8 mai 1945: Ce que révèlent les archives britanniques
Faut-il remercier à postériori Lionel Luca, l’ancien député UMP des Alpes-Maritimes, d’avoir suscité, voici une quinzaine d’années, la polémique sur la programmation de « Hors-la-loi » au Festival de Cannes. Sans l’avoir cherché ni voulu, il a été indirectement à l’origine de la médiatisation, en France, d’une matière digne d’intérêt : les évènements de Sétif vus par un […] The post 8 mai 1945: Ce que révèlent les archives britanniques appeared first on Le Jeune Indépendant.

Faut-il remercier à postériori Lionel Luca, l’ancien député UMP des Alpes-Maritimes, d’avoir suscité, voici une quinzaine d’années, la polémique sur la programmation de « Hors-la-loi » au Festival de Cannes. Sans l’avoir cherché ni voulu, il a été indirectement à l’origine de la médiatisation, en France, d’une matière digne d’intérêt : les évènements de Sétif vus par un diplomate britannique. Figure de la ‘’droite populaire’’, formule ‘’sémantiquement correct’’ qui désigne les rangs de la droite dure, Lionnel Luca a été, à l’époque, au premier rang d’une fronde contre le film de Rachid Bouchareb.
Prolongement d’ « Indigènes » — hommage appuyé aux tirailleurs algériens pour leur rôle décisif dans la défaire du nazisme et du fascisme –, « Hors-la-loi » a été sélectionné en compétition officielle de la 63e édition (12 au 23 mai 2010). Il n’en fallait pas plus pour que Lionnel Luca, un des relais politiques de la ‘’nostAlgérie’’ coloniale, lance une croisade contre le film.
En octobre 2009, Lionnel Luca a lu dans Valeurs actuelles – tribune médiatique de la droite ‘’décomplexée’’ et de l’extrême droite — que Rachid Bouchareb préparait un film dont une partie était dédié aux évènements sanglants de Sétif. ‘’Ma crainte fut alors que le film représente la France à Cannes, expliquait le député au journal Le Monde à la veille de l’ouverture de la 63e édition. J’ai lu d’autres déclarations de Bouchareb disant qu’il allait rétablir la vérité. Mais quelle vérité ? La répression des Algériens a sans doute été disproportionnée. Mais le 8 mai 1945, c’est d’abord le massacre des Européens’’, ajoutait-il résolument révisionniste. Le député protestait, courroucé, contre une fiction d’une durée de 2h 15 qui revisite la tragédie de Sétif le temps de six petites minutes.
Poste rédactionnel avancé sur le front de la ‘’nostalgérie’’ médiatique, Valeurs actuelles a mobilisé à l’époque ses pages pour donner écho à Lionnel Luca et à d’autres voix similaires comme ‘’Vérité Histoire – Cannes 2010’’, un collectif lancé au pied levé. Ce collectif avait surgi une première fois via un site internet proche de l’extrême droite en lançant un appel pour une manifestation du côté de la Croisette. Entre autres mots d’ordre émaillant l’appel : ‘’pourrir’’ le Festival.
Quatre mois plus tard, alors que ‘’la projection a passé’’ et la ‘’polémique a fait pschitt’’, l’hebdomadaire Le Point avait prolongé le débat en suscitant des lectures contrastées. Outre un article à charge – ‘’La bombe « Hors-la-loi »’’ –, l’hebdomadaire, qui n’était pas encore ce qu’il est devenu aujourd’hui dans son rapport à l’Algérie, a publié « Sétif, les archives inédites », une contribution signée François Malye et Kathryn Hadley.
Le premier est un journaliste maison en charge des sujets d’investigation et des thématiques d’histoire. Auteur prolifique de livres d’histoire, il avait cosigné en 2010 avec l’historien Benjamin Stora « François Mitterrand et la guerre d’Algérie » (Calmann-Lévy). Britannique, agrégée d’histoire à l’université d’Oxford –, la seconde travaille pour History Today, le plus grand et le plus ancien magazine d’histoire britannique. C’est es-qualité qu’ils ont été sollicités par le magazine pour une contribution sur les évènements de Sétif vus par les diplomates du Foreign Office. François Malye et Kathryn Hadley mettaient à l’époque la dernière touche à livre intitulé « Dans le secret des archives britanniques’’.
Publié deux années plus tard chez Calmann-Lévy, le livre est un voyage dans ‘’l’histoire de France vue par les Anglais entre 1940 et 1981’’. Pendant des années, les deux auteurs se sont livrés à une plongée dans les archives britanniques : des milliers de notes et de télégrammes signés par les ambassadeurs, conseillers diplomatiques et autres agents secrets britanniques en poste aux quatre coins du monde. Cette littérature diplomatique et sécuritaire relate, ‘’au jour le jour’’, l’actualité française dont celle des colonies.
Tout au long de leur plongée dans les fonds de ‘’National Archives’’ –les Archives nationales britanniques –, François Malye et Kathryn Hadley ont examiné une multitude de ‘’documents inédits’’, insiste l’éditeur. Cette plongée dans la correspondance diplomatique British permet ‘’pour la première fois’’, constatent les deux auteurs, de ‘’porter un autre regard sur épisode capital de l’histoire franco-algérienne’’.
Parmi les documents rencontrés et examinés par les auteurs du livre, les correspondances signées John Carvell, consul général britannique à Alger. Le diplomate en charge des affaires consulaires ‘’câble’’ une somme de rapports qu’il destine à la fois à l’ambassadeur à Paris, Duff Cooper, et au Foreign Office – siège du ministère des Affaires étrangères à Londres – duquel il dépend hiérarchiquement.
Un policier français a perdu la tête
Dans une note manuscrite datée du 23 mai 1945, le consul général britannique se livre à un rapport de synthèse. Le document – les éléments de langage en témoignent — se veut un premier éclairage sur ce qui s’est passé. Le diplomate évoque une ‘’révolte’’ – c’est son mot – et en série les ‘’causes’’ en usant d’un ton accusateur. Verbatim : ‘’un policier français a perdu la tête. Je suis certain qu’autant de sang n’aurait pas coulé si les militaires français n’avaient pas été aussi impatients de perpétrer un massacre’’. Et le premier représentant du Foreign Office en Algérie d’ajouter : ‘’la capacité administrative française a été fortement mise à l’épreuve et s’en est plutôt mal tirée (…) Les Français ne savent pas gérer des troubles indigènes’’, allusion à l’usage de la force et de la répression sanglante.
Selon François Malye et Kathryn Hadley, le rapport du consul général en Adate du 23 mai 1945 s’appuie sur des renseignements aux sources diverses : autorités militaires britanniques et sources non officielles du gouvernement français. Quand il parle de la manifestation des Algériens pour célébrer la fin de la guerre, le consul général évoque un cortège ‘’très discipliné’’ et des manifestants algériens ‘’sans armes’’, preuve que les recommandations et instructions des organisateurs — Amis du Manifeste et de la Liberté et PPA clandestin – ont été respectées. ‘’Quand le cortège, très discipliné et sous le contrôle de la police, arriva en face du bureau de la compagnie A du 44e bataillon de l’armée de l’air sud-africaine, un policier essaya de s’emparer de la banderole où on lisait « Libérez Messali Hadj ».
Une bagarre éclata alors, un policier sortit son revolver et tua un indigène. D’autres coups de feu furent tirés, et par la police et par des civils français qui regardaient le défilé depuis leur balcon ». Le consul général confirme, ici, ce que les historiens souligneront, bien plus tard, dans leurs travaux : l’existence de milices armées. ‘’Un désordre indescriptible s’ensuivit ; une fusillade entre Français et indigènes, sans distinction ; les indigènes qui n’avaient pas d’armes empoignèrent des chaises et tout ce qui leur tombait sous la main, les gens se faisaient attaquer quelles que soient leur race, leur couleur, leur croyance’’.
Une autre note diplomatique, antérieure celle-là, révèle que les troubles de l’Est algérien étaient prévisibles aux yeux des représentants du Foreign Office. Le 9 février 1945, trois mois presque jour pour jour avant le début de la répression et le déchainement des violences, le consul général John Carvell ‘’câble ‘’ la chancellerie à Paris et le siège à Londres.
François Malye et Kathryn Hadley ont lu et relu le contenu de l’envoi. Le consul général affirmait qu’il y aura troubles ‘’dès que les troupes britanniques et américaines quitteront le territoire algérien’’. Le diplomate britannique en poste à Alger, précisent les deux journalistes, accompagne sa note d’un rapport rédigé par un officier du renseignement militaire américain.
Paraphrasé par les deux auteurs, le rapport du 9 février 1945 décrit l’activisme nationaliste algérien et pointe les raisons et facteurs qui nourrissent l’agitation sur fond de conflit mondial et ses retombées sur les populations : situation socio-économique des indigènes, attitude des colons, manque d’éducation, de soins médicaux, de nourriture et de vêtements, développement d’un marché noir qui a bouleversé l’économie et amplifié le manque de main-d’œuvre.
‘’L’une des causes principales du développement du mouvement nationaliste est que la population arabe souffre d’exploitation et de discrimination (…) Le point de vue français est, dans l’ensemble, que les Arabes sont une race inférieure dont les habitudes ne justifient pas l’application de normes européennes dans les affaires gouvernementales ou économiques’’. En conclusion, le consul général John Carvell constate l’existence d’un ‘’réel mécontentement parmi la population musulmane dans toute l’Algérie’’. Et avertit qu’’’il y aura des troubles mineurs résultant de ce mécontentement au cours des prochains mois’’.
‘’les autorités françaises prirent immédiatement de fortes contre-mesures, essentiellement sous forme de mitraillages et de bombardements (…) Des observations aériennes révèlent que des villages entiers furent détruits’’, écrit le consul général dans une de ses notes. Près de 300 sorties aériennes auraient eu lieu. ‘’Le gouverneur général m’a dit que le nombre de tués se situait entre 900 et 1 000, mais les autorités médicales françaises estiment qu’il y a au moins 6 000 tués et 14 000 blessés. D’autres estimations sont beaucoup plus élevées (…) Les chiffres exacts ne seront jamais connus’’, dit John Carvell, une manière de dire que les bilans officiels sont loin de la réalité.
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