Hacène Menouar, président de l’association El Aman : «Nous n’avons pas formé un consommateur responsable»

Alors que le ramadan est censé être un mois de piété et de modération, il se transforme souvent en une période de surconsommation et de gaspillage. Entre frénésie d’achats, influence des publicités, les habitudes des consommateurs algériens peinent à évoluer. Dans cet entretien, le président de l’association El Aman pour la protection des consommateurs, Hacène […] The post Hacène Menouar, président de l’association El Aman : «Nous n’avons pas formé un consommateur responsable» appeared first on Le Jeune Indépendant.

Mars 1, 2025 - 22:26
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Hacène Menouar, président de l’association El Aman : «Nous n’avons pas formé un consommateur responsable»

Alors que le ramadan est censé être un mois de piété et de modération, il se transforme souvent en une période de surconsommation et de gaspillage. Entre frénésie d’achats, influence des publicités, les habitudes des consommateurs algériens peinent à évoluer. Dans cet entretien, le président de l’association El Aman pour la protection des consommateurs, Hacène Menouar, analyse les causes de cette surconsommation et propose des pistes pour encourager une consommation plus responsable.

 

Le Jeune Indépendant : Quels sont les principaux changements observés dans les habitudes de consommation des ménages pendant le ramadan ?

 

Hacène Menouar : A l’approche du ramadan, en tant qu’association de protection des consommateurs, nous observons avec préoccupation une frénésie de consommation chez les Algériens. Cette période, censée être dédiée à la piété et à la modération, se transforme en une course effrénée aux achats alimentaires, créant une atmosphère comparable à une préparation de siège. Les marchés sont pris d’assaut et une angoisse palpable règne quant à la disponibilité des produits. Cela démontre que, malgré les années et les crises économiques mondiales, notamment après la pandémie de Covid-19, nos habitudes de consommation n’ont pas réellement évolué.

Pourquoi ? Parce que nous n’avons pas formé un consommateur responsable, conscient et acteur de ses choix. Nous avons plutôt créé un consommateur passif, qui ne fait que consommer… Ce consommateur est continuellement apaisé par des dispositifs temporaires, qui lui apportent un soulagement immédiat mais qui, à long terme, lui nuisent.

Plusieurs facteurs contribuent à cette réalité. D’une part, le consommateur algérien n’est pas suffisamment éduqué pour devenir un acteur conscient et responsable de ses choix.

D’autre part, le discours politique actuel met l’accent sur l’approvisionnement du marché à l’approche du ramadan, ce qui peut suggérer une insuffisance des efforts tout au long de l’année. Cette focalisation saisonnière souligne les lacunes dans notre réseau de distribution et notre infrastructure commerciale.

Tant que cette logique persiste, tant que les autorités concentrent leurs efforts uniquement sur l’approvisionnement alimentaire pendant le ramadan, les consommateurs continueront à adopter cette même attitude, ne pensant qu’à leur ventre durant cette période.

 

Les campagnes publicitaires influencent-elles les choix des consommateurs pendant le ramadan ?

Les publicités sont conçues par des spécialistes, des bureaux d’études et des experts qui maîtrisent parfaitement notre profil de consommateurs algériens. Ils ont mené des études approfondies sur nos habitudes, nos régions, nos contextes de vie. Leur objectif ? Produire des campagnes taillées sur mesure, destinées à capter notre attention et à nous pousser à l’achat.

Mais derrière ces stratégies bien huilées se cache une réalité plus sombre. Nombre de ces produits sont de piètre qualité, certains sont même nocifs, toxiques, de véritables poisons pour la santé publique. Et c’est là que réside le véritable drame : ces publicités ne se contentent pas de vanter des biens utiles ou de dynamiser l’économie. Nous sommes en effet confrontés à une autre problématique : ces publicités, souvent mensongères et trompeuses, ont des répercussions directes sur notre santé.  

Il est temps de trancher. Soit nous acceptons de renoncer à une partie de ces revenus et imposons une régulation stricte pour limiter les dégâts sanitaires, soit nous fermons les yeux, laissons faire et profitons des bénéfices immédiats, quitte à sacrifier l’avenir. Dans ce cas, ce sont les générations futures qui paieront le prix fort, devant gérer les conséquences désastreuses de ces choix d’ici à 2030, 2035 et au-delà.

 

Le gaspillage alimentaire est-il encore un problème majeur durant le ramadan ?

Le gaspillage est omniprésent dans notre société. Nous gaspillons dans tous les domaines : alimentation, énergie, carburant, eau, médicaments, et même dans les services médicaux. Trop souvent, nous produisons, consommons et jetons sans véritable nécessité.

Mais le pire gaspillage concerne ce qui est encore plus précieux, le temps. Nous gaspillons du temps, du temps de travail, et cela coûte extrêmement cher, tant sur le plan économique que dans l’éducation de nos enfants, qui sont pourtant l’avenir. Malheureusement, ce gaspillage ne cesse de s’amplifier, car nous avons pris l’habitude de consommer sans véritablement réfléchir à notre mode de vie.

Les entreprises chargées du ramassage des ordures déclarent chaque année que le volume des déchets double, si ce n’est plus. Cela signifie que nous devrions consommer moins, mais nous n’avions pas compris l’origine de cette augmentation. Maintenant, en écoutant les pouvoirs publics, nous avons compris.

Je parle souvent des pouvoirs publics, mais c’est parce qu’ils jouent un rôle clé dans l’encadrement de la consommation et la protection des consommateurs. Le gaspillage est aussi favorisé par le fait que presque tout est subventionné. Nous n’avons pas encore appris à donner de la valeur aux choses. Des produits essentiels ailleurs sont dévalorisés chez nous, comme l’énergie, l’eau et même le pain. Pourtant, le pain représente aussi de l’énergie : il nécessite de l’électricité, de la farine…

 

Quels conseils donneriez-vous aux consommateurs pour éviter le gaspillage ? 

Pour éviter le gaspillage, la première chose à faire, en tant que consommateur, est de réunir la famille pour avoir une discussion sérieuse sur le budget, l’organisation du temps et, surtout, la planification des repas pendant le ramadan.

Il est essentiel de s’accorder sur qui fera les courses, comment organiser les repas et quelles restrictions adopter pour éviter des excès qui pourraient nuire à la santé. Une fois ces points clarifiés, une feuille de route peut être établie. Une seule personne sera responsable des courses afin d’éviter que plusieurs membres de la famille achètent les mêmes produits, comme le pain, les yaourts ou les fruits, ce qui entraîne souvent du gaspillage.

Les ménagères doivent également élaborer des menus équilibrés et adaptés à tous, et ce afin d’éviter de cuisiner plusieurs plats différents pour satisfaire chaque préférence individuelle. L’objectif est d’avoir un consensus familial sur les repas, pour que tout ce qui est préparé soit consommé.

Enfin, il est crucial de garder à l’esprit toutes les familles et les personnes dans le besoin, que ce soit en Algérie ou ailleurs, notamment dans les régions touchées par la guerre. Avoir cette pensée en tête peut nous encourager à ne pas gaspiller de nourriture.

 

Quelles initiatives votre association met-elle en place pour sensibiliser la population à ce sujet ?

En 2025, en Algérie comme ailleurs, la sensibilisation repose sur des leviers incontournables : les médias traditionnels – télévision, radio, presse écrite – et les médias numériques, notamment les réseaux sociaux. Pour être efficace, cette mobilisation doit être globale et concertée.

Les médias ont une responsabilité majeure. Ils doivent informer avec impartialité, sans se limiter à la publicité, et offrir une tribune aux acteurs clés de la société : associations, universitaires, médecins, imams. Ces derniers doivent pouvoir s’exprimer librement, dans un cadre serein, pour éclairer et sensibiliser le public.

 

Comment encourager une consommation plus responsable pendant le ramadan ?

Au-delà de l’information, un véritable travail de fond est nécessaire. Il faut non seulement dénoncer mais aussi sanctionner le gaspillage, la spéculation et les abus. L’économie informelle, omniprésente, doit être mieux régulée. Aujourd’hui, il suffit de se promener dans n’importe quelle rue ou place publique pour voir des vendeurs installés partout, rendant l’achat spontané et désorganisé.

L’émergence de marchés structurés, de supermarchés et d’hypermarchés bien organisés changerait la donne. Lorsque faire ses courses exige une planification – préparer une liste, prendre un panier, acheter uniquement l’essentiel –, le gaspillage diminue naturellement. A l’inverse, un accès trop facile aux produits encourage les achats impulsifs et inutiles.

Ce sont ces ajustements qui peuvent provoquer de véritables transformations. De petites habitudes bien ancrées finissent toujours par façonner de grands changements.

 

Quels sont les impacts environnementaux de la surconsommation durant cette période ?

Le gaspillage, la surconsommation et l’absentéisme au travail ont des conséquences désastreuses, touchant aussi bien l’économie que la santé publique et l’environnement.

Avant de jeter un produit, il faut se rappeler qu’il a nécessité des ressources précieuses : de l’eau, de l’électricité, du gaz, et donc une quantité considérable d’énergie. Gaspiller, c’est non seulement dilapider ces ressources naturelles mais aussi accroître les émissions de gaz à effet de serre liées à la production et à la distribution, aggravant ainsi le réchauffement climatique.

La consommation effrénée entraîne également une explosion des déplacements. Entre les livraisons et les trajets incessants pour faire ses courses, la circulation sature les routes, multipliant les embouteillages et les rejets polluants. Certes, le carburant est abordable, mais l’impact environnemental, lui, est bien réel. Chaque véhicule en mouvement contribue à la pollution de l’air et au dérèglement climatique.

La gestion des déchets reste aussi un défi de taille. Une grande partie des emballages (plastique, carton, papier) n’est pas correctement recyclée et finit par joncher les rues, polluer les sols et s’infiltrer dans les nappes phréatiques. Tant que la gestion des déchets restera insuffisante, cette pollution continuera de menacer nos ressources en eau, qu’elles soient potables ou destinées à l’irrigation. L’impact environnemental ne peut plus être ignoré. Il est temps d’agir.

 

 

 

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