Les trois axes des desseins inavoués de la France en Afrique du Nord et au Sahel

Par A. Boumezrag – Lorsque Nicolas Sarkozy, en 2011, décida d’engager la France dans l’opération militaire contre Mouammar Kadhafi, l’argument... L’article Les trois axes des desseins inavoués de la France en Afrique du Nord et au Sahel est apparu en premier sur Algérie Patriotique.

Sep 8, 2025 - 07:42
 0
Les trois axes des desseins inavoués de la France en Afrique du Nord et au Sahel

Par A. Boumezrag – Lorsque Nicolas Sarkozy, en 2011, décida d’engager la France dans l’opération militaire contre Mouammar Kadhafi, l’argument officiel tenait en deux mots : «protéger les civils». Mais derrière le discours humanitaire, l’intervention franco-britannique (sous parapluie de l’OTAN et avec l’appui discret des Etats-Unis) visait à précipiter la chute d’un régime devenu encombrant pour Paris. La disparition de Kadhafi fut rapide, brutale. Mais ce qui s’ensuivit ne fut pas la démocratie promise, mais le chaos : un Etat disloqué, une économie effondrée et, surtout, des arsenaux entiers laissés à l’abandon.

Ces stocks colossaux d’armes légères, de missiles sol-air et de pick-up blindés ont circulé sans contrôle, alimentant les groupes armés de toute la bande sahélo-saharienne. Le Mali, déjà fragilisé, a vu les colonnes de combattants touareg revenir lourdement armés de Libye, déclenchant une insurrection qui a ouvert la voie à la prise de contrôle du Nord par les djihadistes. Dix ans plus tard, cette dynamique s’est propagée au Niger, au Burkina Faso et jusqu’aux côtes de l’Atlantique. Autrement dit : la décision française d’abattre Kadhafi a déclenché une onde de choc qui hante encore le Sahel en 2025.

Derrière les variations de ton – Sarkozy le «guerrier», Hollande le «pompier», Macron le «stratège ambigu» – se cache une continuité : la France ne veut pas perdre l’Afrique du Nord et son arrière-cour sahélienne. Car ce théâtre n’est pas qu’un voisinage : il est une profondeur stratégique vitale, un espace de transit énergétique et migratoire, et une zone tampon face à l’instabilité subsaharienne.

Les tensions récentes entre Paris et Alger en sont l’illustration. Macron a multiplié les mesures de pression (réduction de visas, suspension d’avantages diplomatiques), officiellement pour répondre à des «manquements» d’Alger sur la coopération migratoire. Mais le message implicite est clair : la France n’acceptera pas que l’Algérie s’affirme comme puissance régionale autonome, encore moins qu’elle se rapproche de Moscou ou de Pékin.

La prolifération des armes libyennes n’a pas seulement nourri le djihadisme : elle a transformé le Sahel en champ de bataille géopolitique mondial.

La Russie, via Wagner puis ses successeurs, a investi le vide sécuritaire, proposant aux régimes fragiles (Mali, Burkina, Niger) des services de mercenaires en échange de concessions minières. Pour Paris, c’est un camouflet : ses anciens alliés se tournent vers Moscou.

La Turquie, en Libye, a verrouillé une partie du jeu militaire et énergétique. Ses drones et ses accords maritimes pèsent lourd dans la Méditerranée centrale, marginalisant les ambitions françaises.

La Chine avance patiemment : routes, ports, télécoms, énergie solaire – sa stratégie est économique, mais elle génère une influence politique durable, qui concurrence les positions traditionnelles de la France.

Les Emirats arabes unis et Israël, en s’appuyant sur les accords d’Abraham élargis, investissent le Maghreb et le Sahel, redessinant les alliances régionales au détriment de Paris.

Ainsi, l’Afrique du Nord et le Sahel sont devenus le théâtre d’une rivalité mondiale où la France, jadis en position dominante, se débat pour ne pas devenir un acteur secondaire.

La contradiction est flagrante. La France prétend défendre la stabilité régionale, mais sa décision de 2011 a déclenché l’instabilité la plus durable qu’ait connue le Sahel moderne. Elle dit soutenir la souveraineté, mais ses ingérences (militaires, diplomatiques, économiques) sont perçues comme des intrusions néocoloniales. Elle affirme combattre le terrorisme, mais sa stratégie a contribué à disséminer les conditions de sa montée en puissance.

Aujourd’hui, alors que Paris resserre son dispositif autour du Maghreb (contrôles migratoires, coopérations militaires résiduelles, diplomatie économique), l’image de la France est au plus bas : rejetée par des jeunesses qui n’oublient pas les humiliations coloniales et les guerres d’ingérence, contestée par des élites qui trouvent en Russie, en Chine ou en Turquie des alternatives crédibles.

Les desseins «inavoués» de la France en Afrique du Nord s’articulent autour de trois axes. Sécuritaire : verrouiller les routes migratoires, contenir le terrorisme, éviter que l’instabilité sahélienne ne déborde sur l’Europe. Economique : garantir des approvisionnements énergétiques (gaz et pétrole algérien et libyen) et conserver des marchés pour ses entreprises, alors que la concurrence chinoise et turque s’intensifie. Géopolitique : maintenir un statut de puissance méditerranéenne crédible, indispensable à l’OTAN et à l’Union européenne, face aux avancées de Moscou et de Pékin.

Mais ces objectifs se heurtent à un dilemme : plus Paris tente de contrôler, plus il alimente le ressentiment, et plus il ouvre un espace aux puissances rivales.

En 2025, la France est rattrapée par la boîte de Pandore qu’elle a ouverte en 2011. L’intervention en Libye, présentée comme un coup de force humanitaire, a désarticulé tout un espace géopolitique et a précipité le Sahel dans une décennie de guerres. Aujourd’hui, la France tente de contenir le désordre qu’elle a contribué à engendrer, tout en affrontant des concurrents globaux plus offensifs et parfois plus crédibles.

Si dessein il y a, il n’est ni grandiose ni visionnaire : c’est un dessein défensif, une tentative de ne pas perdre davantage. Mais à vouloir conserver une influence par la force, la France risque de s’aliéner définitivement une région qui, désormais, a appris à vivre sans elle.

En abattant Kadhafi, la France a ouvert au Sahel une boîte de Pandore dont elle tente encore, quinze ans plus tard, de contenir les démons : chaos libyen, djihadisme armé, rivalités mondiales. Plus qu’un dessein, c’est désormais une fuite en avant pour ne pas perdre ce qu’elle croyait acquis.

A. B.

L’article Les trois axes des desseins inavoués de la France en Afrique du Nord et au Sahel est apparu en premier sur Algérie Patriotique.