L’Algérien en France : bougnoule hier, délinquant aujourd’hui, pestiféré demain

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Fév 25, 2025 - 08:15
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L’Algérien en France : bougnoule hier, délinquant aujourd’hui, pestiféré demain

Une contribution du Dr A. Boumezrag – Les époques changent, les discours aussi. Mais les boucs émissaires, eux, restent étonnamment les mêmes. Hier, l’Algérien était «l’indigène», ce corps sans droit qu’on pouvait exploiter, mépriser, tuer sans état d’âme. Aujourd’hui, il est «l’immigré de banlieue», ce suspect permanent dont l’identité sert d’explication fourre-tout aux maux de la société.

En 1950, il crachait «bougnoule» en pleine figure. En 2025, il est devenu «un jeune issu de l’immigration bien connu des services de police». Une évolution sémantique, certes, mais dans le fond, la même rengaine : il est toujours le problème.

L’histoire d’une insulte coloniale

Mais d’où vient ce mot, bougnoule ? Son histoire en dit long sur la manière dont la France a toujours regardé ceux qu’elle dominait.

Le terme apparaît dans la langue française au XIXe siècle. Il dérive sans doute du mot «n’bougni» en wolof, qui signifie «noir» ou «homme de couleur». A l’origine utilisée par les colons pour désigner les Africains subsahariens, il s’est rapidement étendu aux populations nord-africaines, notamment algériennes, devenant une insulte raciale violente, synonyme de mépris, de relégation, de négation de l’individualité.

Durant la colonisation et la Guerre d’Algérie, il était couramment employé par les soldats et les colons pour parler des «indigènes» dans une France qui se voulait pourtant porteuse des Lumières et des droits de l’Homme. Une contradiction qu’elle n’a jamais vraiment assumée.

Après 1962, l’insulte n’a pas disparu avec l’indépendance. Elle a suivi les travailleurs immigrés en métropole, s’infiltrant dans les quartiers populaires, sur les chantiers, dans les usines. Là où l’ouvrier algérien, après avoir combattu pour son pays, est venu bâtir celui qui l’a longtemps nié.

Aujourd’hui, Bougnoule est devenu un tabou. Officiellement, plus personne ne l’emploie. Mais dans le sous-texte médiatique et politique, il a été remplacé par d’autres termes, plus insidieux mais tout aussi stigmatisants : «délinquant», «islamiste», «communautariste», «jeune des cités». Des mots qui, dans certaines bouches, veulent dire la même chose : l’autre, celui qui ne sera jamais totalement des nôtres.

Un stigmate qui ne disparaît jamais

Un fait divers ? Un patronyme à consonance maghrébine suffit pour qu’une partie de la presse s’emballe. A croire que la criminalité a un passeport et une religion attirée. Pourtant, lorsqu’un Blanc commet un crime, son origine ne passionne personne. On dissèque son enfance, on cherche des excuses, on parle d’un drame. Pour l’autre, on parle d’un fléau. La subtilité est frappante.

Et que dire de la classe politique ? A chaque élection, elle ressort les mêmes refrains : l’intégration ratée, les zones de non-droit, l’immigration incontrôlée. Peu importe que l’ouvrier algérien d’hier ait construit la France d’aujourd’hui. Peu importe que son fils soit né en France, qu’il ait grandi en récitant Molière et chanté la Marseillaise à l’école. Dans l’imaginaire collectif, il reste toujours un étranger. Français de papier, jamais vraiment de cœur.

Il suffit pourtant d’un simple exercice : effacer le mot «algérien» de ces narrations anxiogènes. Que reste-t-il ? Un fait divers, un crime, une incivilité, comme il en existe dans toutes les sociétés. Mais tant que l’étiquette «délinquant arabe» servira d’exutoire, il y a peu de chances que le regard change.

L’obsession française

Car en réalité, la France n’a jamais vraiment lâché l’Algérie. Certes, l’occupation militaire a pris fin en 1962, mais l’occupation mentale, elle, continue. Deux siècles après la colonisation de 1830, la France semble encore incapable de tourner la page. Elle ne gouverne plus l’Algérie, mais elle la surveille, la juge, la commente sans cesse.

Pourquoi cette obsession ? Parce qu’au fond, la France n’a jamais demandé l’autorisation d’occuper l’Algérie, ni en 1830, ni pendant les 132 ans de colonisation, ni pendant les 200 ans d’occupation des esprits.

Elle l’a conquise par la force, l’a exploitée, a tenté de la détruire dans son identité même, puis, en 1962, a dû se résoudre à partir. Mais elle n’a jamais vraiment fait le deuil de cette perte.

Pestiféré hier, pestiféré demain

Hier bougnoule, aujourd’hui délinquant, demain pestiféré. Toujours à l’écart, toujours à justifier son existence, toujours suspect.

Le pestiféré d’aujourd’hui n’a pas de cloche accrochée au cou, mais il porte en lui une autre marque invisible, celle du soupçon permanent. Et même quand il est irréprochable, on lui rappelle d’où il vient. Parce que dans cette société qui prétend ne voir que des citoyens, certains restent plus citoyens que d’autres.

Alors, demain, que leur restera-t-il ? Accepter cette assignation à résidence identitaire ? Continuer à marcher sur des œufs, à s’excuser d’être là ? Ou oser rappeler à la France qu’elle est aussi la leur, qu’ils ne partiront pas, parce qu’ils sont déjà chez eux ?

Quand l’hypocrisie explosera au grand jour

Car l’histoire l’a prouvé : on peut masquer les injustices, les dissimuler sous des discours policiers, les enrober d’arguments sécuritaires ou républicains, mais tôt ou tard, la réalité rattrape tout le monde.

Les générations qui grandissent aujourd’hui ne sont plus celles d’hier. Elles n’acceptent plus d’être des citoyens de l’ombre, elles refusent d’avancer en baissant la tête. Elles savent que l’histoire les a placées là, en France, non par accident, mais parce que leurs ancêtres ont bâti ce pays, qu’ils l’ont nourri de leur sueur et parfois de leur sang.

Alors, quand l’hypocrisie explosera au grand jour, il ne s’agira plus de nier, d’éluder ou de détourner le regard. Il faudra bien répondre à la seule question qui compte : la France veut-elle enfin voir tous ses enfants comme les siens, ou préfère-t-elle s’accrocher à son vieux fantasme d’une identité figée, pure, inatteignable pour certains ?

Car, si c’est le cas, qu’elle ne s’étonne pas qu’un jour, ce sont ces pestiférés qui cessent de demander à être reconnus et qui finissent par imposer leur place.

Mais peut-on encore espérer une prise de conscience ? Une remise en question sincère ? Peut-être est-ce trop demander à une société qui préfère les faux-semblants aux vérités qui dérangent.

«Il faut vous dire, Monsieur/Que chez ces gens-là/On ne pense pas, Monsieur/On triche.» (Jacques Brel).

A. B.

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