Le Sommet de trop

Par A Boumezrag – A quoi bon participer à un Sommet de la Ligue arabe dont les membres s’embrassent en façade et se poignardent en coulisse ? A quoi sert une organisation incapable de dire un mot clair sur Gaza ? L’article Le Sommet de trop est apparu en premier sur Algérie Patriotique.

Mai 16, 2025 - 20:31
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Le Sommet de trop

Par A Boumezrag – Encore un Sommet. Le 33e ? Le 38e ? Qui compte encore ? Ce 17 mai 2025, Bagdad accueille la grande réunion annuelle de la Ligue arabe, cette organisation que l’on croyait déjà momifiée quelque part entre un communiqué final jamais lu et une résolution jamais appliquée.

On appelle ça un «Sommet», comme si les Etats arabes grimpaient encore quelque part. En réalité, c’est une pause-café sur une pente descendante, une cérémonie sans magie, une scène où l’on feint l’accord en robe traditionnelle et micro-cravate.

Et l’Algérie ? Absente. Volontairement. Poliment. Intelligemment. Elle n’a pas envoyé le chef de l’Etat. Et cette absence résonne comme un silence plus fort que tous les discours en triple langue et double discours. Les grands absents sont parfois les seuls à avoir compris.

A quoi bon participer à un club dont les membres s’embrassent en façade et se poignardent en coulisse ? A quoi sert une organisation incapable de dire un mot clair sur Gaza, de régler la tragédie du Soudan, de faire autre chose que condamner, saluer, encourager, rappeler et s’inquiéter dans ses communiqués flous comme du thé trop dilué ?

Le monde arabe ne manque pas de sommets, il manque de sens. Il ne manque pas de micros, il manque de voix. Et, surtout, il ne manque pas de chefs d’Etat, mais de cap. A Bagdad, on rejoue la pièce. Mais le théâtre est vide. Tout y est : les drapeaux, les tapis, les formules toutes faites – «la cause palestinienne reste au cœur de nos préoccupations», vraiment ? –, les photos de famille sans famille, les poignées de main entre deux normalisations discrètes. C’est du diplomatique décoratif, du régional en toc. Et, pendant qu’on débite les mots en or, les peuples, eux, paient en sang, en exil, en fatigue. Mais ce n’est pas à l’ordre du jour.

L’Algérie a-t-elle eu raison de ne pas venir ? On pourrait lui reprocher le repli. Mais dans ce cas précis, ne pas être complice vaut mieux que faire semblant d’exister. Sa chaise vide en dit long : sur la vacuité de ces sommets, sur le divorce croissant entre les Etats et leurs peuples, et sur cette diplomatie arabe qui préfère les buffets aux bilans.

Peut-être qu’Alger aurait pu proposer autre chose. Mais est-ce encore possible, dans une salle où tout est joué d’avance, où les lignes rouges sont des décorations et les accords des acrobaties linguistiques pour justifier l’inaction ?

Ce «monde arabe», que l’on convoque à chaque crise comme un fantôme utile, est devenu un conglomérat de stratégies individuelles. L’un court vers Tel-Aviv, l’autre vers Ankara, un autre vers Pékin et tous vers Washington, parfois en même temps.

La solidarité ? C’est un mot pour les déclarations. Le projet commun ? Il s’est noyé entre deux tweets officiels. Le sommet de trop. Parce qu’il ne reste plus rien à dire. On pourrait espérer un sursaut. Une vraie initiative. Un vrai silence même, plutôt que ces proclamations recyclées. Mais on sait déjà ce qui sortira de Bagdad : une photo officielle, un texte creux et un rendez-vous pour le prochain Sommet. Le vrai miracle serait que quelqu’un s’en souvienne d’ici là. En attendant, le monde arabe reste à plat.

Et, pendant que certains s’acharnent à grimper les marches du podium, d’autres – comme l’Algérie – choisissent de redescendre vers l’essentiel.

Le Sommet de Bagdad s’achèvera comme les autres, dans un ballet de poignées de main, de flashes et de formules aussi creuses que les urnes de certaines républiques. Il ne restera ni stratégie commune ni vision partagée – seulement le souvenir flou d’un rendez-vous de plus dans un monde arabe qui tourne en rond avec la grâce d’un derviche sans transe.

Pendant que certains occupent des fauteuils, d’autres préfèrent garder leur dignité debout. Quand je parle de «dignité» dans ce contexte, c’est bien sûr une forme de dignité politique et morale – celle de ne pas se prêter à un spectacle vide, à une réunion qui donne l’illusion d’unité, mais qui masque en réalité désaccords profonds, inertie et compromissions. En d’autres termes : ne pas cautionner une mascarade où les grandes puissances régionales agissent en solo sous couvert d’une façade commune ; refuser de faire semblant que tout va bien quand la réalité est un «monde arabe à plat», sans projet collectif clair, sans solidarité effective ; choisir le silence ou l’absence plutôt que de participer à des gesticulations diplomatiques sans lendemain.

A. B.

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