Musique/Parolier: Abdelmadjid Aït Oukas ou le portrait d’un ciseleur de mots
Aokas et sa région ne cessent de révéler des trésors humains, des artistes modestes et discrets dont le talent n’a pourtant rien à envier aux plus grands. Abdelmadjid Aït Oukas est de ceux-là. Par Hafit Zaouche Enfant du village Tazrourt, dans la commune de Tizi N’Berber, il a offert au public un seul album en […]

Aokas et sa région ne cessent de révéler des trésors humains, des artistes modestes et discrets dont le talent n’a pourtant rien à envier aux plus grands. Abdelmadjid Aït Oukas est de ceux-là.
Par Hafit Zaouche
Enfant du village Tazrourt, dans la commune de Tizi N’Berber, il a offert au public un seul album en 1993. Un unique témoignage poétique et musical qui, trente ans plus tard, continue de résonner comme une empreinte rare dans le paysage culturel algérien. Cet album compte douze poèmes mis en musique, où s’entrelacent
l’amour, l’exil, la mémoire de la guerre de Libération et les douleurs de la société. Mais aussi un cri audacieux : celui d’un texte intitulé «Sida», écrit et enregistré en 1993, à une époque où ce sujet relevait du tabou. Dans une Algérie encore très conservatrice, il osa pourtant, au nom de la vérité et de la vie. «J’ai préféré enregistrer mes poèmes plutôt que de les publier en recueil, confie-t-il. Notre culture est avant tout orale. En Algérie, les gens écoutent plus qu’ils ne lisent». Nourri par cette tradition orale, Abdelmadjid Aït Oukas se dit inconditionnel de Lounis Aït Menguellet, de Slimane Azem ou encore de Farid Ferragui. Comme eux, il place le Mot au centre de sa démarche. Un mot qui console, instruit et résiste. Issu d’une famille modeste, il a grandi dans une région où la pauvreté matérielle n’a jamais éteint la richesse spirituelle. Chez lui, la parole a toujours été un bien précieux, une semence pour maintenir vivante une culture plusieurs fois séculaire. Mais la poésie n’a jamais nourri son homme. Abdelmadjid Aït Oukas est maçon de métier. Comme tant d’autres bâtisseurs, il a façonné des maisons de ses mains tout en sculptant des poèmes de son âme. Dans un métier rude, mal reconnu, il a trouvé une source de sagesse et d’humilité. «Je n’ai pas de retraite digne de ce nom, avoue-t-il. Mais j’ai encore des poèmes plein mes tiroirs. Ils attendent seulement les moyens financiers pour voir le jour». À travers son témoignage, c’est toute une génération d’artistes algériens que l’on entend : ceux qui créent dans l’ombre, sans soutien ni reconnaissance. L’industrie culturelle en Algérie peine à exister, tandis que les hommes d’affaires se détournent des poètes, des écrivains et des musiciens. Combien d’œuvres resteront ainsi confinées dans des cahiers, des tiroirs ou des mémoires, faute d’investissements ? Abdelmadjid Aït Oukas, lui, garde l’espoir de voir ses textes respirer à nouveau.
Malgré les obstacles, il continue de se produire, de participer aux festivals – comme celui de poésie d’Adrar N’Fad à Aït Smail – et de répondre aux invitations des maisons de la culture ou des médias, qu’ils soient locaux ou nationaux. Fidèle à sa vocation première : partager la parole, offrir des fragments d’humanité, préserver une tradition et en même temps l’ouvrir à l’universel. Le parcours de Dda Madjid est celui d’un homme simple, humble, mais profondément habité par le verbe. Ses mots, ses poèmes, sa voix rappellent qu’il existe encore, dans nos villages, des ciseleurs de beauté qui méritent d’être entendus. Soutenir Abdelmadjid Aït Oukas, c’est soutenir la mémoire vivante de la région et, au-delà, rappeler que la culture est le cœur battant d’une nation.
H. Z.