Les relations algéro-françaises abordées dans un entretien à «L’Opinion»: Le Président Tebboune ferme sur les principes, souple dans la formulation
Dans un entretien exclusif accordé au journal français L’Opinion, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a abordé plusieurs sujets de politique internationale et nationale, réaffirmant ses positions fermes sur des dossiers sensibles, notamment la question du Sahara occidental, la normalisation des relations avec Israël et ses intentions concernant son avenir à la tête de […]
Dans un entretien exclusif accordé au journal français L’Opinion, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a abordé plusieurs sujets de politique internationale et nationale, réaffirmant ses positions fermes sur des dossiers sensibles, notamment la question du Sahara occidental, la normalisation des relations avec Israël et ses intentions concernant son avenir à la tête de l’État. Le chef de l’Etat a exprimé de vives inquiétudes concernant l’état actuel des relations diplomatiques entre l’Algérie et la France.
Par Meriem B.
Alors que les tensions se multiplient, le Président Tebboune a clairement averti que le temps perdu avec la France, sous la présidence d’Emmanuel Macron, pourrait mener à un point de non-retour.
Le président n’a pas mâché ses mots : «Le climat est délétère, nous perdons du temps avec le président Macron». Une déclaration forte, qui fait écho aux tensions persistantes entre les deux pays, notamment autour des questions historiques et de la politique migratoire. Tebboune a insisté sur l’importance de ne pas laisser cette relation se détériorer davantage, soulignant que l’Algérie faisait «beaucoup» pour éviter une séparation qui pourrait devenir «irréparable». «Nous avions beaucoup d’espoirs de dépasser le contentieux mémoriel. C’est pour cela que nous avons créé, à mon initiative, une commission mixte pour écrire cette histoire qui nous fait encore mal», a-t-il indiqué. «Et pour dépolitiser ce dossier, j’ai même reçu deux fois l’historien Benjamin Stora (qui) a toute mon estime et réalise un travail sérieux avec ses collègues français et algériens sur la base des différentes archives, bien que j’aie déploré que l’on n’aille pas assez au fond des choses» a-t-il souligné. Il a aussi rappelé avoir établi «une feuille de route ambitieuse» après la visite en août 2022 du Président Macron, suivie de celle d’Elisabeth Borne, alors Première ministre, qu’il a qualifiée de «femme compétente connaissant ses dossiers». «Mais, plus rien n’avance si ce n’est les relations commerciales», a-t-il fait observer. A cet effet, il a affirmé que «le dialogue politique est quasiment interrompu», évoquant les «déclarations hostiles tous les jours de politiques français, comme celles du député de Nice, Eric Ciotti, ou du membre du Rassemblement national (Jordan Bardella)». Et de poursuivre : «Et ces personnes aspirent un jour à diriger la France. Personnellement, je distingue la majorité des Français de la minorité de ses forces rétrogrades et je n’insulterai jamais votre pays». Interrogé sur sa disposition «à reprendre le dialogue à condition qu’il y ait des déclarations politiques fortes», le président de la République a répondu : «Tout à fait. Ce n’est pas à moi de les faire. Pour moi, la République française, c’est d’abord son président». Sur la dénonciation des accords de 1968 de la part de plusieurs politiques français, le président de la République a estimé qu’il s’agit d’«une question de principe». «Je ne peux pas marcher avec toutes les lubies. Pourquoi annuler ce texte qui a été révisé en 1985, 1994 et 2001», s’est-il interrogé. Il a précisé, à ce propos, que «certains politiciens prennent le prétexte de la remise en cause des accords pour s’attaquer à ces accords d’Evian qui ont régi nos relations à la fin de la guerre. Ces accords de 1968 sont une coquille vide qui permet le ralliement de tous les extrémistes comme du temps de Pierre Poujade».
Par ailleurs, le chef de l’État a affirmé que «le dossier de la décontamination des sites d’essais nucléaires est obligatoire sur les plans humain, moral, politique et militaire». «Nous estimons que l’Algérie doit le faire avec la France qui doit nous dire avec précision les périmètres où ces essais ont été réalisés et où les matériaux sont enterrés. Il y a aussi la question des armes chimiques utilisées à Oued Namous», a-t-il poursuivi. «Il ne faut pas mettre la poussière sous le tapis et régler définitivement ces contentieux», a-t-il conclu à propos de ce dossier. Questionné si la reconnaissance de la «marocanité du Sahara» était à l’origine de la crise entre l’Algérie et la France, le chef de l’Etat a répliqué : «Nous avons parlé avec le Président Macron plus de 2 heures 30 en marge du sommet du G7 à Bari, le 13 juin dernier (…) Il m’a alors annoncé qu’il allait faire un geste pour reconnaître la ‘’marocanité’’ du Sahara occidental, ce que nous savions déjà. Je l’ai alors prévenu : ‘’Vous faites une grave erreur ! Vous n’allez rien gagner et vous allez nous perdre. Et vous oubliez que vous êtes un membre permanent du Conseil de sécurité, donc protecteur de la légalité internationale, alors que le Sahara occidental est un dossier de décolonisation pour l’ONU qui n’a toujours pas été réglé’’».
«Notre seule préoccupation, c’est l’instauration de l’Etat palestinien»
La seule préoccupation de l’Algérie est l’instauration d’un Etat palestinien, a affirmé le Président Tebboune, assurant qu’Alger normalisera ses relations avec Israël «le jour même où il y aura un Etat palestinien». «Mes prédécesseurs, les présidents Chadli et Bouteflika, que Dieu ait leurs âmes, avaient déjà expliqué qu’ils n’avaient aucun problème avec Israël», a rappelé le président de la République. Il a affirmé que la normalisation se fera «le jour même où il y aura un Etat palestinien. Ça va dans le sens de l’histoire», insistant sur le fait que «notre seule préoccupation, c’est l’instauration de l’Etat palestinien». Il a signalé, dans ce même contexte, que l’Algérie a réussi à faire reconnaître la Palestine par 143 Etats de l’ONU comme membre à part entière.
«Je n’ai pas l’intention de m’éterniser au pouvoir»
Le Président Tebboune a affirmé ne pas avoir l’intention de s’éterniser au pouvoir au terme de son second mandat et qu’il respectera la Constitution, s’engageant à laisser des infrastructures nouvelles, de grands chantiers et une réforme du système politique. «A mon arrivée, il a fallu reconstruire les institutions dans un laps de temps très court.
La crise sanitaire a ajouté son lot de difficultés (et) malgré cela, nous avons tenu nos engagements et avons révisé la Constitution», a-t-il indiqué. Il a précisé que «ce second mandat est celui du parachèvement des grands chantiers lancés depuis 2020», relevant que «nous sommes passés par des phases difficiles – la décennie noire, la fin du mandat du Président Bouteflika suivie du hirak –, qui auraient pu détruire le pays». Interrogé sur les évolutions politiques et institutionnelles à attendre lors de ce second mandat, le président de la République a indiqué qu’il reçoit «effectivement les différentes formations politiques». «Nous allons trouver un consensus pour réformer la loi sur les partis, le système électoral, les codes régissant les communes et les wilayas. Nous allons aussi renforcer l’économie de ces régions en créant une banque des collectivités locales», a-t-il dit.
L’Algérie est appelée à devenir un pays émergent dans deux ans
L’Algérie est appelée à devenir un pays émergent, du niveau des pays du Sud de l’Europe, probablement dans deux ans, a indiqué le Président Tebboune, affirmant, par ailleurs, que le pays n’avait pas besoin des «aides» françaises au développement, lesquelles ne «servent que les intérêts de la France». «Si Dieu le permet, peut-être dans deux ans maximum, l’Algérie sera un pays émergent du niveau des pays du Sud de l’Europe avec un PIB de plus de 400 milliards de dollars», a-t-il prédit. «Début 2027, tout au plus, nous aurons achevé la construction de notre programme de 3,5 millions de logements – deux millions sont déjà livrés –, nous en aurons aussi terminé avec le problème de l’eau et nous aurons réduit l’importation de matières premières pour nos usines.
Notre objectif est de fabriquer le maximum de produits sur place. Nous allons être parmi les plus grands pays exportateurs de phosphates et dérivés. Nous allons aussi développer l’énergie solaire et la production d’hydrogène vert, une nouvelle ressource qui renforcera l’attractivité industrielle de l’Algérie», a-t-il énuméré. Cela «nous permettra aussi d’augmenter notre capacité à fournir de l’énergie à l’Europe», a soutenu le président de la République, rappelant que le pays était également en train de renforcer sa sécurité alimentaire et mobiliser davantage de ressources hydriques. Interrogé sur les «aides» de développement françaises qui seraient accordées à l’Algérie et sur une éventuelle suppression de ces aides, le président de la République a estimé que toute demande de suppression de ces «aides» relevait tout simplement «d’une profonde méconnaissance de l’Algérie». «C’est de l’ordre de 20 à 30 millions par an.
Le budget de l’Etat algérien est de 130 milliards de dollars et nous n’avons pas de dette extérieure», a-t-il fait observer.
Le président de la République a clairement affirmé que l’Algérie n’a pas besoin de ces «aides» qui ne servent en réalité que les intérêts de la France. «Nous n’avons pas besoin de cet argent qui sert avant tout les intérêts d’influence extérieure de la France», a-t-il tranché.
A la question de connaître les raisons ayant poussé l’Algérie à demander une révision de son accord d’association avec l’Union européenne, le président de la République a expliqué que cette demande a été dictée par le souci du pays, riche d’une production industrielle diversifiée, de voir ses exportations pénétrer le marché européen dans des conditions préférentielles.
M. B.