Farah Acid, présidente de la Fondation Elias pour l’autisme, au Jeune Indépendant : «Isoler les enfants autistes c’est nier leurs capacités» 

En Algérie, la question de l’autisme bénéficie d’une visibilité croissante, mais les défis restent immenses, tant pour les familles que pour les institutions. Farah Acid, présidente de la Fondation Elias pour l’autisme et porte-parole du Collectif des associations algériennes pour le handicap, fait partie des voix les plus engagées sur ce front. Militante infatigable, elle […] The post Farah Acid, présidente de la Fondation Elias pour l’autisme, au Jeune Indépendant : «Isoler les enfants autistes c’est nier leurs capacités»  appeared first on Le Jeune Indépendant.

Juin 8, 2025 - 18:58
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Farah Acid, présidente de la Fondation Elias pour l’autisme, au Jeune Indépendant :  «Isoler les enfants autistes c’est nier leurs capacités» 

En Algérie, la question de l’autisme bénéficie d’une visibilité croissante, mais les défis restent immenses, tant pour les familles que pour les institutions. Farah Acid, présidente de la Fondation Elias pour l’autisme et porte-parole du Collectif des associations algériennes pour le handicap, fait partie des voix les plus engagées sur ce front. Militante infatigable, elle œuvre depuis plusieurs années pour la reconnaissance des droits des personnes autistes et leur inclusion pleine et entière dans la société.

A travers des actions de terrain, des campagnes de sensibilisation et un plaidoyer constant auprès des pouvoirs publics, elle alerte sur l’urgence d’un changement structurel. Dans cet entretien accordé au Jeune Indépendant, elle dresse un état des lieux sans détour : absence de statistiques fiables, inclusion scolaire encore balbutiante, diagnostic précoce inexistant… Mais aussi des signaux positifs et des initiatives porteuses d’espoir. Elle plaide pour une approche globale, humaine et fondée sur les droits constitutionnels, loin des réponses ponctuelles et des discours déconnectés de la réalité des familles.

Le Jeune Indépendant : Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le niveau de sensibilisation à l’autisme en Algérie, tant du côté du grand public que des institutions ?

Farah Acid : Grâce à l’engagement constant du président de la République en faveur de cette cause, ainsi qu’aux campagnes de sensibilisation menées tout au long de l’année par la Fondation, la conscience autour de l’autisme progresse visiblement en Algérie. Cette dynamique a permis de réduire certains préjugés et d’accroître la visibilité du trouble, même si des lacunes importantes en matière d’information subsistent.

Il reste, en effet, beaucoup à faire pour améliorer la qualité de la couverture médiatique, qui gagnerait à être plus respectueuse, précise et fondée sur des faits. De nombreuses familles, notamment dans les régions éloignées, peinent encore à accéder à des sources fiables.

Ce manque d’information ouvre la voie aux idées reçues et aux fausses croyances : certaines attribuent encore l’autisme à des causes non scientifiques — comme les vaccins, l’alimentation, les écrans ou même une punition divine — ou se tournent vers des « pseudo-traitements » sans fondement, retardant ainsi une prise en charge adéquate et aggravant la détresse des familles.

Du côté institutionnel, l’autisme est de plus en plus reconnu comme un véritable enjeu de santé publique. Le lancement en 2021 du site officiel d’information sur l’autisme (autisme.sante.gov.dz) ainsi que la relance du projet de Plan national pour l’autisme 2025-2029 illustrent une volonté politique de structurer la réponse à cette problématique.

Des efforts ont été amorcés, notamment avec une tentative de recrutement d’auxiliaires de vie scolaire (AVS) en 2023. Mais le chemin reste long, et les choix stratégiques à venir seront décisifs. Nous sommes pleinement disposés à mettre notre expertise au service du pays pour contribuer à la mise en œuvre d’actions concrètes et durables sur le terrain.

 

Quelles sont, selon vous, les principales difficultés que rencontrent aujourd’hui les familles d’enfants autistes au quotidien ?

Malgré les progrès récents et la reconnaissance officielle de l’autisme, la réalité sur le terrain reste difficile pour les familles de personnes avec autisme sans évoquer celles avec des troubles similaires du neuro-développement qu’on oublie souvent, comme les hyperactifs, les dyslexiques, etc. Elles sont confrontées à une multitude de défis quotidiens, qui touchent à tous les aspects de leur vie.

Cela revient à ce que nous avons évoqué précédemment, notamment les diagnostics tardifs et un personnel pas assez qualifié. Ajoutez à cela une prise en charge hétérogène non consensuelle, souvent laissée aux associations ou au secteur privé. Ces familles se retrouvent à supporter des coûts importants pour les soins et des thérapies non réglementées.

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La réalité du terrain reste difficile

Enfin, l’inclusion pleine et entière des enfants autistes dans le système éducatif est un objectif qui nous paraît de plus en plus difficile à atteindre. Combattre les barrières à l’inclusion et la persistance de l’ignorance et de la stigmatisation à leur égard est un défi que nous prenons très au sérieux.

 

Quelles sont aujourd’hui les possibilités de scolarisation pour un enfant autiste en Algérie ?

La scolarisation des enfants autistes reste irrégulière et semée d’obstacles. Si l’inclusion en classe ordinaire s’avère généralement bénéfique une fois mise en place, elle est freinée par des programmes scolaires inadaptés et le manque d’auxiliaires de vie scolaire (AVS), souvent à la charge des familles. L’un des blocages les plus critiques survient lors des examens nationaux, où les AVS sont interdits d’accès pour des raisons de sécurité et de réglementation, mettant ainsi en péril les chances de réussite de ces élèves.

Le ministère de l’Education nationale interdit l’accès aux AVS, invoquant des risques de triche et des règles interdisant la présence de personnes étrangères au personnel pédagogique, ce qui nuit gravement à leur évolution scolaire. Pourtant, les AVS sont essentielles pour aider les élèves autistes à gérer le stress et à comprendre les consignes, surtout en situation de stress et dans un environnement d’examen inhabituel.

Par ailleurs, les classes spéciales intégrées aux écoles manquent d’adaptation concrète et n’offrent pas de réelle continuité au-delà du primaire. Quant aux centres psychopédagogiques (CPP), conçus pour les handicaps mentaux sévères, ils ne sont ni pleinement adaptés aux besoins des enfants autistes ni équitablement répartis sur le territoire. Ces constats plaident en faveur d’une réforme éducative ambitieuse, inclusive et cohérente, pour garantir à tous les enfants une chance équitable de réussir.

 

L’école algérienne est-elle prête à accueillir ces enfants ? Y a-t-il une vraie politique d’inclusion ?

D’abord, demandons-nous si l’école garantit un environnement d’apprentissage optimal et adapté aux enjeux contemporains pour les enfants en général. Concernant les enfants autistes, les déclarations récentes du président de la République soulignent la priorité donnée à l’autisme et la nécessité d’adapter les organismes aux exigences internationales.

Et bien qu’il y ait eu une politique d’inclusion scolaire en milieu ordinaire entre 2019 et 2023, avec l’autorisation des proches à être auxiliaires scolaires de leurs enfants, ainsi que des circulaires et des directives qui en témoignent, nous déplorons le manque de continuité et le manque d’une véritable culture de l’inclusion au sein de l’éducation.

Force est de constater que l’école algérienne doit d’abord relever des défis multidimensionnels, allant de la refonte pédagogique à l’amélioration de la gouvernance, en passant par le renforcement des compétences, l’intégration des technologies et la garantie d’une équité d’accès et de qualité pour tous les élèves sans exception. Grâce à l’attachement personnel du président de la République à la cause de l’autisme et ses instructions récurrentes au gouvernement de trouver des mécanismes adéquats, nous gardons foi en l’avenir.

 

Les familles d’enfants autistes ont-elles le sentiment d’être soutenues par les pouvoirs publics, ou se sentent-elles plutôt livrées à elles-mêmes ?

A l’image de toutes les personnes vivant avec des troubles du neuro-développement dans le monde, en particulier où la prise en charge n’est pas structurée, les familles, désemparées, doivent gérer seules des troubles aussi complexes. Par ailleurs, il convient de noter que le niveau d’instruction des parents, qui se sont vu combiner éducation et prise en charge, a un impact significatif et multifactoriel permettant d’obtenir de très bons résultats avec leurs enfants, même s’ils se heurtent aux mêmes problèmes structurels que tous les autres parents.

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Adopter une approche collective

Les coûts exorbitants, le manque d’aide humaine et technique et le refus d’inclusion les poussent à faire des sacrifices, où l’un des parents doit cesser de travailler, ce qui est économiquement pénalisant. Tout ceci sans pouvoir se projeter dans l’avenir.

Ce qui mine malheureusement la cohésion sociale. C’est pourquoi il est urgent d’adopter une approche coordonnée et globale, impliquant différents acteurs, une vision planifiée et fondée sur les droits humains et nos principes constitutionnels d’inclusion qui veillent à la non-discrimination, à l’égalité des chances et à la justice sociale.

 

Quel type d’accompagnement proposez-vous aux familles au sein de la Fondation Elias pour l’autisme ?

La Fondation Elias pour l’autisme est un organisme national et patriote qui vise à promouvoir et à contribuer à l’amélioration du statut des personnes et des enfants avec autisme, et ce tout en veillant à servir l’intérêt général (scientifique, légal, éducatif, social, culturel, etc.). Aussi, avec l’aide de nos partenaires, pour servir au mieux la cause de l’inclusion, la fondation travaille également à faciliter l’accès des personnes avec autisme à l’éducation, à la santé, aux activités culturelles et sportives, gratuitement, auprès d’autres enfants sans troubles, dans des conditions ordinaires.

Par exemple, nous allons organiser un événement sans précédent en partenariat avec la Fédération algérienne de golf. Comme chaque année, un championnat national officiel est organisé pour les enfants de l’Académie de golf où les enfants autistes sont inclus sans conditions, avec les encouragements du ministère des Sports. Mais la nouveauté pour cette année, afin de donner plus de joie aux enfants et aux familles, nous allons organiser également, le même jour, un tournoi pour les parents d’enfants autistes le 21 juin 2025 au club de golf de Dély Brahim. Nous veillons toujours à générer une dynamique positive en mettant en exergue les réussites de ces êtres extraordinaires et ainsi que leurs points forts, qui sont indéniablement remarquables.

 

Quelles sont, selon vous, les priorités urgentes pour améliorer la prise en charge de l’autisme ?

Les solutions ne doivent pas être imposées sans débat national participatif et transparent, et sans prendre en compte les principes d’inclusion en milieu ordinaire et les droits humains fondamentaux des enfants quels qu’ils soient. Il est impératif de garantir l’égalité des chances en matière d’instruction, de santé et de divertissement, afin de leur assurer un minimum d’autonomie et de participation sociale à l’âge adulte.

L’urgence consiste à améliorer les diagnostics précoces afin de déterminer avec précision les types de trouble, avant de statuer sur la prise en charge et les besoins d’inclusion. Il faut aussi mettre en pratique les plans nationaux de l’enfance et des personnes avec troubles du neuro-développement. Nous croyons fermement qu’une politique nationale inédite, structurée, multidimensionnelle et inclusive est possible.

Un accompagnement renforcé des familles, une meilleure sensibilisation de la société et un plaidoyer actif auprès des décideurs sont indispensables. Car l’inclusion véritable ne peut se faire sans engagement collectif, ni sans un environnement social accueillant et diversifié. Isoler ces enfants dans des structures spécialisées revient à nier leurs capacités et à méconnaître leurs besoins réels. Nous croyons qu’une politique nationale ambitieuse, structurée et inclusive est non seulement possible, mais nécessaire.

 

 

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