Opinion/Tourisme en Algérie Trop bons, trop perdants ?
L’hospitalité fait partie de l’ADN des Algériens. Elle est transmise comme un héritage sacré, portée par des siècles de culture amazighe, arabo-musulmane et méditerranéenne. Offrir le café, partager le pain, insister pour payer la note à l’étranger de passage : tout cela n’est pas appris, c’est instinctif. Mais à l’heure où le monde entier considère […]

L’hospitalité fait partie de l’ADN des Algériens. Elle est transmise comme un héritage sacré, portée par des siècles de culture amazighe, arabo-musulmane et méditerranéenne. Offrir le café, partager le pain, insister pour payer la note à l’étranger de passage : tout cela n’est pas appris, c’est instinctif. Mais à l’heure où le monde entier considère le tourisme comme une industrie, l’attitude algérienne soulève une question brûlante : sommes-nous trop généreux ? Et jusqu’à quand pourrons-nous nous le permettre ?
Car ce qu’on appelle ici hospitalité, d’autres le nomment ailleurs service touristique rémunéré. Là où, dans la plupart des pays, chaque conseil, chaque bouteille d’eau, chaque détour se paie, en Algérie on invite, on offre, on conduit, on héberge… souvent sans rien demander en retour. Par fierté, par culture, par pudeur. Le visiteur est un hôte, presque un frère. C’est noble. C’est beau. Mais cela a un prix. À force de considérer que l’étranger est «comme un membre de la famille», nous oublions que le tourisme, dans le reste du monde, repose sur un principe économique clair : toute expérience se monnaye. Ce que les autres appellent professionnalisation, nous l’assimilons encore trop souvent à du mercantilisme déplacé. Et c’est là que réside notre paradoxe : nous voulons que le tourisme prenne son envol, mais nous refusons de lui appliquer les logiques du monde moderne. Résultat : des guides bénévoles, des randonnées gratuites, des repas offerts, des heures perdues à aider des visiteurs… pendant que l’État subventionne à perte l’essence, l’électricité, l’eau, les produits de consommation – y compris pour les touristes étrangers.
Le tourisme en Algérie coûte plus qu’il ne rapporte
Parce que nous n’avons pas encore accepté l’idée qu’un touriste est un client. Un client qui, s’il est bien servi, reviendra. Mais qui ne viendra pas parce qu’on est trop gentils. Et surtout, qui n’aidera pas notre économie s’il ne dépense rien.
À l’étranger, cette générosité presque naïve surprend. Une touriste espagnole, invitée à faire une randonnée à Tamridjet (Béjaïa), a raconté : «On m’a offert le repas, on a payé mon transport, je n’ai rien déboursé. C’était incroyable. Même dans les ONG les plus humanitaires, je n’ai jamais vu ça». Elle a conclu, sincèrement : «Mes amis ne me croiront jamais». Mais cette bonté n’est pas toujours comprise comme une richesse. Elle est souvent perçue comme un manque de professionnalisme. Comme si l’on n’osait pas assumer la valeur de ce que l’on offre.
Pendant ce temps, nos voisins érigent le tourisme en priorité nationale. En Égypte, au Maroc, en Tunisie, tout est tarifé, structuré, calculé. Parfois jusqu’à l’excès. Mais ces pays ont compris que l’hospitalité ne suffit pas à faire vivre une économie. Ils ont intégré le tourisme dans leur politique de développement. Pas l’Algérie. Pas encore.
Il ne s’agit pas de renier nos valeurs. Il ne s’agit pas de traiter nos hôtes comme des portefeuilles ambulants. Mais il s’agit de comprendre que chaque service a une valeur. Et qu’en niant cette valeur, nous empêchons des milliers de jeunes Algériens de vivre dignement de leur savoir-faire.
Ce n’est pas une honte de faire payer un service touristique.
C’est ce qui permet de créer de l’emploi, de moderniser les structures, d’attirer les investisseurs. C’est ce qui transforme une hospitalité chaleureuse en filière durable.
Alors, jusqu’à quand continuerons-nous à confondre hospitalité et sacrifice ?
Le touriste est toujours le bienvenu. Mais à condition que sa venue ne devienne pas un coût pour ceux qui l’accueillent.
Hafit Zaouche