir envers les nouvelles générations. Il aura fallu se heurter à moult difficultés, affronter et déconstruire des récits tronqués, mais mon obstination a eu raison des silences. Chaque page est une tentative de réparation. Chaque mot pèse son poids d’histoire et de douleur. La nouvelle édition répond à la forte demande des lecteurs. D’autant que la première édition publiée en 2016 est introuvable en librairie.

80 ans après le bain de sang de Mai 1945, avons-nous élucidé tous les points inhérents à la tragédie ou reste-il encore des éléments méconnus ?

Que savons-nous de la plus grande tuerie perpétrée à huis clos, un jour de victoire ? Une grande partie de l’épisode traumatique est méconnue. Même si les travaux des historiens et écrivains algériens et français, comme Mahfoud Keddache, Redouane Ainad-Tabet, Boucif Mekhalid et Amar Mohand Amer, Jean-Louis Planche et Jean-Pierre Peyroulou pour le cas de Guelma, ont levé le voile sur d’innombrables épisodes douloureux, il n’en demeure pas moins que la partie immergée de la plaie béante demeure méconnue. Le grand public des deux rives ne connaît presque rien du mardi sanglant. D’autant qu’on n’a toujours pas reconstitué minutieusement les faits et leur chronologie. On n’a pas cerné toutes les cicatrices pour que nous puissions construire une approche plus grande de la vérité. De nombreux sujets comme les razzias, les disparitions, la torture, les viols, les exécutions sommaires, les plaintes des familles restées sans suite, les souffrances de milliers d’orphelins, les responsabilités des commanditaires de la boucherie et la controverse concernant les bilans de cet autre crime contre l’humanité, ne sont toujours pas élucidés.                          

A travers un tel récit, vous rendez hommage aux victimes de la barbarie coloniale…

Faire jaillir la lumière, toute la lumière, sur le plus horrible pogrom perpétué à huis clos, quelques heures après la fin de la Seconde Guerre mondiale, est une mission compliquée et complexe à la fois. Ce n’est pas du tout évident pour un chercheur indépendant de réaliser un essai historique reconnu et recommandé par des historiens comme Gilbert Meynier, Hosni Kitouni, Gilles Manceron, Foued Soufi, Hassen Remaoun, Abdelmadjid Merdaci, Alain Ruscio, Aissa Kadri, Olivier Le Cour Grandmaison et Amar Mohand Amer. Ce travail restitue en partie les noms et les sépultures confisqués. Il dévisse de nouveaux ressorts d’un épisode dramatique, miné par la désinformation de l’histoire à sens unique. Privés de paroles des décennies durant, les véritables victimes et témoins de la tragédie se sont exprimés sans haine ni rancune.

Un nouveau livre en version française de 408 pages et arabe de 414 pages, cela a dû vous prendre beaucoup de temps… Où avez-vous éprouvé le plus de difficultés ?

Cette deuxième édition de « Sétif, la fosse commune – Massacres du 8 Mai 1945 » est le fruit de milliers d’heures de travail, d’efforts inlassables et de sacrifices incommensurables. Mettre entre les mains des lecteurs les deux versions n’a pas été une simple sinécure. Ce n’est pas du tout évident pour un chercheur indépendant, ne disposant d’aucun soutien, de concrétiser un projet aussi gigantesque, abordant de surcroît un volet important de notre mémoire. Ce pan de notre histoire contemporaine prend une place importante dans l’espace public national, d’autant que le 8 mai a été instituée Journée nationale de la mémoire par le président de la République Abdelmadjid Tebboune. Remettant bien des choses à leur place, le présent ouvrage s’inscrit dans le travail de mémoire et l’écriture de l’histoire. Les embuches et difficultés ne me découragent pas pour autant.

L’ouvrage a-t-il été publié en France ?

L’adage « seul on va plus vite, à plusieurs on va plus loin » sied au présent ouvrage, une œuvre collective. Grâce à l’appui et au soutien de plusieurs historiens français, à leur tête Gilles Manceron – un spécialiste de la colonisation française de l’Algérie -, les Editions du Croquant, dirigées par Louis Weber, ont aimablement accueilli cet ouvrage dans leur collection. Celui-ci ne sera disponible dans les librairies françaises qu’à partir de juin 2025, mais il est déjà en vente sur le site Internet de la maison d’édition. C’est une fierté pour un auteur algérien de transmettre la mémoire nationale du côté de la rive nord de la Méditerranée où l’opinion publique est en droit de savoir ce qui s’est passé en Algérie, non seulement en mai 1945 mais tout au long des 132 ans de colonisation. C’est d’ailleurs dans ce contexte que j’ai été invité par les députés du Nouveau Front Populaire (NFP) à animer une conférence le 8 février 2025 au sein même de l’Assemblée française.

Quelle est la particularité de cette deuxième édition ?

L’écrit historique repose sur deux éléments essentiels, à savoir les témoignages et les archives. Cette nouvelle édition est le fruit d’un dur labeur. Elle est surbookée en révélations et informations inédites. Elle remet sur la place publique des faits écrasés par les contrevérités érigées en « vérité » par les généraux Henri Martin, Raymond Duval, le colonel Bourdilla, le gouverneur d’Algérie Yves Chataigneau, le préfet de Constantine Lestrade Carbonnel et Le sous-préfet de Guelma, André Achiary, les commanditaires et artisans de cette horrible tentative d’épuration ethnique. Faisant fi de la vérité historique, les chantres de la mémoire coloniale ne ratent aucune occasion pour travestir l’histoire et éluder délibérément les questions et les sujets compromettants. C’est pour une multitude de raison que je continue à dire que les massacres collectifs de mai 1945 en Algérie n’ont pas encore révélé tous leurs secrets.

Vous êtes un des signataires de l’appel de Béjaïa ayant ponctué un colloque international sur les crimes coloniaux de la France en Afrique…

Des historiens, universitaires et écrivains venus des Etats-Unis d’Amérique, d’Algérie, de France, du Sénégal, du Cameroun, de Madagascar et du Royaume-Uni, ayant pris part au colloque international organisé par l’université Abderrahmane Mira les 11 et 12 mai 2025, ont, à travers cet appel, demandé à la France officielle de reconnaître les crimes commis en son nom en Algérie. Ils ont d’une part rappelé les « petits pas » de la France faisant dans le déni et la dénégation, et de l’autres, mis en exergue la déclaration du président de la République Abdelmadjid Tebboune « (…) l’Algérie ne saurait en aucun cas accepter que le dossier de la mémoire soit relégué à l’oubli et au déni ». Reproduit par plusieurs organes nationaux et étrangers, l’appel de Béjaïa est un acte fort dans le chemin de la reconnaissance et du rétablissement de la vérité historique.

M. B.

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