8 mai 1945 vu par Ferhat Abbas : C’était le jour du sadisme français
Figure nationaliste aux multiples facettes, Ferhat Abbas (1899-1985) brille, entre autres qualités, par son talent d’écriture et la profondeur de ses textes. Qu’il s’agisse de l’étudiant président de l’Association des étudiants musulmans de l’université d’Alger (1926), du dirigeant de parti, du rédacteur du Manifeste ou du président du GPRA, ou du président du GPRA, le […] The post 8 mai 1945 vu par Ferhat Abbas : C’était le jour du sadisme français appeared first on Le Jeune Indépendant.
Figure nationaliste aux multiples facettes, Ferhat Abbas (1899-1985) brille, entre autres qualités, par son talent d’écriture et la profondeur de ses textes. Qu’il s’agisse de l’étudiant président de l’Association des étudiants musulmans de l’université d’Alger (1926), du dirigeant de parti, du rédacteur du Manifeste ou du président du GPRA, ou du président du GPRA, le natif de Taher a toujours frappé par sa locution et la pertinence de ses écrits.
En attestent les discours prononcés, les éditoriaux et articles destinés à la presse du parti ou d’autres journaux et les livres publiés : sept dont un, « Demain se lèvera le jour », édité à titre posthume en 2010.
De tous ses textes, un s’attarde longuement sur les évènements du 8 mai 1945 : « La Nuit coloniale » (Julliard), livre sorti en librairie en août 1962 alors que l’Algérie, indépendante depuis quelques semaines, était en butte à la crise de l’été 1962. Quatrième texte de Abbas après « Le Jeune algérien » (Jeune Parque 1931), « Manifeste du Peuple algérien » (Libération 1943), « J’accuse l’Europe » (Libération 1944), « La Nuit coloniale » a ceci de singulier qu’il résonne comme un procès implacable contre la France coloniale.
Texte long de 233 pages, il a été achevé en septembre 1960, An VI de la Révolution algérienne pour paraphraser le sous-titre d’un titre cher à Frantz Fanon. Ferhat Abbas n’a pas cru devoir l’éditer à l’époque, soucieux, ce faisant, de se consacrer exclusivement à ses responsabilités cruciales à la tête du deuxième GPRA 18 janvier 1960-9 août 1961). Il avait apporté la touche finale au manuscrit en rédigeant l’introduction et la note au lecteur le 6 avril 1962, une vingtaine de jours après la signature des accords d’Evian (19 mars 1962) et l’entrée en vigueur du cessez-le-feu le lendemain à midi.
Responsabilité organique à la tête des AML oblige, Ferhat Abbas était en mars 1945 de fait le leader du mouvement national. Libéré au printemps 1943 de la prison de Lambèse, le chef du PPA, Messali Hadj, était en résidence surveillée à Boghari, puis à Ksar Chellala. C’est là où Abbas lui a rendu visite à deux reprises et a échangé avec lui. ‘’Messali approuvait mon action, mais en faisait certaines réserves. Il me fit confiance, sans toutefois engager sa responsabilité ; il comprenait très bien qu’il « fallait faire quelque chose ». Cependant, me dit-il, « si je te fais confiance pour la réalisation d’une République algérienne associée à la France, par contre, je ne fais pas du tout confiance à la France. La France ne te donnera rien. Elle ne cédera qu’à la force et ne donnera que ce qu’on lui arrachera ».
‘’Personnellement, j’avais confiance, écrit le pharmacien de Sétif en justifiant à postériori le sens de sa visite au gouvernement général le jour de la célébration de la fin de la guerre. La France issue de la résistance ne pouvait pas nous abandonner. Aux yeux de beaucoup d’amis, il était impensable que le peuple français, qui avait subi durant quatre longues années la domination hitlérienne, ne fît pas droit à nos légitimes aspirations’’. L’occupation ‘’avait préparé la France à recevoir des idées nouvelles. Je n’ignorais pas les difficultés et les résistances qu’il nous fallait vaincre – toujours les mêmes d’ailleurs. Pour cela, la mobilisation des masses était nécessaire. La chose me paraissait possible. Les ultras d’Algérie s’étaient compromis avec l’hitlérisme sous le régime de Vichy. Ils baissaient la tête. Les résistants français étaient au pouvoir. Partout, la liberté et la coopération pacifique s’installaient, dans l’égalité, entre anciennes colonies et anciennes métropoles. Pourquoi cette « révolution » par la loi ne serait-elle pas valable pour l’Algérie, la Tunisie et le Maroc ?’’.
Le 8 mai 1945, Ferhat Abbas avait rendez-vous à 10h30 au Gouvernement général (Alger). ‘’J’ai été arrêté avec le Dr Saâdane dans le salon d’attente du Gouverneur général. Nous étions là au nom des AML pour féliciter le représentant de la France de la victoire des Alliés. Mis au secret, je n’ai appris les évènements du Constantinois que deux semaines après’’. Abbas, 46 ans à l’époque, s’est vu notifier par le juge d’instruction militaire qu’il était inculpé d’atteinte à la souveraineté française. ‘’Puis, une seconde inculpation d’atteinte à la souveraineté intérieure de l’Etat me fut notifiée. Enfin, je devais répondre à une troisième inculpation, celle d’« atteinte à la souveraineté extérieure de l’Etat ». Je suis passé entre les mains de trois juges d’instruction militaires. J’ai été interné dans quatre prisons. Mon interrogatoire a consisté surtout à répondre aux objections que les autorités judiciaires faisaient du programme des AML. J’ai été assisté par Me Guinand. Malgré l’instruction faite aux avocats par le bâtonnier Groslière du barreau d’Alger de se constituer pour les Algériens, cet ami fidèle tint à assurer ma défense’’. Il a été libéré le 16 mars 1946 en vertu de la loi d’amnistie votée par la première Assemblée constituante.
En quittant en cette matinée du 8 mai 1945 le siège du Gouvernement général, entourés par les policiers, le siège Ferhat Abbas apprenait à ses dépens ‘’l’impossible « Révolution » par la Loi’’, comme il le rappellera, gras et lettres majuscules de rigueur, dans le titre du chapitre III de « La Nuit coloniale ». Fort de sa longue expérience politique et éclairé par les informations glanées, ici et là, dans le cadre des activités des AML, Ferhat Abbas redoutait cette sortie de guerre.
En avril 1945, rappelle-t-il, le préfet de Constantine, Lestrade Carbonnel, confessait au Dr Saâdane : « Des troubles vont se produire et un grand parti va être dissous ». De son côté, Abbo (conseiller général, président de la Fédération des maires d’Algérie et président de la Confédération générale des vignerons algériens, ndlr), ‘’ne cessait de répéter que des désordres allaient éclater et obliger le général de Gaulle à revenir sur ses réformes et à abroger son ordonnance du 7 mars’’ relative au relative au « statut des Français musulmans d’Algérie ».
‘’Moins de deux semaines après cet aveu, Sétif était le théâtre de troubles graves (…) Le régime est coutumier de ces crimes (…) Le « petit désordre » dont il a monté le scénario pour justifier la liquidation des AML et le retour en arrière s’est transformé en « grande émeute ».
Ainsi s’expliquent les évènements du 8 mai 1945 (…) Le 8 mai 1945 est un mardi. C’est le marché hebdomadaire. La ville de Sétif abrite, ce jour-là, entre cinq et quinze mille fellahs et commerçants venus des régions les plus éloignées (…) Les émeutes, particulièrement dans le Constantinois, furent sanglantes. Cent deux victimes parmi la population européenne.
En revanche, les Algériens furent massacrés par dizaines de milliers. Légionnaires, Sénégalais, Tabors marocains, sous le commandement du général Duval et du colonel Bourdilla, se ruèrent sur nos villages et nos douars et n’épargnèrent ni femmes ni enfants. Les colons, appuyés par la police et l’armée, se livrèrent à des violences indescriptibles, indignes d’un monde qui se dit civilisé (…) A Sétif, à Périgotville (Ain-El Kebira), à Kherrata, à Oued Marsa, à Guelma, à Bône (Annaba), les colons, groupés dans des milices, assouvissaient leur haine et fusillaient, par milliers, des jeunes après leur avoir infligé les pires tortures. La chasse à l’Arabe, comme au temps des Rovigo et des Saint-Arnaud, était revenue en honneur’’
Les AML furent dissous, ajoute Ferhat Abbas en détaillant la riposte répressive de la France coloniale. ‘’La loi martiale fut proclamée. Le croiseur Duguay-Trouin bombarda les douars des communes mixtes de Takitouni et de Oued Marsa. L’Administration procéda à des arrestations massives.
Les dirigeants et les militants des AML, du PPA, des syndicats ouvriers, des Oulémas et des Anciens combattants sont, les uns placés dans des camps de concentration, les autres traduits devant les tribunaux militaires. Messali est déporté en Afrique centrale. Une justice de race est rendue sans ménagement. A Constantine, des corps de fellahs exécutés sont transportés au cimetière et abandonnés, sans être inhumés.
L’Echo d’Alger écrit que, pour l’Afrique Nord, c’est l’heure du gendarme, tandis que les colons invitent le gouvernement à n’envisager provisoirement aucune solution aux problèmes de structures, politiques, administratives et sociales. Au Gouvernement général, pépinière de « fils à papa », où sur deux mille fonctionnaires on ne compte que huit musulmans, un tract circule. Les embusqués de la dernière guerre dont je connaissais les sentiments, retrouvent leur courage et arborent un air martial devant un peuple désarmé : En voilà assez ! L’opinion publique française demande l’exécution des meneurs, Ferhat Abbas en tête, la révocation du Gouverneur général et la nomination d’un gouverneur civil, d’origine algérienne’’, ironise le pharmacien en usant du style qu’il affectionne.
‘’Dans la lutte héroïque de notre peuple, une page sombre venait d’être écrite. Beaucoup de souffrances, beaucoup de sang, beaucoup de deuils. Mais aucun règlement raisonnable n’était intervenu. La citadelle coloniale, la Bastille algérienne, symbolisée par le Gouvernement général de l’Algérie, restait intacte’’.
Et le leader nationaliste d’insister, dénonciateur, sur le ‘’bain de sang’’ et la ‘’sanglante et aveugle répression’’(…) sous un gouvernement présidé par le général de Gaulle et auquel participaient des ministres appartenant aux partis politiques venus de la résistance française’’.
« La Nuit coloniale » n’étant qu’un ‘’essai sur la colonisation française en Algérie’’ écrit par un homme que les ‘’malheurs de notre pays’’ ont ‘’jeté dans l’arène politique’’, le leader des AML explique le sens de son exercice : ‘’Il ne m’appartient pas d’écrire l’Histoire. Mais je puis apporter un témoignage dépouillé de haine et situer certaines responsabilités. En particulier, je puis dire quelles furent celles des hommes qui ont présidé aux destinées de la France depuis une quarantaine d’années. En même temps, je dis aux jeunes de mon pays pourquoi nous en sommes arrivés à la révolte armée pour détruire le mythe de « l’Algérie française ».
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