L’An 100 du penseur, philosophe, écrivain et anticolonialiste: Fanon, l’immortel militant
Il n’a pas traversé le siècle ni mis le cap sur la longévité biologique. Contrairement aux destinées de célébrités de son rang, Frantz Fanon n’a pas été avantagé par le chronomètre de la vie. Quand d’autres grands noms dont son célèbre préfacier, Jean-Paul Sartre, sont allés au-delà des sept décades, la ‘’peau noire’’ qui a […] The post L’An 100 du penseur, philosophe, écrivain et anticolonialiste: Fanon, l’immortel militant appeared first on Le Jeune Indépendant.

Il n’a pas traversé le siècle ni mis le cap sur la longévité biologique. Contrairement aux destinées de célébrités de son rang, Frantz Fanon n’a pas été avantagé par le chronomètre de la vie. Quand d’autres grands noms dont son célèbre préfacier, Jean-Paul Sartre, sont allés au-delà des sept décades, la ‘’peau noire’’ qui a dédié sa vie à la dénonciation des ‘’masques blancs’’ n’a joué qu’une mi-temps : 36 ans seulement.
Pour court qu’il soit — à peine un quart de siècle –, ce ‘’temps de jeu’’ ne l’empêche pas – à titre posthume — de jouer des prolongations à répétition et de se décliner en mode ‘’immortel’’. Un siècle jour pour jour après sa naissance, le 20 juillet 1925 à Fort-de-France, soixante-quatre ans après son décès – le 6 décembre 1961 aux Etats-Unis–, il n’en finit pas de faire acte de présence. Et avec une résonance planétaire.
Livres à profusion, bibliographies exhaustives aux allures de voyage dans la vie et l’œuvre du penseur, bande dessinée et autres films : sur le front de l’évènementiel éclectique et fécond, Fanon est omniprésent. ‘’Plus on s’éloigne de sa mort’’, plus on s’éloigne de la date de son premier cri et ‘’plus Frantz Fanon semble d’actualité’’, souligne La Découverte, l’éditeur français qui a hérité de son œuvre auprès de Maspero pour la cultiver et l’inscrire dans la postérité. Le psychiatre-militant n’a vécu qu’un quart de siècle et onze ans dont la moitié seulement en post-enfance et adolescence. Et pourtant, sa visibilité ne souffre aucunement du poids du temps. Pas plus tard que ce week-end, une de ses connaissances, Alice Cherki, rappelait l’omniprésence de l’homme aux multiples facettes et casquettes. ‘’Sa vision, son œuvre, ses écrits, son action sont des références’’, disait-il dans une interview au quotidien L’Humanité.
Qu’il s’agisse du ‘’militant politique’’, du ‘’révolutionnaire’’, du ‘’clinicien’’, Frantz Fanon ‘’a mis au cœur de sa pensée et de son action la quête de solution pour sortir de l’aliénation et créer des repères pour advenir comme être humain’’. Le Martiniquais, naturalisé Français, devenu Algérien par engagement nationaliste et par conviction lègue un ‘’message fort’’ que les désordres du monde et les déclassements de la culture générale n’ont pas relégué aux oubliettes. Le ‘’maître mot’’ de Fanon, rappelle Alice Cherki en connaissance de cause, ‘’était la libération de l’homme sur tous les plans, individuel et collectif’’. Dans l’imaginaire de Fanon, ‘’toutes les libérations étaient liées : celle de l’aliéné, des femmes, du peuple’’, insiste celle dont les activités professionnelles et politiques ‘’furent étroitement mêlées’’ aux activités du toubib en Algérie et à Tunis.
Des reconnaissances académiques
Des trois biographes de l’auteur de « Peau noire, masques blancs » (Le Seuil, 1952) – une Française, un Britannique et un Américain –, Alice Cherki est le portraitiste livresque qui l’a personnellement connu. La native (en 1936) du quartier de la Marine au bas de la Casbah d’Alger a ‘’bien connu’’ Fanon. ‘’Il se trouve que les hasards de l’histoire m’ont fait côtoyer de façon très proche Frantz Fanon, dans un parcours de vie essentiel, de 1955 à 1961, le temps de son engagement dans la lutte pour l’indépendance algérienne’’, rappelle-t-elle dans « Frantz Fanon. Portrait » (Le Seuil, 2000).
Bien plus qu’un ‘’portrait’’ livresque, la publication de Cherki est la première biographie fouillée (en France) sur l’homme aux multiples profils. Une année plus tard, le Britannique David Macey – professeur à l’université de Nottingham – signait chez Granta Books (Londres) « Frantz Fanon. A Life », une somme de 640 pages (traduite en 2011 par La Découverte). En 2004, c’est au tour de Joby Fanon, l’aîné de la fratrie, de publier chez L’Harmattan « Frantz Fanon.
De la Martinique à l’Algérie et à l’Afrique », une étude qui ‘’retrace le parcours d’un homme parmi les hommes’’. En 2024, l’Américain Adam Shatz – professeur invité au Bard College et à l’université de New York et collaborateur régulier du New York Times Magazine et de la New York Review of Books – enrichissait le savoir académique sur le personnage en signant chez Farrar, Straus and Giroux (New York) « The Rebel’s Clinic: The Revolutionary Lives of Frantz Fanon ». Traduite et publiée la même année en France (La Découverte) sous le titre « Frantz Fanon. Une vie en révolutions »), cette troisième biographie s’appuie sur des archives inédites consultées par l’auteur à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC), une bibliothèque de recherche installée dans une abbaye médiévale normande.
Revisiter la vie et l’œuvre de Fanon, inventorier ses choix et ses actions tient de l’exercice ardu tant la trajectoire du penseur-militant est dense. Par où commencer et quel profil faire valoir ? Le jeune homme de 28 ans — marié de fraîche date — qui arrive en 1953 pour prendre, en qualité de médecin-chef, les destinées de l’hôpital psychiatrique de Joinville ? L’essayiste-auteur à la bibliographie remarquable ? Le militant qui – si ça ne tenait qu’à lui – aurait abandonné son service psychiatrique pour rejoindre le maquis de la wilaya IV tout proche ?
–Les damnés de la terre
Le ‘’journaliste’’ dont la plume alerte et vigoureuse a joué un grand rôle dans la mise en place du système médiatique de la Révolution ? Le porte-parole de la Révolution avant l’avènement du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) et la nomination de M’hamed Yazid au poste de ministre de l’Information ? Le Panafricaniste débordant d’enthousiasme qui, en décembre 1958, participe aux côtés d’Ahmed Boumendjel et de Chawki Mostéfaï à la première Conférence de l’union des peuples africains à Accra en présence du président N’Krumah ?
Proche parmi les proches de Fanon et sa collègue au Centre neuropsychiatrique de l’Dhôpital de Tunis, Marie-Jeanne Manuellan (1928-2019) ‘’n’aime pas que l’on découpe Fanon en petits morceaux’’. C’est ce qu’elle dit et répété sur le ton de l’instance à Adam Shatz lors de la préparation de son livre. Militante infatigable de la décolonisation tout comme son époux, Gilbert, c’est à elle que Fanon s’est adressé un jour avec des accents de « Je vais avoir besoin de vous pour écrire un livre’’. C’est à elle, en effet, qu’entre 1959 et 1961, qu’il va dicter « L’An V de la révolution algérienne » et « Les Damnés de la terre ».
Le biographe américain de Fanon paraphrase la fidèle assistante de Fanon : ‘’ceux qui ne perçoivent qu’un aspect de son œuvre et de sa personnalité passent à côté de l’ensemble indissoluble : psychiatre et révolutionnaire, écrivain et homme d’action, antillais et français, algérien et africain’’. Récalcitrante à l’idée de privilégier un Fanon au détriment d’un autre, la ‘’cheville ouvrière’’ des deux derniers livres de Fanon le faisait savoir sans autre forme de procès. ‘’La multiplication des exégèses dévotes et des dissections universitaires de l’œuvre de Fanon l’amusait et l’exaspérait tout à la fois’’, explique Adam Shatz.
A Jean-Paul Sartre, qui lui demandait quelques détails sur sa vie pour les besoins de la préface aux « Damnés de la Terre », Fanon ‘’répondait toujours que cela lui semblait superflu’’, rappelle Alice Cherki.
Et pourtant, s’empresse de préciser son ex-collègue et compagne d’engagement, ‘’Fanon était inconditionnellement impressionné par Sartre. Il voulait s’en faire connaître et reconnaître, il était prêt à tout dire de lui à cet homme auquel il vouait une admiration durable. Toutefois, parler de soi, ce n’était pas parler de sa vie, c’était dire ses engagements, ses passions, ses combats. Fanon affirmait à son ami Manville (avocat communiste d’origine martiniquaise et fondateur du Mouvement contre le Racisme et pour l’amitié entre les peuples, MRAP) : on ne raconte pas son passé, on en témoigne’’.
Du haut de ses 53 ans à l’aube des années soixante et à la lumière de ses lectures des écrits de Fanon et à la faveur de leurs discussions, Simone de Beauvoir, paraphrase Alice Cherki, écrivait en 1963 que l’auteur des « Damnés de la Terre » lui ‘’apparaissait comme l’une des personnalités les plus remarquables de ce temps’’.
La vie de Fanon, commente La Découverte, en quatrième de couverture de la biographie de Adam Shatz, ‘’se lit comme un thriller de la décolonisation et de la guerre froide’’. Remis en perspective sur le temps long et à l’heure du centenaire de sa naissance, le vécu de l’homme aux multiples facettes et multiples casquettes se déploie aussi comme ‘’un témoignage essentiel des bouleversements politiques et intellectuels du XXe siècle’’.
.
The post L’An 100 du penseur, philosophe, écrivain et anticolonialiste: Fanon, l’immortel militant appeared first on Le Jeune Indépendant.