Il ne décolle qu’en saison estivale : L’aéroport de Sétif en mode survie
Chaque été, l’aéroport 8 Mai 1945 de Sétif retrouve brièvement un semblant de vie. À l’arrivée des grandes vacances, il se métamorphose : halls bondés, files interminables et ballets d’avions venus de France, principalement de Lyon où réside une forte communauté d’Algériens. Pourtant, ce regain d’activité n’est qu’un feu de paille. Dès la fin août, […] The post Il ne décolle qu’en saison estivale : L’aéroport de Sétif en mode survie first appeared on L'Est Républicain.

Chaque été, l’aéroport 8 Mai 1945 de Sétif retrouve brièvement un semblant de vie. À l’arrivée des grandes vacances, il se métamorphose : halls bondés, files interminables et ballets d’avions venus de France, principalement de Lyon où réside une forte communauté d’Algériens. Pourtant, ce regain d’activité n’est qu’un feu de paille. Dès la fin août, les lieux retrouvent leur morne silence, comme si l’édifice entier entrait en hibernation. Situé à cinq kilomètres du centre-ville, l’aéroport, inauguré au début des années 2000 et modernisé au fil du temps, devait être une infrastructure stratégique au cœur des Hauts Plateaux. Il devait permettre à une région densément peuplée, riche de ses potentialités économiques et humaines, de s’ouvrir pleinement au monde. Mais le constat est accablant : hors saison estivale, le terminal tourne au ralenti, et ses pistes semblent attendre en vain l’écho des moteurs d’avions. Ce paradoxe frappe de plein fouet un bassin de population estimé à plus de dix millions d’habitants, couvrant plusieurs wilayas : Sétif, Bordj Bou Arreridj, M’sila, Mila, voire une partie de Béjaïa. Pourtant, malgré cette densité humaine et l’importante diaspora originaire de cette région en France et ailleurs, l’aéroport peine à maintenir une activité régulière tout au long de l’année. « Un des plus rentables de l’intérieur du pays, cet aéroport ne retrouve sa vitesse de croisière qu’en juillet et août, avec un taux de remplissage dépassant les 90 % sur la fréquence Sétif – Lyon», déplore un agent de l’infrastructure. « Ensuite, c’est l’intermittence. Le plan de vol se rétrécit telle une peau de chagrin. C’est frustrant de voir cet important outil économique sous-exploité ». Ce rythme saisonnier s’avère particulièrement handicapant pour les opérateurs économiques. La région de Sétif, forte d’un tissu industriel diversifié (électroménager, textile, agroalimentaire, matériaux de construction), souffre de l’absence d’une connectivité aérienne stable. Pour les exportateurs, cela signifie des retards, des détours par Alger ou Constantine, et un surcoût logistique non négligeable. « Comment voulez-vous attirer des partenaires étrangers si nos visiteurs doivent parcourir 300 kilomètres de route pour nous rejoindre ? », s’interrogent de nombreux gérants d’entreprises exportatrices de divers produits, de l’électroménager aux matériaux de construction. « Le fret aérien n’existe pas ici. Pourtant, on pourrait exporter une bonne partie de nos produits directement vers l’Europe, l’Afrique et certains pays arabes voisins comme la Tunisie et la Libye ». Même son de cloche chez les professionnels du tourisme et du secteur hôtelier. Pour eux, l’inexistence de liaisons aériennes continues empêche la mise en place d’une véritable offre touristique dans la région. « On a des sites historiques majeurs, des circuits de montagne, des stations thermales, une culture riche. Mais sans accès aérien régulier, tout tombe à l’eau », résument, non sans dépit, de nombreux voyagistes et patrons d’hôtel à Sétif.
Absence de stratégie
Le désenclavement aérien est un enjeu stratégique majeur pour cette importante plaque tournante de l’économie nationale. Beaucoup espéraient qu’après la crise sanitaire de la Covid-19, une reconfiguration de la carte aérienne intérieure donnerait à Sétif une place de choix. Mais rien n’a changé ou presque. Air Algérie, la compagnie nationale, ne programme que quelques vols à destination de Lyon et Paris. La fréquence Sétif – Marseille n’est fonctionnelle qu’en été. Quant aux compagnies étrangères, elles brillent par leur absence. Seules les compagnies françaises ASL Airlines, Transavia et Volotea assurent des vols vers Paris, Lille et Lyon, très prisés mais trop insuffisants. Les raisons de cette sous-exploitation sont connues. D’abord, un manque de volonté des responsables concernés, selon certains observateurs. Ensuite, une absence de stratégie commerciale claire de la part des gestionnaires de l’infrastructure. « Il n’y a pas de démarchage actif auprès des compagnies, pas de vision à long terme. On ne fait qu’attendre juillet comme une fatalité. Comment se fait-il qu’une fréquence comme Lyon – Sétif ne redevient quotidienne que durant la saison estivale alors que sa rentabilité est une réalité. De trois dessertes en hiver, la fréquence Sétif – Paris passe à cinq rotations en été. Négligée dix mois sur douze, la ligne domestique Sétif – Alger passe de deux fréquences à cinq. Avec deux rotations hebdomadaires rentables Lille – Béjaïa – Sétif – Lille, une compagnie n’est mieux outillée que la nôtre pour assurer une telle destination », critique un cadre de la compagnie nationale. À cela s’ajoute une mauvaise coordination entre les institutions. « Un aéroport n’est pas une simple façade », insiste notre interlocuteur ayant gros sur le cœur. « C’est un levier économique. Si on n’investit pas dans sa promotion, dans l’attractivité de ses lignes, on condamne toute une région à rester à la marge. Malgré la baisse du nombre des rotations, l’aéroport a affiché au 31 décembre 2024 une augmentation significative du nombre de voyageurs estimée à 5,67 %. Avec une fréquentation de 249.623 voyageurs, l’établissement tournant pourtant au ralenti a réalisé son meilleur score depuis son inauguration ». Des voix s’élèvent pour réclamer un véritable plan de redéploiement. Parmi elles, journalistes, opérateurs privés, mais aussi des membres de la diaspora, prêts à soutenir des initiatives pour améliorer la desserte aérienne de leur région natale. Certains plaident pour l’ouverture de lignes vers Marseille, Mulhouse, Lille, Tunis, Istanbul, les lieux saints, Oran, Bechar et Tindouf. En attendant, les voyageurs doivent continuer à jongler avec les escales interminables, les trajets routiers éprouvants jusqu’à Alger ou Constantine et les imprévus de dernière minute. Beaucoup rêvent de pouvoir, un jour, embarquer d’un aéroport de Sétif pleinement fonctionnel, ouvert au monde toute l’année. Mais pour l’heure, ce rêve reste suspendu à un tarmac désert.
Kamel Beniaiche
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