Non, je n’ai pas oublié les enfants de Gaza… et vous, sieur Enrico Macias ?
Une contribution du Dr A. Boumezrag – Chronique d’un printemps où les bombes chantent plus fort que les artistes, par... L’article Non, je n’ai pas oublié les enfants de Gaza… et vous, sieur Enrico Macias ? est apparu en premier sur Algérie Patriotique.

Une contribution du Dr A. Boumezrag – Chronique d’un printemps où les bombes chantent plus fort que les artistes, par un chroniqueur qui ne sait plus s’il doit pleurer ou vomir.
Non, je n’ai pas oublié.
Je n’ai pas oublié Amal, 6 ans, morte dans son lit sous un toit devenu poussière.
Ni Rami, 9 ans, qui voulait devenir footballeur et a fini sous les décombres d’une école «ciblée avec précision».
Je n’ai pas oublié Noor, 4 ans, fauchée entre une crèche et un missile à guidage moral.
Je n’ai pas oublié ces enfants, pas parce qu’ils me ressemblent, pas parce qu’ils sont «de mon camp», mais parce qu’ils étaient vivants. Et que maintenant, ils ne le sont plus.
Et vous, sieur Enrico Macias ?
Vous qui avez tant chanté la paix, l’amour, la fraternité des peuples, les douleurs de l’exil, la mémoire d’un monde en souffrance. Vous qui êtes monté sur toutes les scènes du cœur avec la main sur le cœur. Vous qui avez pleuré en musique sur les douleurs de votre peuple, de vos frères, de vos ancêtres.
Où est votre chanson pour Gaza, sieur Macias ?
Où est votre voix quand ce sont d’autres enfants qui tombent ?
Pas ceux d’Auschwitz – que vous honorez, à juste titre – mais ceux de Rafah, de Beit Lahia, de Khan Younès ?
Pas ceux des pogroms de l’histoire, mais ceux de la technologie de guerre, version 2025, livrée en direct sur nos téléphones.
Est-ce que leur mort manque de musicalité ?
Est-ce que leur silence gêne l’accord de votre guitare ?
Est-ce que leur drame n’entre pas dans la tonalité de votre indignation ?
Ou est-ce qu’ils sont simplement du mauvais bord de la mémoire acceptable ?
Parce qu’il faut le dire clairement : Gaza est le grand test de nos boussoles morales. Et vous, comme beaucoup, semblez avoir la vôtre bloquée sur nord stratégique.
On pleure là où la carte diplomatique l’autorise.
On compose pour les victimes quand elles sont compatibles avec les agendas.
Mais pour les enfants de Gaza ? Rien.
Pas un vers.
Pas une note.
Pas même un soupir.
Vous êtes libre, bien sûr, de ne pas chanter.
Mais alors, ayez la décence de ne plus parler de paix.
Parce que la paix sans justice, c’est juste une chanson commerciale.
Et le silence face à l’injustice, c’est déjà une prise de position.
Ton sur ton
Alors non, moi je ne les ai pas oubliés, les enfants de Gaza.
Ils ne sont pas des chiffres, ni des erreurs de tir.
Ils ne sont pas des dommages collatéraux ou des pertes acceptables.
Ils sont nos enfants aussi, sieur Macias, si tant est qu’on se dise encore «frères humains».
Et pour finir, une citation pour vous, Maestro du silence sélectif : «On reconnaît un artiste engagé à ce qu’il ose chanter quand les projecteurs sont éteints. Vous, sieur Macias, vous attendez toujours qu’ils soient bien orientés.»
Peut-être préparez-vous une chanson, sieur Macias.
Une ballade douce, en sol mineur, avec oud et violon, dédiée à ces enfants dont on ne prononce même plus les prénoms sur les plateaux télé. Une chanson avec des mots justes, calibrés, «non-polémique», prête à être validée par les cellules de communication ministérielles et les maisons de disques frileuses.
Mais permettez-moi d’en douter.
Car chanter Gaza aujourd’hui, c’est se mettre en danger – pas physiquement, non.
Mais socialement.
Médiatiquement.
Symboliquement.
Chanter Gaza, c’est se faire immédiatement cataloguer.
C’est perdre des invitations, des cachets, des tribunes.
C’est risquer d’être accusé de «prendre parti», comme si pleurer un enfant tué par une bombe nécessitait d’adhérer à une idéologie.
C’est ça, le cynisme ultime de notre époque, sieur Macias.
Pleurer n’est plus un réflexe humain. C’est devenu un choix politique.
Le rôle de l’artiste
On attendait de vous une chanson. Pas une prise d’otage idéologique. Pas un programme électoral. Juste une voix. Une émotion. Un refus du massacre. Un petit élan d’humanité.
Mais, visiblement, la mort de certains enfants n’inspire pas les muses.
Elles doivent être en congé. Ou sous embargo.
Pendant ce temps, dans ce printemps 2025, les drones survolent les ruines, les corps sont extraits à la pelle et les journalistes comptent les morts comme on compte les points d’un match diplomatique.
Les gouvernements s’indignent en sourdine.
Les institutions humanitaires se noient sous les rapports que plus personne ne lit.
Et vous, sieur Macias, vous composez peut-être un nouvel album : «Les silences que j’ai choisi.»
Douze titres, tous parfaitement inoffensifs.
Aucun ne froisse une ambassade.
Dernière pique : un jour, peut-être, un enfant de Gaza sera assez célèbre pour mériter une chanson. En attendant, il peut toujours rêver. S’il lui reste un toit. Et des poumons.
Post-scriptum sincère
A tous les artistes qui ont osé chanter ce qui fait mal, ce qui dérange, ce qui n’est pas rentable : merci.
Votre courage, c’est ce qui sauve encore un peu l’honneur de la musique.
Quant aux autres…
Chantez vos refrains creux. Le silence, lui, s’occupera du reste.
Si l’on reste silencieux, alors ce sera le silence des cimetières.
Un silence lourd, glacial, ce silence qui suit les bombes, les cris, les pleurs étouffés.
Un silence où les voix des enfants disparus deviennent des échos sourds que personne ne veut entendre.
Un silence complice, où l’indifférence s’installe en maîtresse des lieux.
Le silence des cimetières n’est pas un vide.
C’est un poids.
Un cri étouffé.
Un refus de voir, d’entendre, de pleurer.
Et ce silence, sieur Macias, ce silence, nous ne pouvons pas le chanter.
Parce qu’il est le contraire même de la musique, le contraire même de la vie.
Si vous, artistes, gardez le silence, alors qui chantera ces enfants ?
Qui pleurera ces enfants ?
Qui se souviendra de ces enfants ?
Ne laissons pas le silence devenir leur tombeau invisible.
Car, au bout du compte, quand les projecteurs s’éteindront, il ne restera que ce silence.
Et ce silence, c’est la mort sans chanson.
A. B.
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