Gara Djebilet : Plus qu’un chemin de fer, l’Algérie met ses ambitions sur rails
L’achèvement du premier tronçon de la ligne ferroviaire minière Tindouf-Gara Djebilet n’est pas qu’un succès technique. C’est le premier jalon d’une stratégie d’État visant à remodeler en profondeur l’économie nationale, affirmer sa souveraineté et redessiner les équilibres de puissance au Maghreb. L’annonce, ce lundi, par l’Agence nationale d’études et de suivi de la réalisation […]

L’achèvement du premier tronçon de la ligne ferroviaire minière Tindouf-Gara Djebilet n’est pas qu’un succès technique. C’est le premier jalon d’une stratégie d’État visant à remodeler en profondeur l’économie nationale, affirmer sa souveraineté et redessiner les équilibres de puissance au Maghreb.
L’annonce, ce lundi, par l’Agence nationale d’études et de suivi de la réalisation des investissements ferroviaires (ANESRIF) de l’achèvement des 135 km de voie ferrée reliant Tindouf au gisement de fer de Gara-Djebilet, est un événement qui dépasse de loin la simple chronique des travaux publics. Derrière le langage technique et les délais respectés, une livraison symboliquement calée sur le 5 juillet, fête de l’indépendance, se dessine une vision d’État aux ramifications économiques, politiques et géostratégiques majeures. Ce projet, qualifié de « mégaprojet » par les autorités, est en réalité l’épine dorsale du plan algérien pour ce siècle.
Le nerf de la guerre économique : diversifier pour exister
Sur le plan économique, l’enjeu est colossal. Depuis son indépendance, l’Algérie souffre d’une dépendance chronique aux hydrocarbures, qui représentent l’écrasante majorité de ses exportations et de ses recettes budgétaires. La volatilité des cours du pétrole et du gaz a maintes fois mis en péril l’équilibre macroéconomique du pays. Gara-Djebilet, l’un des plus grands gisements de fer au monde avec des réserves estimées à plus de 3 milliards de tonnes, représente la promesse d’une diversification réelle et massive.
L’achèvement de cette ligne ferroviaire est la condition sine qua non pour transformer ce potentiel géologique en réalité économique. Sans cette artère logistique, le minerai resterait prisonnier du désert. Désormais, il pourra être acheminé en grande quantité vers les complexes sidérurgiques du nord du pays, notamment celui de Bellara (Jijel). L’objectif est ainsi double. Il y’a d’abord une substitution aux importations puisqu’il est question de satisfaire la demande nationale en acier, un matériau stratégique pour la construction et l’industrie, et ainsi réduire une facture d’importation coûteuse.
Ensuite il y’a également la création d’une filière d’exportation. En effet, une fois la demande interne satisfaite, l’Algérie ambitionne de devenir un acteur majeur sur le marché mondial du fer et de l’acier, générant de précieuses devises hors hydrocarbures.
Ce projet incarne le passage d’une économie de rente à une économie de production, créant une chaîne de valeur complète sur le territoire national, de l’extraction à la transformation.
La souveraineté par le développement
La portée politique de ce chemin de fer est tout aussi fondamentale. Il s’agit d’un des projets phares du mandat du président Abdelmadjid Tebboune, symbole de sa vision d’une « Algérie nouvelle » qui mise sur ses propres capacités pour assurer son développement. La mobilisation d’entreprises publiques nationales pour sa réalisation et le respect du calendrier annoncé visent à envoyer un message de crédibilité et d’efficacité de l’État.
Plus profondément, ce projet est un acte de souveraineté. En développant ses infrastructures et en exploitant ses propres ressources, l’Algérie entend réduire sa dépendance extérieure et renforcer son autonomie stratégique. C’est également un puissant outil d’aménagement du territoire. Le «Grand Sud», souvent perçu comme une région délaissée, devient le cœur d’un projet structurant qui promet emplois, développement et désenclavement. En reliant le Sud-Ouest au Nord industriel, l’État consolide l’unité nationale et ancre économiquement des régions frontalières sensibles.
L’échiquier géostratégique saharien en ligne de mire
C’est peut-être sur le plan géostratégique que les implications sont les plus spectaculaires. La ligne ferroviaire minière Bechar-Tindouf-Gara Djebilet n’est pas une simple infrastructure nationale ; elle est un pion majeur avancé sur l’échiquier maghrébin et africain.
Premièrement, elle positionne l’Algérie en concurrent direct du Maroc sur le marché des matières premières et de la logistique régionale. En se dotant d’une capacité d’extraction et d’exportation de fer à grande échelle, Alger se donne un levier économique considérable.
Deuxièmement, et c’est le non-dit le plus assourdissant, ce projet regarde vers l’Atlantique. Si la ligne actuelle s’arrête à Tindouf, son prolongement potentiel vers un port sur l’océan Atlantique est une ambition stratégique à long terme. Un tel accès maritime désenclaverait non seulement le gisement, mais aussi les pays du Sahel (Mali, Niger), offrant une alternative aux corridors logistiques existants et plaçant l’Algérie au centre des futurs flux commerciaux transsahariens.
Enfin, ce projet renforce les partenariats stratégiques de l’Algérie, notamment avec la Chine, très impliquée dans l’exploitation minière et la construction d’infrastructures en Afrique dans le cadre de ses « Nouvelles routes de la soie ». En réalisant un tel projet, Alger démontre sa capacité à être un partenaire fiable et un pôle de stabilité et de développement dans une région marquée par l’instabilité.
Au-delà des rails, une vision
L’achèvement de ce premier segment n’est que le début d’un marathon. Le véritable défi sera de compléter les 950 km de la ligne principale, de surmonter les obstacles techniques liés à la teneur en phosphore du minerai, et de s’insérer avec succès sur un marché mondial compétitif.
Néanmoins, la finalisation de la liaison Tindouf-Gara Djebilet est un signal fort. L’Algérie ne se contente plus de gérer sa rente pétrolière ; elle investit massivement dans une infrastructure productive destinée à sécuriser son avenir économique, à réaffirmer son autorité politique et à projeter sa puissance sur la scène régionale. Ce train ne transporte pas seulement du minerai de fer, il charrie les ambitions d’une Nation tout entière.