« Kassaman » retentit à l’aéroport de Pékin: La Chine premier pays non arabe à reconnaître le GPRA

L’avion, un Tupolev 104 aux couleurs la compagnie soviétique Aeroflot, vient de se poser sur l’aéroport de Pékin en provenance de Moscou. Des officiels, une foule d’adolescents et de jeunes chinois l’attendent, enthousiastes, en agitant drapeaux chinois et algériens. L’aéronef roule doucement vers l’aire de stationnement dédiée aux cérémonies officielles. Pendant que le commandant de […] The post « Kassaman » retentit à l’aéroport de Pékin: La Chine premier pays non arabe à reconnaître le GPRA appeared first on Le Jeune Indépendant.

Juil 3, 2025 - 02:04
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« Kassaman » retentit à l’aéroport de Pékin:  La Chine premier pays non arabe à reconnaître le GPRA

L’avion, un Tupolev 104 aux couleurs la compagnie soviétique Aeroflot, vient de se poser sur l’aéroport de Pékin en provenance de Moscou. Des officiels, une foule d’adolescents et de jeunes chinois l’attendent, enthousiastes, en agitant drapeaux chinois et algériens. L’aéronef roule doucement vers l’aire de stationnement dédiée aux cérémonies officielles. Pendant que le commandant de bord éteint les moteurs et ordonne à l’assistance au sol de sécuriser l’appareil par des cales en attendant la mise en place de la passerelle, la foule n’en finit pas d’applaudir à tout rompre.

Depuis la matinée et la sortie du « Quotidien du Peuple » dans les kiosques, les Chinois n’ignorent ni le nom ni le statut de l’hôte auquel ils sont venus réserver, roses à la main, un accueil des plus chaleureux en cette fin d’après-midi du 29 septembre 1960. Sa photo-portrait s’est étalée sur les colonnes du plus grand tirage du pays.

A peine sorti de l’appareil, Ferhat Abbas, président du GPRA depuis le 19 septembre 1958, salue de la main la foule. Illustration par le dispositif protocolaire de l’importance de la visite, c’est le Premier ministre chinois, Zhou Enlai, qui l’accueille au pied de la passerelle avec le sourire hospitalier et une poignée de mains chaleureuse.

Un détachement des trois corps de l’Armée populaire rend les armes au président de l’Algérie en lutte pour son indépendance. Familier de la communication depuis ses années à la tête de l’UDMA et ses éditoriaux dans « La République algérienne » et « Egalité », Ferhat Abbas s’adonne à un de ses exercices préférés et qu’il affectionne : une déclaration à la presse et à la télévision chinoises.

Sorties des rangs de la foule, de jeunes filles se lancent en direction des membres de la délégation algérienne, le Président en tête, pour leur souhaiter la bienvenue en fleurs. Chacun aura son bouquet. Apogée du cérémonial, l’hôte de la Chine rejoint le centre de Pékin et son lieu de résidence en compagnie de Zhou Enlai à bord d’une « Hongqi CA72 », première berline de production chinoise dédiée – jusqu’aux années soixante-dix — aux cérémonies officielles.

Tout au long de l’itinéraire entre l’aéroport et le centre de Pékin, Ferhat Abbas s’offre un bain de foule. Homme des ‘’effusions chaleureuses’’, comme le décrit le journaliste-écrivain Jean Lacouture, Ferhat Abbas, 61 ans et deux mois, vit intensément l’un des voyages les plus marquants de sa vie de bête politique au long court.

Du haut de son expérience et fort de ses lectures sur les règles du protocole et de la préséance, le pharmacien de Sétif réalise sur le tarmac que les autorités chinoises — le président Mao Tsé-Toung en tête — l’accueillent en homme d’Etat à l’heure d’une ‘’visite amicale ’’qui, niveau protocolaire rehaussé, prend l’allure d’une visite d’Etat.

Le président du GPRA est accompagné d’une délégation de haut rang comprenant Lakhdar Bentobal, ministre de l’Intérieur, Mohamed Seddik Benyahia, directeur de cabinet du président, Ahmed Boumendjel, conseiller politique au ministère de l’Information, et Lamine Khene, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur.

À Pékin, l’accueil est grandiose. Ferhat Abbas ne l’a guère oublié et s’en est rappelé jusqu’au soir de sa vie. En octobre 1980, cinq années avant de tirer sa révérence à l’âge de 86 ans, il est ravivé les souvenirs du séjour pékinois dans « Autopsie d’une guerre » (éditions Garnier), son quatrième livre depuis « Le Jeune algérien » (éditions La Jeune Parque, en 1930). ‘’Les Chinois, rappelle-t-il, ont soigneusement préparé notre réception (…) L’aérodrome était décoré aux couleurs de l’Algérie et de la Chine. L’armée, le parti, la jeunesse – filles et garçons – offraient un spectacle impressionnant. Et quand la musique militaire fit entendre l’hymne national algérien sous le ciel pur, au milieu d’un parterre de fleurs, j’ai eu un serrement de cœur que je ne pourrai jamais oublier. Les larmes mouillèrent mes yeux. Je me sentais, d’un seul coup, un homme libre, au milieu d’hommes libres’’.

La rencontre avec Mao

Ferhat Abbas a été invité pour les festivités commémoratives du 11e anniversaire de la Révolution chinoise (1er octobre 1949-1er octobre 1960). Reçu le lendemain de son arrivée – et jour de fête – par le président Mao Tsé-Toung, Ferhat Abbas y séjourne jusqu’au 6 octobre.

Mao Ferhat

Abbas en compagnie de Mao

‘’Nous assistons à la grande fête populaire du 1er octobre, le regard fixé sur un agenda qu’il a dû garder dans ses archives. Nous tenons des meetings, nous assistons à des représentations, dont celle donnée par la Troupe Algérienne (la troupe artistique du FLN, ndlr), venue nous rejoindre.  Nous visitons la Grande Muraille, la Cité des Rois, la gare, le stade et, surtout, nous nous entretenons avec le Président Mao Tsé-Toung et le Premier ministre. Le 5 octobre, nous signons un communiqué commun (…) La Chine fut généreuse’’, rappelle-t-il en référence dons chinois de toutes sortes : armes, nourriture, vêtement.

Tout au long des mois qui ont suivi la visite, le président du GPRA a profité de toutes les opportunités médiatiques qui se sont présentées pour faire valoir la relation franco-chinoise et l’aide de Pékin en soutien à la guerre de libération. Entre autres médias auxquels il a venu, sincère et convaincu, le rôle joué par la Chine, trois journaux scandinaves, le « Stockholm Tidningen », « l’Arbeiderbladet » d’Oslo et « Aktuelt » de Copenhague (novembre 1960) et la chaîne américaine CBS dans l’émission ‘’Témoins oculaires de l’histoire’’ (décembre 1960).

A l’heure du 63e anniversaire de l’indépendance algérienne, la visite de Ferhat Abbas – une parmi nombre d’autres des représentants de l’Algérie en lutte en Chine — résonne encore comme un temps fort de la relation algéro-chinoise. Officiellement, la relation de l’Algérie avec l’Empire du Milieu remonte à la proclamation du Gouvernement provisoire de la République algérienne le 19 septembre 1958 à 13 heures précises.

Le lendemain, 20 septembre, Ahmed Francis, ministre des Affaires économiques et des Finances, et Benyoucef Benkhedda, ministre des Affaires sociales, remettent cette lettre – datée de la veille – à Zhang Yue, chargé d’affaires par intérim de l’Ambassade de Chine au Caire, précise le chercheur Cong Pan qui a consulté les archives diplomatiques chinoises pour les besoins de sa thèse « La guerre d’Algérie et les relations franco-chinoises » (Ecole normale supérieure de Lyon, 2020.

Reconnaissance du GPRA

Ahmed Francis et Benyoucef Benkhedda à peine sortis de la chancellerie chinoise au Caire, le processus de reconnaissance du GPRA va se mettre en branle rapidement. Premiers à lire la lettre de Ferhat Abbas, le Premier ministre Zhou Enlai et les décideurs du ministère des Affaires étrangères. Estimant d’emblée que le GPRA doit être reconnu par la République populaire de Chine, le chef du gouvernement adresse un télégramme au président Mao Tsé-Toung le 22 septembre.

Toutes affaires cessantes, le numéro un chinois approuve et donne le feu vert pour l’engagement de la démarche de reconnaissance. ‘’J’accepte le traitement du ministère des Affaires étrangères. Nous devons annoncer notre reconnaissance à une date rapprochée et commencer à discuter de la question de l’établissement de relations diplomatiques avec eux’’.

GPRA 1

Premier GPRA dirigé par Ferhat Abbas

Sans s’attarder, le gouvernement chinois adresse, le même jour, des télégrammes au nom du Président Mao Tsé-Toung, du Premier ministre Zhou Enlai et du ministre des Affaires étrangères Chen Yi, pour ‘’féliciter’’ Ferhat Abbas et son gouvernement de la proclamation du GPRA et lui annoncer sa reconnaissance par la Chine.

La Chine devient ainsi le premier pays non arabe à reconnaitre le gouvernement de l’Algérie en lutte. Dès le lendemain, « Le Quotidien du Peuple » érige la reconnaissance chinoise au rang des ‘’headlines’’. Le surlendemain, Jean Lacouture – journaliste très introduit auprès de la direction de la Révolution, rue Abd El-Khalek Sarwat au Caire – envoie à son journal, « Le Monde », un article sous cet angle.

Alors que Paris, en alerte depuis soixante-douze heures, a chargé ses ambassades dans les pays du sud de scruter et d’anticipe les intentions de leurs gouvernements par rapport ‘’au coup politique et médiatique magistral’’ du 19 septembre – comme le qualifie l’historien Amar Mohand-Amer –, le journal du soir investit les kiosques parisiens avec un surtitre et un titre extraordinairement accrocheurs : ‘’La Chine est le premier pays non arabe à reconnaître le « gouvernement » Ferhat Abbas – Le geste de Pékin’’. Et Jean Lacouture de s’essayer à une première projection : ‘’On peut prévoir que les autres États communistes suivront l’exemple de Pékin’’.

 

 

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