Selma Benziada (Jijel) : Aïn El Mechaki, la fontaine des espérances
Quand l’eau devient prière au cœur des montagnes de Jijel. Par Hafit Zaouche Nichée dans les reliefs verdoyants de la commune de Selma Benziada, dans la wilaya de Jijel, la source d’Aïn El Mechaki défie le temps et les certitudes. Ici, l’eau n’obéit pas aux lois habituelles. Elle jaillit soudainement des entrailles d’un rocher calcaire, […]

Quand l’eau devient prière au cœur des montagnes de Jijel.
Par Hafit Zaouche
Nichée dans les reliefs verdoyants de la commune de Selma Benziada, dans la wilaya de Jijel, la source d’Aïn El Mechaki défie le temps et les certitudes. Ici, l’eau n’obéit pas aux lois habituelles. Elle jaillit soudainement des entrailles d’un rocher calcaire, éclaboussant de vie le silence de la vallée, avant de s’interrompre, mystérieuse, pour renaître un peu plus tard, comme une respiration de la montagne.
Les anciens l’appellent «El Mechaki», mot qui vient de chakwa – la plainte, la prière. Car depuis des générations, les habitants et visiteurs viennent se recueillir devant ce phénomène rare, espérant voir leurs vœux se réaliser : mariage, fertilité, guérison ou tout simplement un soulagement face au poids de la vie.
Le miracle d’Aïn El Mechaki réside dans son intermittence : pendant quinze à vingt minutes, un torrent glacé jaillit avec puissance, accompagné d’un grondement sourd. Puis, brusquement, tout s’arrête. Le rocher se tait, la vallée retrouve son calme, jusqu’à ce que l’eau ressurgisse, comme un souffle venu d’ailleurs. En été, elle est glaciale, en hiver, étonnamment tiède. Un contraste qui ne cesse d’alimenter les récits et les légendes.
«La première fois que j’ai vu l’eau surgir, j’ai eu l’impression d’assister à une prière de la nature», raconte Nadia, venue de Constantine avec sa famille. «On se sent tout petit devant une telle force. On dépose nos peines ici, comme si la montagne pouvait les emporter».
Située sur le territoire ancestral des Beni Fougal, Aïn El Mechaki porte en elle la mémoire d’un peuple attaché à ses racines. Pendant longtemps, son accès était difficile, réservé aux habitants des environs. Mais depuis l’ouverture de pistes, le site attire de plus en plus de curieux.
«J’ai marché plus d’une heure pour y arriver, mais ça en valait la peine», confie Mourad, un jeune randonneur originaire d’Alger. «Quand l’eau a jailli, tout le monde a applaudi. On aurait dit une scène de théâtre, mais jouée par la nature elle-même».
Aujourd’hui, des familles entières s’y rendent chaque été. Certaines s’installent sous les arbres pour partager un pique-nique, d’autres viennent simplement pour s’asperger le visage et repartir. Mais tous repartent avec un sentiment commun : celui d’avoir approché un mystère.
Les hydrogéologues expliquent ce phénomène par la pression des gaz souterrains qui pousse l’eau vers la surface à intervalles réguliers. Mais pour beaucoup, la source reste avant tout un lieu de foi et d’espérance. «Je suis venue prier pour mon fils malade», murmure discrètement Fatiha, une mère originaire de Mila. «L’eau n’a peut-être pas de pouvoir magique, mais elle m’a donné la force d’espérer. Et parfois, c’est tout ce dont on a besoin».
Avec le retour de la sécurité dans la région, Aïn El Mechaki connaît une affluence croissante. Chaque année, des milliers de visiteurs s’y pressent, faisant de ce site un atout touristique précieux pour Selma Benziada et pour toute la wilaya de Jijel. Mais cet afflux rappelle aussi la nécessité de préserver l’équilibre fragile du lieu : garder l’endroit propre, respecter le silence des prières, et laisser la source respirer au rythme de son mystère.
Car au fond, Aïn El Mechaki n’est pas seulement une curiosité naturelle. C’est un miroir des âmes. Une fontaine des espérances, où l’eau jaillit comme une promesse toujours renouvelée.
H. Z.