Entre démarches discrètes et négociations secrètes : Enjeux d’une nationalisation réussie
L’idéal libérateur et de justice du mouvement national a trouvé son écho dans la nationalisation par l’Algérie indépendante de ses richesses pétrolières et gazières. Ce processus stratégique qui a mis aux prises, neuf ans seulement après le recouvrement de sa souveraineté nationale, l’Algérie face à l’ancien colonisateur, la France, a permis aux autorités algériennes de […] The post Entre démarches discrètes et négociations secrètes : Enjeux d’une nationalisation réussie appeared first on Le Jeune Indépendant.
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L’idéal libérateur et de justice du mouvement national a trouvé son écho dans la nationalisation par l’Algérie indépendante de ses richesses pétrolières et gazières. Ce processus stratégique qui a mis aux prises, neuf ans seulement après le recouvrement de sa souveraineté nationale, l’Algérie face à l’ancien colonisateur, la France, a permis aux autorités algériennes de réussir l’exploit de s’affirmer en maitre de ses richesses, donc de sa destinée, là où vingt années plus tôt, le Premier ministre iranien Mohamed Mossadagh, a échoué.
Il faut dire que l’histoire de la nationalisation du 24 février 1971 est digne d’un polar à suspens et des grands coups de maîtres échiquiers. C’était une stratégie savamment étudiée et appliquée par le président Houari Boumediene et une poignée de responsables, dont le ministre des hydrocarbures de l’époque Belaïd Abdesselam et le PDG de la Sonatrach, Sid Ahmed Ghozali.
Dans le contexte de l’époque, alors qu’Algériens et Français négociaient sur le pétrole algérien, en novembre-décembre 1970 par le truchement du chef de la diplomatie algérienne Abdelaziz Bouteflika et le ministre français du Développement industriel et scientifique, François-Xavier Ortoli. Très peu de personnes savaient que l’Algérie allait prendre une décision historique aux répercussions stratégiques.
En ces temps de Guerre froide, et après la rupture des relations diplomatiques entre Alger et Washington, personne ne pouvait imaginer un changement de cap énergétique qui allait être opéré par l’Algérie au profit des pétroliers américains, au détriment des entreprises françaises. C’est donc entre secret et discrétion que les Algériens ont su manœuvrer pour mettre l’ancienne puissance coloniale devant le fait accompli.
Déjà, la nationalisation du secteur minier le 6 mai 1966 allait donner le ton. Le gouvernement algérien entend ainsi se défaire des dispositions des accords d’Evian pour gagner davantage de souveraineté sur les richesses du pays. L’heure est au développement tous azimuts et nulle entrave ne devait se mettre sur le chemin de l’Algérie indépendante, surtout pas la France, qui en 1971 a connu une poussée xénophobe anti-algérienne qui s’est manifestée à travers des attentats contre des consulats algériens en France.
Gagner davantage de souveraineté
Très discrètement, Algériens et Américains allaient s’entendre sur un minimum syndical pour pouvoir renouer le dialogue technique, énergétique et financier par l’entremise de Messaoud Zeghar, personnage de légende qui avait ses entrées jusque dans la Maison Blanche.
En novembre 1970, la machine s’accélère. Le 2 novembre est annoncée la signature d’un accord portant sur le rachat par la Sonatrach de l’actif de la société américaine Sinclair.
Cinq jours plus tard, le 7 novembre, la Sonatrach demande officiellement à l’administration américaine d’autoriser le programme d’importation à long terme de gaz naturel algérien. Le 12 novembre l’annonce est faite sur la nationalisation à l’amiable des intérêts des sociétés pétrolières américaines Mobil Oil (exploitation) et Newmont Overseas.
En parallèle, et le même jour, un contrat est signé entre la Sonatrach et le ministère espagnol du Commerce. L’Espagne importera au cours des quatre prochaines années 10 millions de tonnes de pétrole brut.
Le 18 novembre, un accord d’indemnisation des intérêts du groupe Royal Dutch Shell est annoncé par la presse algérienne. Dix jours plus tard, le quotidien « El Moudjahid », annonce la signature récente de deux accords conclus entre la Sonatrach, Shell et Mobil et portant sur la fourniture de pétrole brut algérien.
Entre le 02 et le 11 décembre 1970, le PDG de la Sonatrach, Sid Ahmed Ghozali séjourne aux Etats-Unis. Au menu, démarcher auprès de la Commission fédérale de l’énergie qui doit statuer sur les importations de gaz naturel liquéfié algérien.
En plus des contacts avec la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, BIRD, et la signature le 9 d’un prêt accordé à la Sonatrach par la Banque Manufacturers Hanover Trust Company (5 millions de dollars sans garantie) pour l’achat d’équipement géophysique.
Les événements vont s’accélérer après la visite du président Boumediene en Libye les 26 et30 décembre 1970. Il fallait protéger ses arrières contre d’éventuelles représailles de la part de la France. Financièrement, la Libye de Mouamar Kadhafi allait renflouer les caisses de la banque centrale d’Algérie pour éviter de mauvaises surprises. En retour, une délégation du ministère libyen du pétrole a séjourné à Alger les 1er et 5 janvier 1971.
Le 12 janvier 1971, un contrat est signé entre la Sonatrach et l’américain EI Paso qui, conformément au protocole conclu en octobre 1970, prévoit l’importation par les Etats-Unis de 5 milliards de m3 par an de gaz naturel liquéfié.
La visite les 12-18 janvier du commandant Abdesselam Djalloud, vice-président du Conseil des ministres libyen à Annaba et à Arzew a abouti à la création d’une société mixte pour le transport des hydrocarbures.
Un processus inéluctable
Le 02 février, dans un discours, le président Boumediene insiste sur l’appartenance du pétrole à l’Algérie. Le même jour, sont publiés au Journal officiel les deux décrets portant indemnisation des intérêts détenus en Algérie par Mobil et Shell. Dans un autre discours, le 19 février, le président algérien revient à la charge et déclare devant les cadres de l’Armée de l’air : « le contrôle authentique de nos richesses est un processus inéluctable ».
Le 23 février, « El Moudjahid » publie une série d’articles sous l’intitulé : « Les visées pétrolières françaises en Algérie à travers l’évolution des institutions et des textes ». Le ton est donné, et la rupture avec la France est imminente.
C’est effectif le 24 février. Le président Boumediene annonce que l’Algérie prend le contrôle de sociétés pétrolières françaises et nationalise les gisements de gaz naturel et les moyens de transport terrestre des hydrocarbures. Le président Boumediene propose au même moment l’ouverture de négociations immédiates pour fixer l’indemnisation des sociétés, réexaminer les structures des sociétés et étudier le reste du contentieux franco-algérien.
Cette chronologie non exhaustive des événements ne prend pas en considération un aspect des plus épiques de cette affaire, celle du sulfureux Rachid Tabti, maître espion qui a pu infiltrer les hautes sphères politiques françaises et avoir les plans français dans leurs négociations avec les autorités algériennes sur la question du pétrole.
Nous l’avons vu, deux options s’étaient offertes aux Algériens, se ménager la bienveillance des Américains et débusquer les Français. Pour Ahmed Mechraoui, expert pétrolier et ancien vice-président de Sonatrach, « le travail de coulisses a abouti à deux choses, la neutralité des États-Unis dans cette affaire et ce qu’a ramené Rachid Tabti comme informations et documents qui ont permis aux négociateurs algériens d’avoir toujours une avance sur les autres ».
Telle est l’histoire d’une nationalisation pas comme les autres qui a non seulement permis aux Algériens de rentrer dans la cour des Grands, mais aussi de garantir la pérennité des nationalisations qui allaient suivre, celles de Libye et d’Irak, notamment.
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