Musique: Le cœur d’Aokas bat encore au rythme des chansons de Madja

Madjid Adrar, le chanteur aux mots sensibles et à la voix vibrante, a quitté ce monde. C’était un mardi après-midi, le 1er août 2017. Aokas s’est figée. Le silence s’est fait lourd dans les ruelles du village, sur la plage, dans les cafés, là où il passait autrefois, silhouette discrète et regard blessé. Madja – […]

Août 4, 2025 - 21:55
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Musique: Le cœur d’Aokas bat encore  au rythme des chansons de Madja

Madjid Adrar, le chanteur aux mots sensibles et à la voix vibrante, a quitté ce monde. C’était un mardi après-midi, le 1er août 2017. Aokas s’est figée. Le silence s’est fait lourd dans les ruelles du village, sur la plage, dans les cafés, là où il passait autrefois, silhouette discrète et regard blessé. Madja – comme l’appelaient affectueusement les jeunes d’Aokas – est parti, laissant derrière lui un vide immense. Huis ans déjà… et pourtant, sa voix résonne encore.

Par Hafit Zaouche

Les Aokassiens d’un certain âge se souviennent avec émotion de cet artiste prometteur, au talent brut et à l’âme généreuse. Il avait tout pour devenir une icône de la chanson kabyle : une voix envoûtante, un charisme naturel, et cette capacité rare à faire vibrer les cœurs. Il chantait l’amour, ce grand tabou dans notre société, avec pudeur et intensité. Il chantait la misère, la solitude, la douleur intérieure. Et il le faisait avec une sincérité désarmante.
Son unique album, mis sur le marché malgré mille obstacles, est aujourd’hui encore une référence pour ceux qui l’ont connu. Un seul album, et pourtant, un répertoire riche, profond, mûri dans la douleur et l’espoir. Mais Madja n’a pas résisté. Aux regards lourds, aux jugements faciles, au conservatisme étouffant. La société n’a pas su l’accompagner. Pire, elle l’a parfois brisé. Il en a souffert, profondément. Une dépression s’est installée, insidieuse, silencieuse. À chaque fois qu’on croisait Madja déambulant dans les rues d’Aokas, on percevait sa peine, une forme d’incompréhension douloureuse, comme un reproche muet adressé à la ville qui l’avait vu naître. Il faut poser la question : les artistes ont-ils vraiment leur place à Aokas ? Peut-on encore rêver ici ? Créer ? Exister autrement ?
Aujourd’hui, huit ans après sa mort, une poignée de jeunes d’Aokas refusent l’oubli. Épris de justice et de mémoire, ils ont entrepris de remettre en lumière l’œuvre de Madja. Il y a quelques mois encore, aucune trace de ses chansons n’existait sur Internet. Rien. Le néant numérique. Grâce à leur détermination, les chansons de Madjid Adrar sont désormais disponibles sur YouTube. Elles circulent sur les réseaux sociaux, elles émeuvent, elles font parler. C’est un début. Et peut-être, le début d’un nouvel hommage.
Ces jeunes envisagent également de rééditer l’album de Madja, de le remettre sur le marché. Ce serait, sans nul doute, le plus bel hommage possible : faire vivre sa voix, la faire entendre à ceux qui ne l’ont jamais connue. Redonner à Madja cette place que la vie lui a refusée.
Deux chansons, disponibles aujourd’hui en ligne, permettent de mesurer l’intensité émotionnelle de son œuvre. Dans «Te?it ul-iw deg ?blan», il parle aux cœurs brisés, aux amours impossibles, aux douleurs silencieuses. Une chanson bouleversante, qui serre la gorge. Dans «Sellem ?ef tuddar n Weqqas», il envoie un salut affectueux à tous les villages d’Aokas, ceux qu’il a aimés, ceux qu’il a chantés.
Ces deux morceaux suffisent à comprendre le trésor que nous avons perdu.
Écouter Madja, c’est se rappeler que la sensibilité n’est pas une faiblesse, mais une force. C’est se rappeler qu’il faut soutenir les artistes tant qu’ils sont en vie. C’est se rappeler qu’Aokas a enfanté un poète, un chanteur, un homme sincère.
Huit ans déjà. Mais son souffle, sa peine, son amour, eux, ne sont pas partis. Ils vivent encore. Dans ses chansons. Dans nos mémoires.
Adieu l’artiste. Que la terre te soit légère.
H. Z.